C’est le (très gros) titre qui fait la Une du Parisien du mardi 10 novembre 2020. « Le vaccin » en rouge, « qui change tout » en noir, les deux morceaux en caractères qu’un myope profond parvient à lire. On est au présent de l’indicatif. On y est. C’est bon.
Toujours sur la Une, mais en bien plus petit (une police de caractères qui impose au dit-myope de mettre ses lunettes), apparaît le résumé qui se met à jouer avec les modes des verbes. « Efficace à 90% contre le Covid-19, il pourrait être rapidement disponible, selon ses concepteurs, les laboratoires Pfizer et BioNTech. Il marque un tournant dans notre façon de vivre avec le virus. » Osons qualifier l’énoncé de relativement « sioux ». La disponibilité est au conditionnel, mais pas son efficacité. Le tournant, lui, est au présent. Comme on vous le disait, l’affaire est pliée, le tournant est derrière nous. On ne discute plus.
Maintenant, entrons dans le vif du sujet. Le Parisien est un bon quotidien ; il compte dans le paysage de l’Ile-de-France et la qualité de ses articles ne laisse aucun doute. Justement que disent ses articles ? Passons à la page 2. L’éditorial de Rémy Dessarts « A double tranchant » est tout à fait nuancé. Il se veut d’un optimisme mesuré, perçoit une sortie du tunnel, mais aussi un risque de « baisser la garde », et appelle à la vigilance pour les mois à venir. Il y a un futur, proche certes (du moins on l’espère), mais un futur. Tout n’est pas fait.
Christel Brigaudeau, détaille dans un article la nature de l’avancée réalisée par les deux laboratoires, mais également ce qui manque encore (et c’est bien naturel) pour être certain de l’innocuité du vaccin. Avec le professeur Pawlotsky, virologue, interviewé par Elsa Mari, c’est une même prudence mêlée d’espoir qui est exprimée. D’autres résultats doivent être fournis, les conditions de production et d’acheminement doivent être mises au point.
On voit que le quotidien ne néglige pas du tout les différents aspects de la situation créée par l’annonce de Pfizer et BioNtech. D’où vient alors que la Une n’en rend pas compte ? Au contraire, pourrait-on dire. Hypothèse : cela n’a rien à voir avec Le Parisien en particulier, mais avec les médias en général. Le titre, c’est l’accroche et on n’accroche pas avec des nuances. Fort de deux siècles d’expérience, le journalisme ne devrait pas se tromper sur ce point. Il a eu le temps d’éprouver la force de l’expression : « On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. » Et si le journalisme est bien dans le vrai, quelles sortes de mouches sommes-nous ?