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Lieu de livres, lieu de vivre

BOURG-LA-REINE Laetitia Rojas est directrice de la Médiathèque et ses missions, précise-t-elle d’emblée, « ne se réduisent plus depuis longtemps à celles des bibliothèques d’antan. » S’y sont ajoutés les notions de « lieu de vie » et de « programmation culturelle ». A côté des collections de livres sont valorisés disques-audios, DVD et même jeux de société ou jeux vidéo. Dès lors, en quoi consiste le métier de direction de médiathèque ?

Manager une équipe

Au verbe « diriger », Laetitia Rojas préfère celui de « manager », mot qui dans sa bouche n’est pas galvaudé. Au contraire des caricatures (toujours technocratiques), elle y met « de la dynamique, du souci de l’autre, de l’enthousiasme ».

Elle y voit aussi une « charge mentale très importante », toujours aux aguets d’imprévus qui viennent s’ajouter aux très nombreuses sollicitations propres à sa fonction : une coupure d’électricité qui va impacter le système informatique de circulation des documents, un arrêt-maladie, une demande urgente du Cabinet du maire et tant d’autres raisons. Autant de coups d’épingle à gérer avec beaucoup de réactivité.

« A quoi en mesure-t-on la performance de votre management ? » La question est à mi-chemin entre l’ironie et la curiosité. Le terme même de performance, dans ce contexte, n’est pas bien sérieux. On n’est pas dans la production industrielle.

Elle hésite à répondre, un peu surprise, trouve tout de même des indicateurs qualitatifs. Un, la tutelle politique est contente, les rapports avec les partenaires de la Ville de Bourg-la-Reine et les retours des usagers sont plutôt excellents et encourageants. Deux, ses collègues semblent satisfaits d’être là « au vu des marqueurs classiques que sont les nombres réduits d’arrêts maladie ou de démissions. » Trois, « les indicateurs quantitatifs : presque 140.000 visites, 168.000 emprunts en 2024 et un taux d’inscrits de 19% de la population réginaburgienne ! »

Les deux orientations

Ainsi « manager », c’est rapporter à une autorité territoriale, ici la Ville, et c’est animer la vie collective des personnes qui y travaillent.

Dans le premier cas, c’est définir, entre autres, un projet d’établissement qui conjugue le développement de la lecture publique et une programmation culturelle. « Dans un souci de pluralisme, insiste Laetitia Rojas, tous les publics sont visés, sans distinction ». Ce fut concevoir par exemple avec le Département des Hauts de Seine des initiatives, comme celle des 30 ans de La Science se livre, en février 2026.

Dans le second cas, c’est gérer la difficile répartition des congés de Noël entre les agents, organiser leur présence équitable puisque le Maire de Bourg-la-Reine a souhaité ouvrir la Médiathèque les dimanches après-midi, ce fut la présence requise de tous les agents lors du 10e anniversaire de la Médiathèque en juin 2025. S’y ajoutent bien d’autres aspects humains qui demandent d’avoir « une parole impeccable » et de savoir gérer ses émotions. « Une journée ne ressemble jamais à une autre. »

Inspirée d’Erik Orsenna

Pour assurer la double mission de lecture publique et de « lieu de vie », Laetitia Rojas a des convictions inspirées, dit-elle, d’Erik Orsenna dans son rapport Voyages au pays des bibliothèques. La programmation culturelle doit se penser pour susciter l’envie de lire, donc en lien étroit avec les collections. Lien étroit, qu’est-ce à dire ?

Complémentarités. La Médiathèque, à travers la consultation de ressources (livres, presse, ressources numériques) encourage l’éducation, la recherche et la culture personnelle. Et la programmation culturelle vise à élargir son public à ceux qui ne viendraient pas spontanément pour lire. Appelons ça, facilitation de l’accès à la culture.

De même les rencontres d’auteurs, les expositions, le club de lecture créent du lien autour des œuvres et donnent envie, espère-t-on, de les découvrir.

Au public très diversifié (retraités, lecteurs de presse qui « viennent trouver du lien social », enfants pour le Temps des histoires, étudiants bûchant leurs cours, et bien d’autres…), la Médiathèque répond avec ses différents espaces et services.

Tensions aussi. Les animations peuvent perturber les usagers en quête de concentration. Leur développement peut réduire la place accordée aux collections ou aux espaces de lecture. Les publics ont des attentes divergentes. Les habitués (lecteurs, chercheurs) peuvent se sentir lésés par une programmation trop grand public, tandis que les nouveaux venus peuvent trouver l’offre trop «élitiste».

Il y a un équilibre à trouver et, pour Laetitia Rojas, c’est une identité à conserver pour éviter que la mission première (conservation et diffusion du savoir) ne se dilue dans une logique événementielle.

Un fonds à faire vivre

Et cette identité passe d’abord par les collections. La charte, sur laquelle elle travaille en ce moment, vise à définir la politique d’achat et d’élimination des ouvrages. La place est limitée, le budget aussi, il faut donc faire des choix.

Le fonds en rayon (par opposition au fonds en ligne) compte à la fois des livres et des supports numériques. Chacun d’entre eux se compose de fictions et de documentaires.

Le « documentaire » ne désigne pas le téléfilm animalier ou touristique devant lequel on s’endort avec bonheur. Il s’agit de livres ou de DVD sur la médecine, l’histoire, la sociologie, l’informatique, tout ce qui relève de la connaissance rationnelle. La fiction sans surprise inclut la « littérature blanche » ou les romans, la « noire » les policiers, la SF, etc.

La volonté de la Médiathèque étant de suivre l’actualité autant que possible, « il est nécessaire de renouveler les ouvrages », sachant que le fond « classique » est moins concerné. Sur quels critères le renouvellement se fait-il ? Un logiciel informatique permet notamment « de repérer ceux qui ne sont pas sortis pendant un nombre d’années défini. Ils sont alors donnés à une association caritative de la Ville. »

La politique d’acquisitions est orientée vers un niveau intermédiaire (non universitaire), pour s’adresser au plus grand nombre. La fiction pour les adultes, très demandée, est privilégiée pour compenser sa cherté.

Il faut ajouter les ressources en lignes, dont le musée numérique Microfolie qui se tient au rez-de-chaussée, tous les mercredis de 13h à 16h et les samedis de 10h à 17h (sauf en cas d’animation).

Parmi les nombreuses collections disponibles, citons rapidement des œuvres du Centre Pompidou, du Château de Versailles, du Musée du Louvre ou du Musée d’Orsay, du Grand Palais. Mais aussi des Hauts de France, de résidences royales européennes, de collections du Québec ou encore un « voyage » dans Notre-Dame de Paris.

Elargir les publics

Au-delà du ministère de la Culture, initiateur des Microfolies, Laetitia Rojas présente les partenariats comme un levier essentiel de développement de la lecture et de la culture en général.

La directrice s’efforce à nouer des conventions avec des établissements voisins voire parisiens, comme la Cité de l’Architecture et du Patrimoine dans le cadre de Quartiers 2030. Avec le Conservatoire à Rayonnement Départemental de Bourg-la-Reine/Sceaux, c’est la mise à disposition d’une salle pour l’histoire de l’art en échanges de prestations artistiques. En ce moment, la résidence artistique est mise à disposition d’Anne-Victoire Olivier, chroniqueuse littéraire réginaburgienne. Elle ajoute l’accueil occasionnel de l’association Rencontres poétiques de Bourg-la-Reine, présidée par Philippe Tariel, ou « l’accueil régulier des établissements scolaires, périscolaires et des résidents des structures seniors de la Ville. »

Mais « il faut que ce soit gagnant-gagnant », c’est-à-dire que les propositions partenariales viennent s’insérer dans la programmation de la Médiathèque. Si elle veut innover pour rester pertinente, Laetitia Rojas tient à préserver le « cœur de métier », le livre.

Elle aime citer deux initiatives qu’elle trouve symboliques : le portage à domicile d’ouvrages vers les personnes empêchées. Et depuis trois ans, l’équipe du Pôle adultes de la Médiathèque participe et anime un prix littéraire, en collaboration avec la résidence senior Domitys. Ces initiatives correspondent à la vision que la directrice a de son rôle : « satisfaire les besoins d’un public très varié, tout en veillant à ce que tout soit bien validé par la tutelle municipale. »

Prédestination

Laetitia Rojas n’est pas arrivée à son poste au hasard d’un parcours. La question de travailler en médiathèque ne s’est « pas posée » pour elle. C’était une voie d’évidence qu’elle associe à ses influences familiales.

Son père, natif du Paraguay, était guitariste. En France, il rejoint maints groupes de musique latino-américaine qui dans les années 60/70, faisaient florès. Par parenthèse, il faut écouter les Quilapayun, Atahualpa Yupanqui (pour la profondeur de ses textes, son style épuré et sa voix gutturale), Mercedes Sosa pour ses interprétations poignantes.

Son père, c’est dans une « boîte latino » aujourd’hui disparue qu’il joue, rue Monsieur Le Prince à Paris. C’est là qu’il rencontre celle qui deviendra sa mère.

Et si la culture fait partie de son éducation, c’est une culture immédiate, de proximité, qui se transmet. Sa mère, italienne, tout issue qu’elle fût d’un milieu ouvrier, aime l’opéra et la peinture. Spontanément, Laetitia Rojas n’aurait pas postulé dans un ministère.

Après une maîtrise de Lettres modernes, l’enseignement, seule carrière qui s’ouvre à elle, ne la tente pas. Elle entreprend alors un DUT des Métiers du livre en un an. La formation l’ouvre aux métiers de médiathécaire, de libraire ou de l’édition. Son stage de fin d’études se déroule à la Médiathèque Louis Aragon de Bagneux. Elle démarre ensuite sa carrière en médiathèque jeunesse à Boulogne-Billancourt, puis en tant que responsable d’un centre de documentation pédagogique et artistique pour 4 conservatoires du sud des Hauts de Seine. Elle passe ensuite à la direction de la Médiathèque Jean de La Bruyère de Saulx-les-Chartreux dans l’Essonne, où elle dirige, dit-elle, une « petite équipe très dynamique ». Et c’est ainsi que, voici trois ans, Laetitia Rojas est arrivée à la Médiathèque de Bourg-la-Reine, son « lieu de livres, lieu de vivre ».

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