Le Parisien du 3 septembre nous l’apprend. Nos amis à quatre pattes, version canine, ont des ennemis. La capitale connaît une déchirure. Un jardin du IVe arrondissement où, jusqu’il y a peu, ils pouvaient se dérouiller le jarret, s’ébrouer, japper, leur est désormais interdit. Leur est du moins disputé. Les voisins n’en veulent plus. Ils n’acceptent plus la loi du plus cador. Cette histoire pourrait n’être qu’un épisode de la vie parisienne. Normal, sans doute, vu la sociologie du quartier. Qu’on ne s’y trompe pas, il n’en est rien, il a une portée bien plus générale, comment dire… quasi universelle.
De quoi parle-t-on ? Les riverains ne supportent plus de vivre sous le joug des toutous : aboiements, risques pour les enfants (sait-on jamais ce qu’il peut passer par la tête de ces bêtes). Pire : ils font des trous, ils abîment. C’est insupportable, clament les opposants à l’imperium canin.
Un élu contraint à la danse des canards
À leur protestation s’en oppose une autre. Celle des maîtres et maîtresses que les préposés à la sécurité des parcs n’hésitent pas à verbaliser, aussi propre et urbain soit leur animal. Ils y voient une lourde menace contre un espace de liberté. Ce qui peut être interprété de deux façons (l’article n’est pas précis sur ce point). La liberté est-elle celle des propriétaires ou celle de leurs compagnons ? Dans le premier cas, les propriétaires doivent-ils régenter la vie des sans-chiots ? Dans le second cas, une question philosophique de poids surgit : la liberté est-elle seulement humaine ? Le maire du Centre semble y répondre en affirmant qu’il a demandé « aux services de l’Hôtel de Ville de réfléchir à des espaces de liberté pour les chiens dans le cadre du futur aménagement des berges de la Seine. » Si nos amis à quatre pattes ont leur espace de liberté, c’est que la liberté les concerne, c’est qu’ils y sont éligibles. Mais alors, le sujet posé au bac philo de 2016, La liberté est-elle dépendante de la sécurité ? doit aussi s’appliquer à la gent canine. Si la sécurité des bêtes a partie liée avec leurs prédateurs (dont les hommes, bien entendu), elle s’applique aussi aux différends entre les chiens eux-mêmes. Supposons qu’un chihuahua ou un terrier miniature soient menacés, voire mordus, par des bergers allemands mal élevés, il faudrait penser comment rendre justice ! Penser les conséquences en termes de personnel aussi, car il y aurait de quoi stresser encore les tribunaux, déjà submergés. Hélas, cette question du domaine d’application de la liberté, pour intéressante qu’elle soit, suppose un niveau théorique hors de notre portée.
Un dialogue de sourds entre chien et loup
C’est pourquoi nous en resterons à une interrogation plus terre à terre. Les mâtins auront-ils le dernier mot ? Nul ne peut prédire. Une association porte leur voix : Nous les chiens de Paris. Elle existe bel et bien. Elle a une présidente et elle est interviewée par le Parisien. Est-elle une couverture, un faux-nez obéissant, tenue par la crainte au propriétaire d’un de ces menaçants pit-bulls, aux crocs aiguisés comme des cutters et habités d’une méchanceté sans limites ? Nous ne le croyons pas. En revanche, leur intention est claire : faire pression sur la mairie pour obtenir plus de parcs canins, plus de surface. L’association obtient d’ailleurs des résultats. « Trois nouveaux parcs canins ont été aménagés depuis le début de la mandature », rétorque la mairie de Paris, soulignant que cinq autres devraient ouvrir prochainement dans les Ier, Ve, XIIIe, XIVe et XVIIIe arrondissements, rapporte le journal ».
De ce point de vue, Sceaux a de quoi susciter des jalousies auprès des Parisiens. Les Dog-friendly Places du parc sont d’ailleurs bien référencées sur le oueb. De quoi attirer bien au-delà de la commune. Mais la question que cet article m’inspire n’est pas là. Nous les chiens de Paris réclame des lieux pour laisser les chiens se promener en liberté. On comprend que ceux qui n’ont pas de chien, voire qui les craignent, considèrent ces lieux comme leur étant interdits. On comprend dès lors que la transformation d’un endroit de Paris en espace réservé produise des points de vue antagonistes. Sans volonté de s’entendre sur un compromis. ; ça bloque. C’est le cas en général. Nombreux sont les amateurs de positions tranchées. Indiscutables.
Qui hérite du bébé ? Les élus. Et à Sceaux, comme à Paris, comme dans n’importe laquelle de nos innombrables communes, ils ont de quoi s’occuper à s’interposer et rechercher d’impossibles synthèses entre des demandes contradictoires. Pile, on les éreinte, face ; on les éreinte. Souvenez-vous, lors des Municipales, on parlait de crise des vocations.