Voilà deux ans, Alexandra Varsat et Kélian Tauban créaient Modulus. Ils ajoutaient à leur activité d’architecte, qu’ils mènent séparément, des offres communes de maquettage (entendez à usage professionnel). Par quel hasard les a-t-on rencontrés ? C’est qu’ils sont les auteurs, les artisans de la maquette de la Cité Jardin de Châtenay-Malabry dont on peut juger de la maestria les mercredis de 15h à 19h à l’Espace Projet, place François Simiand.
C’est une commande de la ville destinée à suivre la rénovation du quartier dans les années à venir. La maquette évoluera par modules à mesure des travaux. Déjà, elle en impose : son 1,60m sur 3,30m, les centaines de bâtiments et la multitude d’arbres modélisés avec les rues, les passages et les escaliers, la topographie avec le relief, l’environnement végétal à l’échelle, les grands axes, les îlots. C’est que représenter 70 hectares dans 5 m2 dans un respect scrupuleux des formes et des proportions suppose des maitrises techniques à tous les étages. Et même en rez-de-jardin.
Rencontrés à l’école d’architecture
Alexandra Varsat et Kélian Tauban se sont rencontrés pendant leurs études d’architecture à Paris. La sympathie réciproque a perduré. Tandis que chacun travaille en agence d’architecte, ils y comprennent à la fois l’importance de l’outil maquette, les besoins auxquels il répond et les savoir-faire particuliers qu’il réclame. Manipuler physiquement des volumes pendant la phase de conception stimule l’exploration intuitive et les découvertes fortuites. « Certains architectes trouvent cette approche plus créative que le travail sur écran. »
Il est habile de ses mains. Elle maitrise la modélisation numérique. Ce n’est pas étanche, ils savent faire les deux, mais les sensibilités organisent une division naturelle du travail. « Nous maîtrisons un large spectre de savoir-faire, dit Alexandra Varsat. Cela va de la modélisation numérique avancée à l’impression 3D, en passant par la réalisation de maquettes physiques, le dessin et l’aquarelle. » Ils combinent ces compétences et ont investi dans des outils et machines de qualité professionnelle « pour garantir la précision et la finesse de nos productions. »

Ils travaillent les plastiques (la variété est grande), les bois, le balsa, le carton-bois et les essences, le plexiglas, l’époxy (coulage-résine), les algues séchées, des plantes naturelles. De celles-ci, ils font des arbres. La dimension tactile et sensible est d’une autre nature que le numérique (la réalité virtuelle). Elle crée transparence, masse, légèreté par la vue d’ensemble et la matérialité des éléments. Les intentions architecturales ou urbaines se font plus tangibles.
Ajoutons la lumière, ils y voient une matière. Ils la travaillent comme telle et n’hésitent pas à solliciter des éclairagistes. Une maquette sous une source lumineuse montre les effets d’ombre portée à différentes heures, les jeux de lumière sur les façades, l’ensoleillement des espaces publics. Ils le résument: « Nous pouvons intégrer le soleil comme les feux de signalisation à nos créations.» Dans un projet, la lumière est vue comme un acteur à part entière, au même titre que la matière ou la structure.
Mais plus généralement, une maquette physique est pour eux une sorte d’orfèvrerie. C’est qu’ils savent qu’elle est un instrument de communication autour duquel se jouent des décisions complexes. Alexandra Varsat et Kélian Tauban, selon les besoins, savent pousser le réalisme dans ses derniers retranchements. Et ils ont dans leur réseau tous les corps de métier nécessaires : menuisier, ébéniste, scénographe lumière et son, modélistes.
Le brassage du numérique et de la matière
S’ils excellent dans les dimensions urbaines, ils savent faire plus réduit. Leur devise : « L’Art de la maquette à votre échelle. » Un meuble improbable (ils parlent d’un sur-mesure sophistiqué pour un DJ), une maquette de ce que vous voulez. Qui peut le plus peut le moins.
Leur pratique ne se limite pas à la forme — elle s’étend à la perception. Ils savent mettre en éveil les sens et conçoivent des projets où le toucher devient un mode de lecture de l’espace. Certaines de leurs maquettes utilisent le braille et permettent à des non-voyants de comprendre l’organisation et les ambiances d’un lieu. Ils évoquent un bâtiment, une verrière imaginée pour un restaurant, dont la maquette, avait une flexibilité capable de configurer des événements selon différentes organisations : « nous voulions démontrer la vitalité et la modularité de nos conceptions », précise Kélian Tauban.
No limit : même un prototype de jeu de société animé par des systèmes de coulisses sophistiqués devient pour eux un terrain d’expérimentation. Chaque projet est une occasion de révéler la richesse des outils qu’ils maîtrisent et leur« capacité à transformer la technique en matière créative ».

Avec le numérique, le domaine d’Alexandra, on chemine dans un labyrinthe dont les chemins sont aussi élastiques que la fantaisie humaine. On peut déambuler dans une fiction totale comme dans un quotidien très ordinaire. Les maquettes numériques excellent à inventer des points de vue, des perspectives, des parcours, des découvertes. Elles sont souples, permettent de tester rapidement des options de formes, de volumes, de façades ou d’aménagements intérieurs. Ce qui fait sa force dessine en creux les atouts de la représentation physique.
Laquelle offre une appréhension intuitive de l’espace. Elle compose le visuel et la matière. On perçoit les volumes et les proportions sans l’intermédiaire d’un écran. On se déplace autour, on se baisse, on ferme un œil, on se recule, on se penche sur un bord pour dégager une perspective. On tourne comme autour d’une sculpture. « Elle est compréhensible pour tout le monde, quel que soit l’âge », dit Alexandra Varsat. Et qui connaît les tâtonnements de certains face à la souris, à l’écran, au zoom avant, au zoom arrière, sait combien les manipulations informatiques peuvent rebuter ou même dissuader.
Suivre un projet urbain
On comprend dès lors qu’une municipalité comme Châtenay y ait recours. La Cité Jardin est un projet qui va s’étendre sur une bonne décennie. La ville veut accompagner la transformation et elle a commandé à Modulus une maquette conçue pour suivre le phasage des travaux. Comme un puzzle, elle est faite de blocs dont on perçoit les découpes quand on y regarde de près (de très près). À mesure de la définition d’un nouveau quartier, d’une nouvelle place, d’un projet immobilier, il suffit de changer un bloc. Ainsi, l’évolution prévue est située d’emblée dans le projet d’ensemble. Les liens entre rénovations et l’existant, et de fait la valorisation de l’existant deviennent facilement intelligibles.
La miniature avec son côté artistique attire l’œil. En réunion publique, elle crée un point focal autour duquel les gens se rassemblent naturellement. Kélian Tauban interprète la situation comme « une démocratisation de l’accès au projet ». Tout le monde simultanément peut s’approprier une représentation sans compétence technique. « On est dans le palpable. » On voit d’un seul regard le tout et le particulier. On l’enveloppe. Pour Kélian Tauban, la curiosité du public voire son inquiétude (une transformation urbaine en suscite toujours) s’exprime alors plus concrètement.
Torsader les techniques
C’est au reste dans un esprit semblable que l’utilisent les architectes. Accompagner un projet avec leurs clients, un promoteur, une copro. La maquette physique ajoute sa propre histoire à celle de la maquette numérique. Et les agences l’utilisent volontiers dans les phases d’étude. Justement, pour exprimer et anticiper les besoins en coordination des différents métiers. D’autant que la lumière, la sensation d’espace montrent comment les bâtiments interagissent, comment les rues jouxtent et structurent le bâti. Comment une résidence prend place dans le quartier ou plus généralement dans une zone urbaine. Le ressenti englobe les grandes et les petites dimensions.
S’il convient d’insister sur ce qui distingue physique et numérique, que ne soit pas en évitant les avantages de leur combinaison. Pour être « imprimés » en 3D, tous les immeubles de la Cité Jardin ont été modélisés, autrement dit numérisés et travaillés à l’ordinateur en fonction de leurs particularités. Chez Modulus, on sait aussi dessiner une esquisse, peindre une aquarelle pour exprimer l’esprit d’un projet.
En phase préliminaire d’exploration d’une idée, les volumes rapidement exécutés en bois, en carton seront affinés avec des esquisses numériques. Pour une validation esthétique, la maquette d’ambiance avec ses choix de couleurs et de matières sera complétée d’images pour comparer les perceptions. Lors d’une présentation à des clients ou à un public, la maquette à l’échelle se combinera avec une visite virtuelle. Tandis que pendant un chantier ce sont les artisans avec qui il faut partager les données techniques gérées en numérique et la référence visuelle de l’ensemble donnée par la maquette physique.
Les combinaisons de savoir-faire matériels et virtuels, voilà bien le domaine partagé d’Alexandra Varsat et Kélian Tauban. Parce que communiquer autour d’un projet urbain ou architectural demande l’alliance du plan construit et du monde anticipé. Qu’il faut éclaircir, discuter et rassembler sur du possible et du réel. Dessins, aquarelles, maquettes virtuelles ou 3D voire constructions mixtes aux matériaux composites, rien n’est de trop quand ils travaillent à représenter les potentiels d’un espace commun.
En savoir plus
Visite de la maquette de la Cité Jardin à l’Espace Projet, place François Simiand : les mercredis de 15 h à 19h à partir du 5 novembre (hors les vacances scolaires).

