Le haut-commissaire à l’Énergie atomique semble le penser : il observe qu’au moment de la journée où la production solaire est maximale, il y a trop d’électricité produite. Installer de nouveaux panneaux ne ferait qu’augmenter le problème et est donc inutile.
En février, dans l’avis que la loi lui demande concernant la programmation pluriannuelle de l’énergie, il déclarait : « Les nouveaux investissements énergétiques en période de surcapacité ne feront qu’augmenter celles-ci avec des coûts importants sur le consommateur et pour le contribuable. » Cet été, il réitère pour alerter sur les coûteuses surcapacités observées ces derniers mois. On parle ici de milliards d’euros.
Risques de surcapacités photovoltaïques
Pour comprendre le message du haut-commissariat, il est indispensable de faire un détour en expliquant le fonctionnement d’un réseau électrique et son adaptation aux variations de l’offre et de la demande.
Les panneaux photovoltaïques produisent de l’électricité à partir des rayons du soleil. Ils ne produisent donc pas la nuit et leur production augmente rapidement le matin pour décroître tout aussi rapidement l’après-midi, avec donc une pointe en milieu de journées (du moins les jours de beau temps). Les pics de production sont plus élevés de mai à août, quand le soleil monte plus haut dans le ciel et que les journées sont plus longues. On l’a compris, la production photovoltaïque est extrêmement variable dans le temps. La production éolienne est également variable, mais ses fluctuations se font sur des durées nettement plus longues.
Mais l’électricité ainsi produite ne se stocke pas, elle doit être consommée au moment où elle est produite. Le régulateur (RTE en France) agit pour équilibrer l’offre et la demande à chaque instant. S’il n’y a pas assez de production, il fait appel aux producteurs qui ont une capacité encore non utilisée (par exemple les turbines à gaz qui démarrent en seulement 20 minutes) ou à l’importation (s’il y a encore des lignes non utilisées pour le transport). Si aucune de ces solutions n’est possible, il est obligé de couper l’alimentation d’un secteur de consommation.
A l’inverse, s’il y a trop de production, on arrête certaines capacités. En France, comme il ne reste pratiquement plus de production à partir du gaz ou du charbon, c’est le nucléaire qui est invité à réduire sa production. Problème : les temps d’arrêts et de démarrage d’un réacteur nucléaire sont trop importants au regard de la vitesse de variation de la production photovoltaïque. Les ingénieurs d’EDF ont pallié ce problème en trouvant les moyens de moduler rapidement la production. Mais cette modulation est limitée. Elle permet de baisser la production instantanée (normalement égale à la capacité nominale) de 10 ou 20 % mais pas au-delà. C’est une solution coûteuse pour EDF : la production (donc les recettes) diminue alors que les coûts sont fixes. Mais on ne peut pas arrêter les réacteurs, car on a en besoin quand le soir tombe et que le photovoltaïque ne produit plus.
A l’inverse en période de modulation, une augmentation de production d’un réacteur modulé ne coûte rien à EDF. Conséquence, le prix « spot » de l’électricité est nul. Le problème est le même chez nos voisins, même s’ils n’ont pas de de nucléaire. En période de surproduction, les prix spots sont nuls, voire négatifs. Ce qui affectera les recettes et l’équilibre économique des producteurs si cela arrive souvent. En France, les producteurs photovoltaïques (ou éoliens) n’ont pas ce problème, puisque leur prix de vente est garanti par l’État. C’est le contribuable qui paye.
Les capacités de production électrique d’origine solaire ont beaucoup augmenté ces dernières années. En France elles sont aujourd’hui de 21 GW (61,4 GW pour le nucléaire). Elle se traduisent par des surcapacités en milieu de journée. De nouveaux investissements photovoltaïques se traduiront par une augmentation de ces surcapacités diurnes, sans augmentation des capacités de production nocturnes
Nombreuses périodes de surcapacités
La note du haut-commissaire cet été fait le constat que les situations de surproduction sont de plus en plus nombreuses. Il alerte sur leur forte augmentation prévisible les toutes prochaines années. Il observe que les limites techniques de modulation du nucléaire étant de plus en plus souvent atteintes, c’est maintenant au solaire qu’on demande de s’effacer. Donc les nouvelles installations photovoltaïques ne vont pas produire, c’est un investissement inutile.
En 2023, il y a eu sur toute l’année une centaine d’heures de production à prix nuls ou négatifs (à comparer aux 8760 heures dans une année). En 2024, il y en a eu trois cent soixante. Un nombre qui a déjà dépassé en juin pour l’année 2025 et que l’on prévoit de voir dépasser les 700 heures d’’ici la fin de l’année. Le site electricymaps informe en temps réel sur la production, ses sources et les prix spots. Le 15 septembre, les prix sont nuls dès le début de la journée (à cause de l’éolien et de vents importants) et ils ne commencent à augmenter qu’à partir de 18 heures. Depuis fin mai 2025, l’état impose l’arrêt de l’éolien en mer en cas de prix spots négatifs.
Le haut-commissariat prend l’exemple de la semaine du 26 au 31 mai 2025. Tous les jours, en milieu de journée, il y a eu plusieurs heures de réduction (modulation) de la production nucléaire et il y a eu tous les jours des périodes de prix nuls voire négatifs (le 31).
Le 29 mai, il a fallu aussi moduler le solaire : la puissance de production a été diminuée de 4 GWe entre 2h et 17h, soit dit la lettre, 20 GWh non produits mais payés par le contribuable (si on compte 100 € le MWh, cela représente pour cette seule journée un coût de 2 M€).
Réduction de la demande
La note aborde ensuite la question de l’évolution de la demande (du côté des consommateurs donc). La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 3) devrait être promulguée très bientôt. Elle prévoit une forte augmentation de la consommation, passant de 475 TWh en 2019 à 615 TWh en 2035, soit une augmentation de 140 TWh sur lé période, se répartissant essentiellement entre l’électrification du transport routier, les nouveaux besoins de l’industrie et la production d’hydrogène. Or, les électrifications réelles sont beaucoup plus faibles que prévues : résultat, la demande a au contraire tendance à décroître (lentement) depuis 2019, que ce soit sur l’année ou sur les mois de printemps où sont observés récemment des prix nuls.
Le nucléaire est indispensable la nuit
La note explique ensuite que le parc nucléaire est en train d’atteindre ses limites techniques pour ce qui est de moduler rapidement sa production : 20% de la capacité maximale (et encore pas pour tous les réacteurs). La solution consistant à arrêter un ou plusieurs réacteurs se heurte au temps important (plus de 24 heures) nécessaire pour le(s) relancer. Or, le photovoltaïque ne produisant pas la nuit, il faut alors que les réacteurs tournent à pleine capacité.
Agir sur la demande et non sur l’offre
En conclusion la note constate que l’offre est en train de devenir largement excédentaire(au moins à certaines heures). Elle préconise d’agir plutôt pour augmenter la demande, l’enjeu majeur étant de substituer une production électrique très largement décarbonée à l’utilisation d’énergies fossiles émettrices de gaz à effets de serre.
En annexe, la note observe les projets considérables d’installation de photovoltaïque en France mais aussi chez ses voisins allemands et espagnols, projets qui ne peuvent qu’augmenter les surcapacités de production en journée déjà observées.
En effet, et ça aurait pu être mon 4e point :
La France a stoppé ma prime renov et donc les aides à la mise en place de pompes à chaleur, l’isolation… Donc les gens installent des chaudières gaz
=> des émissions GES garanties pour 20 ans !
C’est débile
Mais pas la peine de pleurnicher sur l’électrification des usages qui ne se fait pas : c’est un choix politique de la France qui se traduit par des émissions de GES qui ne baissent quasiment plus.
Tout le monde parle du choix discutable des allemands de gérer la variabilité des ENR avec des centrales gaz destinées à fonctionner à l’hydrogène decarboné dans le futur. D’autres pays font d’autres choix, notamment avec les batteries pour gérer cette variabilité : Quasiment tous les pays européens seront proches des 100% ENR vers 2040, sauf la France.
Le Portugal, l’Autriche et le Danemark sont déjà à 82% de renouvelables, sans nucléaire ! Beaucoup sont déjà au dessus de 50%.
En 2040, nous, on aura l’air malins avec nos EPR hors de prix, pas terminés ou en panne et nos vieux réacteurs fissurés fermés pour raisons de sécurité…
2022, avec plus de la moitié du parc nucléaire à l’arrêt pendant des mois pour panne ou maintenance (ça, c’est de l’intermittence et totalement imprévisible contrairement aux ENR !) est un avant goût de ce qui nous attend.
Abandonner les ENR parce qu’on fait les choix politiques qui empêchent d’utiliser cette énergie decarbonée et très très peu chère, c’est stupide.
Stopper un parc éolien qui produit une électricité à coût marginal nul pour utiliser à la place une électricité plus chère, c’est pas très malin
Les ENR sont la 1ère source d’électricité en Europe depuis quelques années
Elles vont devenir la 1ère source d’électricité au MONDE cette année, d’après l’AIE, justement parce que tous les pays au monde développent massivement le stockage et que c’est nettement moins cher que tout le reste, sans parler des risques apocalyptiques qui peuvent forcer des millions d’européens à déménager pour plusieurs décennies et des déchets.
Sauf la France.
Ils sont tous débiles sauf nous ?
https://www.revolution-energetique.com/actus/cette-carte-illustre-le-retard-colossal-de-la-france-en-matiere-de-stockage-denergie/
Bonjour,
Sur le constat que l’on a mal équilibré le développement de la production avec l’évolution de la demande d’électricité, on ne peut qu’être d’accord mais on aurait pu titrer « Une demande d’électricité en berne face à des enjeux de décarbonation qui ne devraient pas attendre… » ce qui aurait sans doute été moins provocateur, mais sur le plan journalistique peut vendeur. Si il y a effectivement quelques approximations dans l’article comme le souligne François, le gros du message sur notre retard en matière de décarbonation me semble pertinent. Dans un système où la libéralisation a multiplié les acteurs, la solution (déjà naturellement complexe….) ne sera pas simple à trouver. Méfions nous des yaka / faucon ….
Pour terminer sur une note positive (on n’en a besoin), je partage l’annonce du changement des heures creuses prévue pour le 1er novembre que François appelle de ses voeux dans son commentaire : https://www.service-public.gouv.fr/particuliers/actualites/A18476.
Enfin, j’en profite pour rectifier une des imprécisions de l’article : ce n’est pas le contribuable qui finance les tarifs de rachat mais le consommateur via une taxe sur les kWh qu’il consomme (l’accise sur l’électricité : https://www.quechoisir.org/conseils-facture-d-electricite-les-points-cles-pour-la-comprendre-n47800/).
Bonjour Gérard
Tu dis :
« En France, les producteurs photovoltaïques (ou éoliens) n’ont pas ce problème, puisque leur prix de vente est garanti par l’État. C’est le contribuable qui paye »
Ceci n’est vrai que pour les petites installations des particuliers, et pour les grosses c’est l’état qui impose depuis 2024 des contrats CFD uniquement pour les ENR (pas pour les fossiles).
CFD : contract for différence => si le prix marché est inférieur au contrat, l’état paye effectivement le complément
Inversement, si le prix est supérieur, c’est l’état qui empoche la différence, mais que pour les ENR, pas pour les fossiles qui ont bénéficié des prix astronomiques de 2022.
C’est ce type de contrat qui est envisagé pour les EPR2 qui risquent d’être nettement plus chers que le prix de marché => les EPR seront subventionnés par le contribuable. (La cour des comptes évalue à 120€/MWh Flamanville quand il était à 19Md€. Maintenant à 24Md€ et toujours en panne, on est autour de 150€/MWh alors que le prix de marché est autour de 50 – 70€/MWh).
Pour comparaison, le contrat du parc éolien EDF offshore de Dunkerque est à 44€/MWh, et le solaire autour de 30€ voire 10€ dans le sud de l’Europe. (Solaire + stockage autour de 65€)
Avec ce système, la quasi totalité des subventions publiques aux énergies renouvelables ont été remboursées : donc le contribuable a été remboursé.
Par ailleurs :
«Contrairement à la légende, les renouvelables n’ont pas de priorité d’accès au réseau», assure Thomas Veyrenc, DG de RTE
C’est parce que les ENR ont un coût marginal nul qu’elles sont achetées en premier ! Normal, il n’y a pas moins cher !
Le vrai problème, c’est que
1) l’état n’a pas joué son rôle pour électrifier les usages : Jusqu’à cette année, 5 milliards de subventions publiques/an étaient allouées aux véhicules THERMIQUES via la defiscalisation des véhicules de société alors qu’un rapport de 2017 proposait de réserver ces subventions aux voitures électriques. Et si les entreprises n’achètent pas de voitures électriques, il n’y en a pas sur le marché de l’occasion => on ne décarbone pas les transports => ça nous coûte 70 milliards d’importations de pétrole /an
2) la France est extrêmement en retard sur le stockage qui permettrait d’utiliser cette électricité decarbonée (tout le monde investi massivement dans les batteries sauf nous : les batteries viennent de doubler les barrages pour le stockage au niveau mondial)
3) même si on en parle, il n’y a toujours pas d’heures creuses en milieu de journée l’été pour inciter à utiliser cette production et pire, RTE ne déclenche toujours pas les chauffe-eau à ce moment alors que ce serait extrêmement facile à faire.
https://www.usinenouvelle.com/article/contrerement-a-la-legende-les-renouvelables-n-ont-pas-de-priorite-d-acces-au-reseau-assure-thomas-veyrenc-dg-de-rte.N2233431
La note du CEA propose en effet d’agir sur la demande plutôt que sur l’offre. On en est encore à mettre du chauffage au gaz (énergie fossile) dans les nouvelles constructions, une aberration!
Le soleil est une énergie intermittente. Les allemands ont choisi d »investir massivement dans les turbines à gaz pour compenser ce problème. Et ils bénéficient à fond du parc hydraulique suisse pour prendre le relais du soleil (ou de l’éolien). J’imagine que les suisses font un joli bénéfice avec ça : ils ne produisent que quand les prix sont élevés
En France, les tenants du renouvelable en sont encore à nier qu’il y ait un problème, ils ne risquent pas de promouvoir les solutions!
En attendant, la note du CEA a mis le doigt sur un problème majeur
Le CEA (commissariat à l’énergie Atomique) a en effet mis le doigt sur un problème majeur… pour le nucléaire !
Si les réacteurs doivent réduire leur production parce qu’il y a pléthore d’électricité à coût marginal nul (tout simplement parce que les clients préfèrent acheter en premier l’électricité la moins chère), leur coût déjà exorbitant augmente :
Si Flamanville est utilisé moitié moins, le coût du MWh double
300 €/MWh au lieu des 150€ calculés avec les chiffres de la cour des comptes, contre 65€ pour le solaire +stockage.
C’est le principe du « merit order », concept théorisé par un jeune économiste qui a juste eu le prix Nobel pour ça.
En privilégiant ce principe du coût marginal du dernier moyen de production appelé, cela entraîne une baisse des coûts globaux du système au grand bénéfice des citoyens tout en évitant les black-out : cela incite les producteurs à baisser leurs coûts et avoir des réserves disponibles, même si elles sont très chères, en cas de pics de la demande.
Sinon, avec un prix couvrant les coûts de production (que beaucoup demandent), ils n’ont aucun intérêt à baisser leurs coûts… => le système coûterait beaucoup plus cher aux citoyens
Donc, oui il y a un problème, mais la solution, ce n’est pas arrêter les renouvelables, solution décarbonée avec le plus de potentiel et la moins chère d’après le GIEC, sans danger, rapide à déployer et sans déchets
La solution, c’est développer le stockage et les flexibilités.
D’ailleurs c’est ce que disait le rapport RTE, et ça tombe bien, c’est techniquement possible et moins cher que rester au nucléaire (p603 2e rapport RTE imposé par référé de la cour des comptes avec les vrais taux d’actualisation et le coût des déchets).
Cet économiste s’appelait Marcel Boiteux et est devenu président d’EDF.
https://rte-futursenergetiques2050.com/documents
https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/figures/summary-for-policymakers/figure-spm-7/