Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

Frida Kahlo, rebelle et légende mexicaine

Les rencontres artistiques et littéraires de Sceaux organisaient le 16 novembre une conférence portant sur une artiste, icône de l’art mexicain et universel, une artiste qui a fait de sa souffrance le creuset de sa création. Celle qui déclarait malgré tout : « Je ne suis pas morte et j’ai une raison de vivre. Cette raison, c’est la peinture ».

Une conférence émouvante

Toujours aussi pertinente quant au choix des conférenciers et des thématiques, la présidente de l’association, Marie-Lou Schenkel, récemment justement honorée d’une décoration d’officier des Arts et des lettres décernée par Madame la ministre de la Culture, a confié l’intervention à Karin de Cassini.

Elle est diplômée de Premier Cycle et d’Études Supérieures de l’École du Louvre. Conférencière de la Ville de Paris, agréée par le ministère de la Culture, diplômée de l’École du Louvre, titulaire d’une maîtrise en histoire de l’art, elle sait rendre son propos passionnant. Avec un phrasé parfaitement fluide servi par une très belle voix, elle sait faire partager son enthousiasme et captiver l’attention.

La vie de Frida Kahlo (1907–1954) a été frappée par le sceau du malheur, entre une poliomyélite contractée enfant affectant sa colonne vertébrale et sa jambe droite et un terrible accident qui la laisse meurtrie, son mariage houleux avec l’artiste Diego Rivera et son impossibilité à devenir mère. Gamine boiteuse, elle est la risée des enfants de son village. La jeune fille est bonne élève et intègre un établissement de renom, itinéraire rare dans une société mexicaine encore très machiste.

La conférence fait en quelque sorte écho à l’exposition qui a lieu en ce moment sur Frida Kahlo au Palais Galliera jusqu’au 5 mars 2023 sous le titre « Frida Kahlo, au-delà des apparences » : son handicap, ses souffrances, son engagement politique, son athéisme, ses robes, son maquillage… 

Frida Kahlo est décédée en 1954 à l’âge de 47 ans après une vie de souffrance physique, de création artistique, de passion pour Diégo Rivera, son époux, et de lutte marxiste. La conférence évoque son handicap, ses souffrances, son engagement politique, son athéisme, ses robes, son maquillage……

La maison bleue

Frida est née d’une mère mexicaine et d’un père allemand. Elle grandit durant la révolution mexicaine (1910-1917), ce qui forge à la fois ses convictions et son imaginaire. Elle naît dans la « Maison bleue » (la « Casa azul ») construite par ses parents en 1904, actuel musée Frida Kahlo, au milieu d’un quartier où habite la petite bourgeoisie, à Coyoacán, au sud de Mexico.

Une image contenant arbre, extérieur, bâtiment, porche

Description générée automatiquement
La Maison bleue (la casa azul) crédit Wikimédia Commons

Adolescente, elle s’engage dans un groupe d’étudiants communistes et prend très vite conscience de l’importance de l’action collective sur le politique et sur le social.

Tout au long de sa vie, elle est dans le handicap. A cause de sa poliomyélite, sa jambe droite s’atrophie et son pied ne grandit plus. Elle n’atteindra jamais la taille qu’elle devrait avoir. Cela lui vaudra le surnom de « Frida la coja » (Frida la boiteuse) par ses camarades de classe. Il a été supposé qu’elle souffrît de spina bifida, une malformation congénitale de la colonne vertébrale, qui pourrait également avoir affecté le développement de la jambe. Elle voulait devenir médecin.

En 1922, elle falsifie sa date de naissance en 7 juillet 1910, année du début de la révolution mexicaine, associant sa naissance à la fin du régime porfiriste. En 1929, elle épouse l’artiste Diego Rivera, mondialement connu pour ses peintures murales.

La jeune femme, qui espérait devenir médecin, avait déjà un tempérament libre et affirmé, s’intéressant à la politique (la révolution communiste n’était pas si loin) et n’hésitant pas à se vêtir comme un garçon !

Le sort s’acharne

Sa vie bascule encore à 18 ans lors d’un accident de la route. Le 17 septembre 1925, Frida prend le bus pour rentrer chez elle après ses cours. Soudain, l’autobus sort de la route et percute un tramway. Plusieurs personnes trouvent la mort lors de l’accident. Frida, elle, est grièvement blessée. Son abdomen et sa cavité pelvienne sont transpercés par une barre de métal : ce traumatisme est responsable d’un syndrome d’Asherman (cicatrices et adhérences de la muqueuse de l’utérus après qu’une lésion se soit produite) qui sera la cause des fausses couches de Frida Kahlo. Il explique également le thème de nombre de ses œuvres.

Sa jambe droite subit un grand nombre de fractures, onze au total. Son pied droit est également cassé. Le bassin, les côtes et la colonne vertébrale sont eux aussi brisés. L’épaule n’est que démise. Elle reste alitée pendant trois mois, dont un mois à l’hôpital. Mais environ un an après l’accident, elle doit retourner à l’hôpital, car on remarque qu’une de ses vertèbres lombaires est fracturée. Frida sera contrainte de porter durant neuf longs mois des corsets en plâtre.

Frida et Diego Crédit : Wikimédia Commons

Diégo Rivera est impressionné par les réalisations de la jeune Mexicaine : « Les toiles révélaient une extraordinaire force d’expression, une description précise des caractères et un réel sérieux. Elles possédaient une sincérité plastique fondamentale et une personnalité artistique propre. Elles véhiculaient une sensualité vitale encore enrichie par une faculté d’observation impitoyable, quoique sensible. Pour moi, il était manifeste que cette jeune fille était une véritable artiste. »

En novembre 1930, ils emménagent à San Francisco car Rivera a été chargé de réaliser des peintures murales pour le San Francisco Stock Exchange et pour la California School of Fine Art, l’actuel San Francisco Art Institute.

En 1930, elle subit sa première fausse couche. Lors de leur séjour à Détroit, elle est de nouveau enceinte. Au début de cette deuxième grossesse, Frida voit un médecin au Henry Ford Hospital qui lui conseille de garder l’enfant au lieu d’interrompre sa grossesse. Elle pourrait accoucher par césarienne. Malgré les prévisions du docteur, elle fait une autre fausse couche le 4 juillet 1932. Elle reflète ses sentiments, son impression de solitude et d’abandon après la perte de l’enfant dans le tableau Henry Ford Hospital ou Le Lit volant, dans lequel elle peint un fœtus masculin surdimensionné en position embryonnaire, l’enfant perdu lors de la fausse couche, le « petit Diego » qu’elle avait tant espéré porter jusqu’à terme.

Ces lunatiques de surréalistes

En septembre 1938, André Breton est envoyé à Mexico par le ministère des Affaires étrangères français pour y prononcer une série de conférences sur l’état de la poésie et de la peinture en Europe. Avec sa femme Jacqueline Lamba, il est accueilli à Mexico par le couple Kahlo-Rivera.

Breton, subjugué par Frida et admiratif de sa peinture, écrit : « L’art de Frida Kahlo est un ruban autour d’une tombe ». Alors que Breton l’exaspère, Frida noue une véritable et profonde amitié avec sa femme: « Le bateau et le quai et le départ qui peu à peu te rendaient minuscule à mes yeux, prisonniers de ce hublot rond, que tu regardais pour me garder dans ton cœur. Tout cela est intact. Après, sont venus les jours vierges de toi. Aujourd’hui, j’aimerais que mon soleil te touche. Je te dis que ta petite fille est ma petite fille, les personnages marionnettes rangés dans leur grande chambre vitrée sont à nous deux… »

Frida Kahlo se défend d’être surréaliste : « On me prenait pour une surréaliste. Ce n’est pas juste. Je n’ai jamais peint de rêves. Ce que j’ai représenté était ma réalité. »

En 1939, Frida se rend à Paris à la grande exposition sur le Mexique organisée par le gouvernement Lázaro Cárdenas à la galerie Renou et Pierre Colle. Elle loge chez André Breton et rencontre les peintres Yves Tanguy, Pablo Picasso et Vassily Kandinsky. Elle n’aime pas le climat de la capitale mais se lie avec André Breton et sa femme.

Elle n’aime pas Paris qu’elle trouve sale et la nourriture ne lui convient pas ; elle attrape une colibacillose. L’exposition lui déplaît : « Elle est envahie par cette bande de fils de putes lunatiques que sont les surréalistes ». Elle trouve superflue « toute cette saloperie » exposée autour du Mexique. Par-dessus le marché, l’associé de Pierre Colle refuse d’exposer toutes les œuvres de Frida dans sa galerie. Il n’en retient que 6 sur 27, choqué par la crudité des tableaux. Elle n’apprécie guère plus le regard qu’André Breton (« prétentieux ») porte sur son art. Elle le perçoit comme teinté de mépris et d’incompréhension. Elle s’en console auprès de Jacqueline, avec qui elle a une liaison.

En décembre 1938, Frida et Diego divorcent. Elle ressent de grandes douleurs dans la colonne vertébrale et contracte une mycose aiguë à la main droite. En septembre 1940, elle se rend à San Francisco pour être soignée par le docteur Eloesser. Pour le remercier de ses soins, elle peint pour lui Autoportrait dédié au Dr Eloesser. Le tableau porte en dédicace : « J’ai peint mon portrait en 1940 pour le Dr. Eloesser, mon médecin et meilleur ami. Avec toute mon affection, Frida Kahlo. »

Diego Rivera est également à San Francisco à la même époque. Il propose à Frida de l’épouser de nouveau. Elle accepte et le second mariage a lieu à San Francisco le 8 décembre 1940, jour de l’anniversaire de Diego. Ils s’installent dans la Casa azul à Coyoacán après la mort du père de Frida.

De retour au Mexique, elle s’implique dans l’enseignement et la culture. Son état de santé empirant, elle subit de nouvelles opérations qui ne lui apportent aucun soulagement. Elle doit être amputée de la jambe droite et manque de sombrer dans la folie. Officiellement, Frida Kahlo décède d’une pneumonie en juillet 1954.

Une œuvre naïve, enracinée, symbolique, onirique

Karin de Cassini présente Mes grands-parents, mes parents et moi (1936) où sa généalogie apparaît au moyen d’un ruban rouge à partir de son image, enfant nue, au milieu de la maison bleu. La toile montre le dualisme, allemand et mexicain, des origines. Elle introduit le style de l’artiste, mélange de peinture naïve, de couleurs vives, et de grande finesse des portraits, avec une grande présence des symboles.

Viennent ensuite un simple dessin représentant l’accident qui a fait basculer la vie de Frida (celui du 17 septembre 1926) et un portrait du père. Puis deux émouvants autoportraits, l’un dédié à Léon Trotski (1937) et l’autre à son amie Alexia.

Le portrait du couple de Frida et Diego (1931) est poignant de naïveté et de spontanéité. Ce qui unit ces deux êtres transpire de cette magnifique toile, naïve et onirique.

L’autobus (1929) montre alignés différents archétypes de la société mexicaine : une indienne allaitante, l’ouvrier, la femme au foyer et le couple de bourgeois.

Frida Kahlo, The Bus, 1929, Mudec Milano, 3 maggio 2018 Crédit : Wikimédia Commons

La conférencière parle de la période Au pays des gringos au travers du célèbre Autoportrait à la frontière entre le Mexique et les États-Unis (1932) qui révèle à la fois l’attachement aux racines mexicaines et aztèques sur la partie gauche et l’admiration pour les États-Unis et sa modernité sur la partie droite du tableau. Elle poursuit avec Ma robe est suspendue là-bas (1933), hommage à New York mais avec un autre témoignage avec sa robe mexicaine suspendue en plein centre de la toile.

Nous sommes ensuite troublés par la sanglante Quelques petites piqures (1935) qui, à l’occasion de l’infidélité de Diego avec la plus jeune sœur de Frida, Cristina, provoquera leur divorce. La toile exprime son sentiment de trahison en prenant prétexte de l’assassinat d’une épouse par son mari ivre qui a déclaré à la cour de justice : « Je ne lui ai donné que quelques petites piqures ! ». Ce tableau est plein de sang et de coups de poignard, même sur le cadre. Comme souvent, l’artiste ajoute une légende, un peu comme une bulle de BD : Quelques petites piqures ! 

La souffrance de Frida apparait également crument sur les toiles qui évoquent ses fausses couches comme Hôpital Henry Ford (1932), ou ses opérations chirurgicales multiples comme Le cerf blessé (1947) qui se réfère à une des interventions sur sa colonne vertébrale.

Nous terminons avec son Autoportrait avec petit singe (1947) qui évoque les liens apaisants que Frida entretient avec le monde animal dans lequel elle trouve une grande consolation.

Toujours inspirée dans le choix de ses thèmes (et de ses intervenants) Marie-Lou Schenkel conclut en conseillant la lecture de Diego et Frida de J.M.G Le Clézio qui rend admirablement compte du caractère indéfectible des liens qui unissaient Frida et Diego.

Entrée de la maison bleue (casa azul) crédit : Wikimédia Commons
  1. Bonté Bonté 7 décembre 2022

    La découverte de cette artiste est à mettre au crédit de Marie Lou Schenkel dont l’énergie et passion de faire partager ses coups de cœur ne se démentent pas. Merci à l’auteur pour ce bel hommage ô combien merité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *