Le 5 mai, le policier Eric Masson a été tué à Avignon par balles, lors d’une opération antidrogue. Quelques jours plus tard, un homme de 19 ans a été arrêté : il est suspecté d’être le tireur.
Cette mort d’un policier a suscité une grande émotion parmi ses collègues, ce qui a conduit à une manifestation devant l’Assemblée nationale le 19 mai. Pour un moment de recueillement selon certains, des revendications corporatistes pour d’autres, et pour exprimer deux demandes principales : un plus grand soutien politique et financier aux forces de l’ordre, ainsi qu’une plus grande sévérité à l’égard des agresseurs de policiers, gendarmes et pompiers.
Ce n’est pas la première fois que des actions violentes contre des policiers suscitent l’émotion : on se souvient de cette policière tuée chez elle à cause de son métier, de ces cocktails Molotov lancés dans une voiture près d’une cité ou à l’occasion d’une manifestation.
L’émotion est une réaction humaine normale, qui traduit dans ce cas une empathie avec des personnes attaquées. Mais comme le dit le proverbe à propos de la colère, elle n’est pas forcément bonne conseillère.
Elle n’est d’ailleurs pas meilleure conseillère quand elle pointe des violences policières à l’occasion d’une interpellation « musclée » ou de manifestations.
Alors, essayons de prendre du recul, et regardons cette revendication : une plus grande sévérité à l’égard des agresseurs de policiers, gendarmes et pompiers. On soulignera au préalable deux choses : d’une part, le fait qu’un délit ou un crime soit commis contre les personnes dépositaires de l’autorité publique est déjà considéré par la loi comme une circonstance aggravante, d’autre part, et on le comprend aisément, que les forces de police ont à cœur de mettre tous les moyens pour trouver les coupables de ce type d’agressions, comme le montre la rapidité avec laquelle le présumé coupable du meurtre d’Avignon a été arrêté.
La demande de plus de sévérité est une constante dans certains discours, politiques ou syndicaux depuis plusieurs lustres. Avec son corollaire, une justice vue comme trop laxiste, sans qu’il soit précisé si cela vient du législateur ou de ceux qui appliquent les lois, c’est-à-dire ici les juges.
On peut se demander quel est le but de cette demande : s’agit-il d’une logique de vengeance (qu’on retrouve quand on nous dit que la famille de la victime est satisfaite ou non d’un jugement) ou d’une volonté de réduire la violence et le crime ? Nous n’évoquerons ci-dessous que la deuxième piste.
Quel est l’impact des sanctions sur la récidive ? Curieusement, on ne sait pas bien répondre à cette question ! D’abord, parce qu’il faudrait définir de quoi on parle. Est-ce qu’on parle de récidive dans le même délit (un voleur qui vole de nouveau) ou dans le fait de commettre un délit (une personne condamnée pour vol qui conduit en état d’ivresse par exemple) ? Et dans quel délai ? de la même manière qu’on regarde le taux de survie à 5 ans pour un cancer, doit-on parler de non-récidive à 5 ou 10, ou 20 ans ? Et quel taux de récidive sera considéré comme excessif, 50 %, 20 % 5% ?
Il semble qu’on dispose de statistiques pour certains crimes ou délits spécifiques (par exemple concernant la conduite automobile ou les crimes sexuels). Il ne semble pas qu’il y ait de récidive pour les crimes contre les policiers (en revanche des prisonniers ayant blessé des gardiens lors d’une tentative d’évasion, probablement, mais on ne voit pas comment une peine plus lourde diminuerait la récidive, au contraire).
En 1982, la peine de mort a été abolie. Les homicides (les seuls crimes pour lesquels elle était appliquée) ont été divisés par 3 environ, contrairement à ce que les adversaires de la suppression anticipaient à l’époque. Pourquoi cette baisse ? Parce que les meurtriers potentiels savent qu’ils seront très probablement arrêtés aujourd’hui ? Mais c’était déjà le cas il y a 40 ans, notamment quand la police reçoit un appel d’une personne qui déclare « je viens de tuer ma femme ». En réalité les meurtres ne sont que très rarement prémédités. La baisse de la consommation moyenne d’alcool participe probablement des raisons de la baisse des homicides, mais plus globalement, celle-ci est le résultat d’un rejet plus important de la violence dans la société. Dont l’abolition de la peine de mort est aussi un résultat !
Un juge, avec qui je discutais du sujet de la récidive, m’a expliqué un jour que la plupart des délinquants qui rentraient dans le droit chemin le faisaient parce qu’une femme le leur avait demandé (ou l’avait exigé). Il en tirait l’idée que la justice, malgré tous ses efforts, jouait un rôle assez faible dans la diminution de la récidive…
Penser que le meilleur moyen de réduire la délinquance est de durcir les sanctions, c’est le degré zéro de la réflexion sur la sécurité. Penser comme l’a fait, semble-t-il, une partie de la gauche sous Jospin, que réduire le taux de chômage réglera le problème n’est pas plus malin.
En réalité, l’évolution de la délinquance dépend de nombreux facteurs. L’organisation de la police et de la justice en est un. Par exemple, que les moyens de la justice conduisent à des délais démesurés entre les faits et leur sanction ne va clairement pas dans le bon sens.
Comme le notait le ministre de la Justice, un point clé est le lien entre la police et la justice. A cet égard, la présentation qui en est faite dans 90 % des films ou téléfilms policiers est particulièrement contre-productive : le bon policier y est trop souvent celui qui prend des libertés avec la loi et pratique sa propre justice !
Pour aller plus loin :
Bonjour François
Je crois en effet qu’il faudrait un effort plus important dans la formation des policiers, mais je ne connais pas précisément le sujet
Sur les salaires en revanche, on dispose de statistiques abondantes, et il est donc assez facile de constater que la rémunération des agents de police de base est nettement plus élevée que la moyenne de ceux qui ont le même niveau de formation au départ
Rappelons d’abord deux points importants
• La grille de rémunération est plus resserrée dans le public que dans la privé. Le résultat est que les salaires sont plus élevés dans le public pour les moins qualifiés et plus élevés dans le privé pour les plus qualifiés
• Les cotisations salariales sont plus faibles dans le public (15% vs 23 % environ dans le privé) : il faut donc faire les comparaisons en net et non en brut
L’Insee vient de sortir une note sur les salaires dans la fonction publique D’État en 2019 : https://relais.insee.info/wp-content/uploads/2021/06/ip1861-1.pdf
En page 4 on trouve la répartition par décile La médiane est à 2406 €, contre 1871 € par mois (dans les deux cas pour un temps plein
On trouve aussi des éléments ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Revenu_fiscal_par_m%C3%A9nage_en_France
En 2018, le salaire net médian du secteur privé est de 1 871 euros par mois en équivalent temps plein (EQTP)2. Il est de 1 972 euros pour les salariés hommes du privé et 1 737 euros pour les salariées femmes du privé. Le salaire net mensuel moyen quant à lui s’élève en 2018 à 2 369 euros.
Dans la fonction publique d’État, le salaire net médian est de 2 378 euros et le salaire net moyen est de 2 573 euros3.
Regardons maintenant le cas de la police https://www.police-nationale.net/salaires/#indemnite-sujetion-speciale-police
Si on prend le métier de base, à savoir celui de gardien de la paix on trouve comme salaire de base en net (donc après avoir enlevé 15%), 1260€ par mois pour un stagiaire, 1400 €/mois à l’échelon 3 (au bout de 5 ans) 1630 € par mois à l’échelon 8 (au bout de 15 ans)
A cela, il faut ajouter les primes et pour commencer la prime de sujétion spéciale police (ISSP) qui est de 28 % pour les métiers d’application (dont celui de gardien de la paix). Il faut ajouter 3115 € par an comme indemnité de maitrise. Il y a d’autres mesures liées notamment aux horaires de travail.
Avec les deux seules primes ISSP et maitrise, un gardien de la paix ayant 5 ans d’ancienneté touche en net plus de 2000 €, soit 10 % de plus que le salaire médian du privé. Le concours d’entrée est au niveau bac
Gérard Bardier, vous m’impressionnez ! 100% d’accord avec votre analyse. Je noterais malgré tout le point suivant. Les métiers de fonctionnaires étaient il y a 40 ou 50 ans, quelque soit leur position statutaire dans la fonction publique, désirables. Ils offraient des salaires corrects, notamment pour beaucoup de jeunes issus de l’espace rural, une sécurité d’emploi, de bonnes retraites (relativement aux autres) et étaient d’un accès relativement faciles dès lors que l’enseignement jusqu’à 16 ans s’est généralisé. Aujourd’hui c’est très différent. Le niveau moyen de formation a beaucoup augmenté, les qualifications dans l’emploi aussi, les emplois de premier niveau, dans l’administration se sont relativement dévalorisés. Je parle des emplois de premier niveau mais c’est aussi le cas des emplois de second niveau, la catégorie B. Il n’y a qu’à voir les difficultés de recrutement de professeurs. Le niveau des salaires y est évidemment pour beaucoup. Tout ça pour dire que le recrutement des fonctionnaires de la police nationale a du changer. Il n’y a pas de raison que ça ne soit pas le cas. Et je ne pense pas que le niveau de formation ce soit amélioré, au contraire. Ce qu’il en résulte ? Hé bien je pense que la qualité du personnel n’est plus ce qu’elle était, que pour une part il doit y avoir chez les policiers également une « colère sociale » un peu équivalente à ce qu’était celle des gilets jaunes à la différence majeure que celle des gilets jaunes se dirigeait contre le gouvernement alors que celle des policiers se dirige une fois contre les gilets jaunes, une autre fois contre les magistrats, une troisième fois contre le régime démocratique. La proportion des membres de la police nationale ou de la gendarmerie qui votent pour le RN, près de 70%, en témoigne. Il est donc urgent qu’il soit fait un immense effort de formation de ces jeunes policiers, très souvent issus des mêmes quartiers que ceux qu’ils pourchassent des adultes capables de traiter une situation par la desescalade dans les rapports d’agressivité (c’est tout une technique), une revalorisation salariale également – on sait combien ils ont du mal à se faire payer leurs heurs supplémentaires, un soutien psychologique intense car ils sont constamment confrontés à des situations stressantes et une éducation civique qui en fasse des fonctionnaires sans reproche. Un grand chantier qui ne se traitera pas à coup de « doublons les peines pour les délits commis dans les quartiers » comme le propose Valérie Pécresse.