Ce n’est pas tout à fait un hasard si Coralie et Julien Goupillot se rencontrèrent en Thaïlande. « Avant de se connaître, on aimait déjà voyager » Sur leurs cinq semaines de congés, ils en consacrent quatre l’étranger. Mais l’année dernière, ils ont passé un cap. Avec les deux enfants, Paul et Camille, ils entreprirent un « tour du monde » pendant un an. Départ LaVallée, Châtenay-Malabry, le nouveau quartier sur l’ancien site de l’Ecole Centrale de Paris. Point de retour aussi.
Finances
Sont-ils des héritiers disposant d’une fortune familiale ? Si fortune ils ont hérités, elle n’est pas exactement sous forme de billets ou de lingots. Ils sont de familles modestes. Ce qu’ils ont vient d’eux. Coralie et Julien travaillent (« beaucoup » !). Elle est infirmière, il est consultant dans le recrutement.
Economies de longue date. La location de leur appartement en meublé pendant le voyage. La vente bénéficiaire de leur appartement précédent qui leur a permis de s’installer à Châtenay.
Ce tour du monde est d’évidence un luxe. Ils se sont fait plaisir. N’empêche que le budget était limité. Pas de dépassement. Donc, street food et bouibouis pendant un an. Aucune frustration. Une gestion du porte-monnaie en bon père et/ou en bonne mère de famille.

Ils ont donc des noisettes mais quand même pas des tonnes. « On a dû vivre simplement. On allait toujours dans des endroits modestes mais propres. » C’est l’infirmière qui parle. Pas d’imprudence, pas envie d ‘un rapatriement sanitaire. Quand il n’y avait pas d’eau chaude, on se débarbouillait rapidos à l’eau froide. Ce n’était pas vraiment un problème en Asie où il faisait chaud. En revanche, de leur périple en Amérique latine, il se souviennent surtout du froid. Leur itinéraire explique cela. Ils ont beaucoup suivi la cordillère des Andes.
Conditions nécessaires
Au moment du départ Camille a deux ans et Paul en a quatre. Ils sont en maternelle et ne seront pas coupés de leurs amis. A cet âge, les amis d’enfance sont peu nombreux. Avec des adolescents, la chose aurait été différente, peut-être même impossible. Eux sont encore dans l’univers papa maman. A la reprise l’école, en septembre, elle a 4 ans et lui 6. Ils ont suivi les programmes scolaires pendant le voyage. Le grand a appris l’alphabet (il a même appris quelques mots d’espagnol ou d’anglais) et la petite a fait des découpages et des coloriages. Le programme à la lettre.
Ils sont rentrés un 20 juillet pour ménager le temps de réadaptation avant le retour à l’école. De fait, de nombreuses familles qu’ils ont rencontrées en route optent pour un choix identique. Départ été et retour été année suivante. « C’est plus simple. »
Une autre réadaptation. Pour réduire la surface louée, les deux enfants dormaient ensemble. « Ils sont devenus inséparables et au retour, quand chacun a regagné son lit, ça a été un peu difficile. » C’est comme abandonner son doudou. Surtout quand il est en live, qu’il bouge et qu’il parle.
Voyage voyage
Pourquoi tant de peine ? Tant d’effort et de fièvre à se lancer dans cette extravagance ? Où puisent-ils leur inspiration ? Leurs réactions à chaud : découvrir les sites, leurs dimensions, leurs odeurs, leur température. Elle aime la photo, il aime l’histoire. Mais l’album photo, le livre ou le documentaire donne des vues « théoriques ». Ils veulent un lien physique. En Inde, ils étaient dans le fourmillement, oppressant parfois, dans la force religieuse, dans les comportements.
Capter l’ambiance des lieux. Voir de ses propres yeux. Voir aussi ce qui est « interdit à la photographie » (pour des raisons de conservation ou de culte). Tenter de voir « l’envers du décor » (ce qui est bien ambitieux, que connaît-on des décors et des envers de l’autre bout du monde ?) Entendre. Saisir les échos.
Hiroshima. Le mémorial avec les vêtements brûlés, les chaussures brûlées, des films qui disent sans phrases ce que le bombardement fut. Et le musée avec Hiroshima avant et Hiroshima après. Vivre le silence glacial, l’incroyable présence de la mémoire qui pénètre en soi. Peut-être à cause de visiteurs japonais en larmes.
Le bonheur d’avoir connu le Nouvel an à Sydney, le feu d’artifice majestueux et la vue sur l’opéra, ce mystère de béton aux formes de voilures qui donne sur la baie. En fait, il y en eut deux : un à 21h dans le jardin botanique pour les familles et les partisans du piquenique (les deux sont compatibles). L’autre à minuit avec le compte à rebours : 9,8,7…

Le Perito Moreno en Patagonie argentine est un glacier de quelque 60 mètres de haut et large de de 5km. « On entend la glace qui craque, se détache. » Ils vivent leur taille minuscule dans cette nature géante. La réalité marque les enfants en même temps que les disproportions. Ils semblent comprendre de leurs cinq sens que la nature est grande et que nos corps sont petits.
Les enfants ont retenu des choses. Quand ils auront grandi, les parents en sauront plus sur ce qui les a durablement marqués. Pour l’heure, ils se souviennent bien du Machu Picchu, la citadelle Inca perchée dans les hauteurs de la cordillère des Andes. « Nous avons dû leur transmettre notre pulsion, pense Coralie ». Pour Julien, la résonance vient de l’idée que le site est millénaire, qu’il sera sans doute, pour le préserver, interdit bientôt, que les Incas avaient du génie. Ces visions le font « retomber en enfance… les Egyptiens, les Chevaliers, Les Incas. J’adorais les hiéroglyphes et les pharaons 😉 » Pour elle, la nature nous remet à notre place. Voir aussi comment les gens vivent ailleurs. Avec si peu. Quand nous demandons tant.
Le désert de sel, en Bolivie du sud, on dirait de la neige. Interminablement. A 5000m d’altitude. La chance de vivre ça. Parce que d’abord et avant tout, ils remercient leur chance.
Trajet
Au début était le choix. « En un an, on ne fera pas tout. » Ils avaient déjà visité des pays d’Afrique, d’Europe et d’Amérique du Nord. Ils choisissent l’Amérique du Sud, l’Océanie et l’Asie. Ils adorent l’Asie. L’Océanie était sur la route, comprendre : dans les limites du budget avion.
Il a fallu passer par les USA car entre Tahiti et l’Amérique du Sud, c’était un vrai casse-tête. Pas beaucoup de destination à partir de Tahiti. Entre San Francisco et Buenos Aires, il a fallu 24 heures et 3 vols.
Ils n’ont pas aimé les quelques jours à San Francisco. 1) Ils y passaient par obligation. 2) Tout était cher, le logement, la nourriture. 3) Le centre-ville était « glauque ». La presse a largement évoqué, ces dernières années, la chute catastrophique des commerces, la multitude de sans-abri et de victimes d’overdose. On pensait que la ville remontait la pente. Si l’on suit les Goupillot, il reste encore du chemin. En revanche Alcatraz les a passionnés. « Mythique » Ah ! quel intérêt de visiter une prison ? « S’imaginer la vie des prisonniers. » Vu comme ça.
Mode d’emploi
Faire le tour du monde, le TDM pour les initiés, n’est pas forcément s’isoler dans le vaste monde. Car il existe une « confrérie » des familles faisant un tour du monde. Avec cependant des profils différents. Ceux qui ont tout vendu pour larguer les amarres et se construire une vie nouvelle, ceux qui sont « en mode parenthèse pour un an seulement ». Dans les deux cas, que de rencontres, que d’entraides, que de découvertes de lieux auxquelles ils n’auraient jamais pensé.
Quelles occasions pour les parents de rencontrer d’autres adultes et pour les enfants de rencontrer d’autres enfants. Ils ont été des voyageurs connectés. Mieux « sans Insta ou Facebook, on n’aurait pas vécu tout ça. » (On en relève ici un usage positif). Il était facile de se voir, de se retrouver, d’ajuster des destinations, de partager des repas, des passions, des galères, des plans visite, des entraides. De voir jouer des enfants du même âge, avec la facilité de parler français.

« Un an, c’est long. » Et c’est fort aussi, on le comprend à la façon de rappeler l’effort. Et des liens durables ont été noués avec des familles. « La solidarité d’expats », suppose Julien. La proximité géographique est sociale aussi. Comme toujours.
Ils ont passé de deux à six semaines par pays (USA exclus qui n’étaient qu’une escale). Une moyenne de trois semaines par pays. De quoi se faire une idée. Mais avant de passer à l’idée, Coralie donne une liste des premières actions à mener en arrivant dans le pays. Acheter une carte SIM, en général en supérette. Appel à la famille, (tout va bien, où on est), appels aux amis ou connexion sur la « communauté » des « TDMistes ». Puis changer de l’argent ; souvent, c’était un sport et il fallait y passer la journée. Ensuite, laverie. On ne plaisante pas avec ça. On s’installe. On a réservé auparavant par Booking ou AirB&B. Les courses. « On faisait avec ce qu’il y avait, on n’est pas difficile. » Une seule contrainte : la continuité chocolatée dans les petits-déjeuners et les goûters des enfants. Puis planning du lendemain. Le soir, journal de voyage sur Internet et « c’est beaucoup de temps ».
Retour
Un an, c’est long, c’est une « charge mentale ». En rentrant, « on a lâché la pression. » Ils l’avaient lâchée au moment de partir par rapport au travail, par rapport au quotidien. Ils la relâchent au retour par rapport à la fatigue des déplacements permanents. On retrouve une gastronomie, on se ressource, on retrouve un quartier qui a énormément changé. On était parmi les premiers à s’installer à LaVallée. C’était vide. Maintenant, il y a du monde, le Beer’s corner, les restaus, l’école, le Gifi, la salle de sport….
Julien est content d’être rentré (il était content de partir). Ce fut une belle parenthèse. Une belle chance. Coralie est contente d’être rentrée aussi et déjà, elle pense à aller voir ailleurs, au Canada ou en Scandinavie. On verra. En attendant, il faut travailler. D’abord ils amassent des noisettes, ensuite, ils voient comment s’en nourrir au mieux.

