Dans son bureau de la mairie de Fontenay, la lumière d’hiver donne une épaisseur particulière à sa façon de peser les mots. Les Ardennes, d’où il vient, restent dans sa voix. Michel Renaux vit pourtant à Fontenay depuis 43 ans. C’est son premier mandat de conseiller municipal. Adjoint à l’urbanisme, les polémiques, il les connaît maintenant. Dans les villes, l’urbanisme concentre tous les affects. Normal, il fait notre quotidien.
Michel Renaux semble avoir vécu le plus dur, armé d’une patience peut-être apprise dans les ateliers. Il y a comme ça des vies qui se construisent pas à pas. Sans bruit. Des vies qui portent en elles des histoires industrielles, la transformation des villes, le temps qui passe. Il ne le dit pas. Il aime parler de son travail. Les télécoms.
Il est ingénieur. L’entreprise où il travaille, les précédentes ? Il ne les nomme pas. C’est comme ça. Une question d’éthique, les services de communication n’ont pas été sollicités (on les sait souvent tatillons). D’ailleurs, ça n’a aucune importance. L’important est ce qu’il fait et comment il y est parvenu.
La techno et le tambour
Ardennes. Né à Sedan, il y fréquente l’école primaire et le collège. En 4e, il découvre en classe les technologies. Elles le passionnent. Il n’est pas spécialement bricoleur, mais avec son père, il bidouille des circuits, fait allumer ou éteindre des lampes. Il a de qui tenir. Son père est électricien, artisan d’abord, puis il rejoint les services techniques de la ville pour en devenir ensuite un des responsables. On peut y voir une ressemblance avec l’évolution de carrière que connaîtra Michel Renaux.
« J’ai préféré ensuite le lycée technique. » À Reims, il est interne. Il y passe un bac électrotechnique, mécanique, automatique. Il poursuit à Longwy avec un DUT automatisme. Entre Sedan et Longwy, il garde de son enfance tous les effets du déclin industriel.
Service militaire à Berlin, dans la musique. Il est tambour. Il faut dire qu’il en joue depuis l’âge de 7 ans. Non qu’il ait des antécédents familiaux. « Dans la région de Sedan, il y avait des fanfares dans toutes les communes. » Ce qu’il aime, c’est le défilé, la marche, le pas. Pour cette raison, il n’aime pas particulièrement la batterie. Les fesses sur un tabouret, pas son genre.
À Berlin, contrairement à ce qu’on pourrait croire, il joue souvent. Répétition tous les matins et prestations l’après-midi, quand il ne tire pas quelques cartouches. Cérémonies et pas que militaires. Il y a des fêtes de quartier, des kermesses. Bien qu’elles soient civiles, il était d’usage alors que l’armée française y participe… en tenue. Autres temps. Il en reste quelque chose : « De cette période, dit-il, j’ai conservé un intérêt pour les cérémonies patriotiques. » Aujourd’hui, il est porte-drapeau pour l’Ordre des Médaillés Militaires.
Devenir ingénieur
Durant le service, Michel Renaux lit TAM (Terre Air Mer), une revue techno du ministère des Armées aujourd’hui disparue. Il y trouve des annonces et, pendant une permission de 3 jours, il enchaîne les entretiens. Le lendemain de la quille, à la Saint-Michel, il embauche dans une boîte de télécoms.
On est au début des années 1980, il arrive à Fontenay et s’installe au foyer de jeunes travailleurs. L’informatique entre dans les processus industriels. Du côté télécoms, on programme sur des circuits intégrés (les « puces ») des fonctions compliquées (de traitement du signal). Il commence par le hardware, le prototypage, les tests. Puis il passe au micrologiciel. À l’époque la conférence téléphonique n’était pas sur étagère. On faisait à la main. Pour imaginer ce qu’il y avait à faire, il suffit de se demander comment ça marche. Comment marche une conférence téléphonique, un renvoi d’appel, tout ce qui nous semble banal et dont on ne se demande jamais ce qu’il y a dessous.
Dans les années 1990, après une formation interne exigeante, le technicien devient ingénieur. Pendant un an, en plus de son travail, il a suivi un cursus technique et un cursus managérial. On sait ce que ces progressions de carrière doivent à la ténacité, voire à l’obstination. Les journées sont doubles et on est sous le regard des collègues.
Chef de labo, il encadre, assure la conduite de projet, le suivi planning, des coûts… et des ajustements. Ce qui veut dire travailler avec des compétences diverses : en mécanique pour le packaging des matériels, en thermique pour la dissipation de chaleur, en informatique système, en électronique de puissance, en composants électriques…
C’est travailler avec les usines pour suivre la fabrication. Avec les clients pour analyser leurs besoins, y répondre en développant de nouveaux services ou proposer des solutions de contournement. A-t-on idée de la vitesse des évolutions fonctionnelles, des mises-à- niveau matérielles et logicielles ? Ça n’arrête pas.
Aujourd’hui, il est passé à un rôle de validation. De quoi ? Du design autrement dit de l’architecture de systèmes de communication. Ce qui suppose une maîtrise des technologies, des pratiques de conception et des normes de qualité à respecter.
« L’État au bon niveau »
Après 10 ans passés dans le foyer des jeunes travailleurs, Michel Renaux s’installe dans la ville. Le souvenir de Sedan est là. Il est encore récent. Longwy, aussi. Des villes dépouillées de leur métallurgie, de leur sidérurgie, de leur tissage. Il vient à la politique par angoisse de l’industrie.
En 1983, il adhère à l’UDF. « Je suis centriste. Je pense que le développement industriel a besoin de l’initiative privée, et qu’il faut un aménagement étatique. » UDF, pour lui, c’est la volonté de « mettre l’Etat au bon niveau ». Dans un parti, on peut échanger (ce qu’il espère), parler avec des élus. Il en est resté fidèle, même s’il n’y trouve pas tout ce qu’il cherche. Adolescent, il se demandait pourquoi les usines ferment. « Je voulais comprendre en quoi l’État est responsable et peut agir. J’ai commencé à lire sur l’aménagement. » Façon peut-être de conjurer le sort.
Tandis que se construit sa carrière professionnelle, il écoute, lit, se forme. Dans les années 1990, le militant assiste aux conseils municipaux, y apprend les problématiques urbaines, le langage des groupes politiques. Il s’investit, tracte pendant les campagnes électorales, affiche, … Pendant un des mandats de Pascal Buchet, un maire socialiste de Fontenay, il participe à la création d’un blog d’opposition.
En 2012 son intérêt pour l’aménagement prend une forme précise. Il suit les travaux du SDRIF (Schéma directeur régional d’Ile-de-France) et se lance dans sa lecture (dont on sait qu’elle est particulièrement pesante pour l’estomac, NDLR). Il découvre les choix en organisation territoriale qui en sont le cœur, leurs conséquences sur les communes. Il découvre la complexité des règles d’urbanisme, du POS (avant le PLU), « comment on transcrit une exigence générale en politique municipale ». On retrouve ici quelque chose de son métier. Un goût pour la « traduction » (au sens de Bruno Latour).
Il acquiert ce faisant une culture de l’aménagement qui a des conséquences. Il rejoint à ce titre et par deux fois des listes aux élections régionales. En 2014, aux municipales, il est sur la liste de Laurent Vastel au premier tour. En 2020, il y figure au deuxième également. Élu, il prend en charge l’urbanisme.
Faut-il construire à Fontenay, se demandait-il. Le SDRIF impose une augmentation de 15% du nombre de logements, la demande en Île-de-France étant énorme. Ne pas construire revient à laisser décroître la population. « En même temps, je me demandais comment préserver la qualité de la ville, celle que j’avais trouvée en 1982, celle d’une petite ville de province. » Conserver mais éviter de chloroformer la ville. Chez lui, la diminution de la population rime (une assonance du moins) avec fermeture d’usines et chômage.
Agir dans l’urbanisme
« L’urbanisme, c’est la marque forte d’une ville. C’est une compétence nécessairement partagée avec le maire. » D’ailleurs, quand l’esthétique est en jeu, « ça se finit dans le bureau de Laurent Vastel » dit-il en souriant. Dès que les esquisses sont prêtes, le maire, le promoteur, le directeur des services techniques, lui-même discutent du style des façades, de la présence de balcons, des profondeurs par rapport à la voirie. Avant même que le permis soit déposé.
L’urbanisme, c’est beaucoup d’échanges. Avec les services techniques qui apportent des compétences juridiques. Avec l’opposition lors des commissions de permis de construire. Les règles ne sont pas toujours aussi simples à interpréter que les hauteurs ou la présence d’arbres remarquables. Dès lors qu’il y a interprétation, il y a contestation, recours.
En début de mandat, « je découvre la relation avec les promoteurs. Je pensais qu’ils consultaient le PLU et faisaient une proposition conforme. Point. » En fait, la ville et les services techniques, le maire, l’adjoint à l’urbanisme sont sollicités très en amont. Ainsi, en zone pavillonnaire UE (maintenant U1), la ville ne souhaite pas de construction d’immeubles. Le promoteur pourrait tenter d’en construire quand même. Le PLU, sous peine de devenir un carcan insupportable, ne peut pas enfermer l’urbanisme dans une seule série de mesures. On peut donc imaginer qu’un projet d’immeuble collectif soit conforme au PLU. « Mais le promoteur n’a pas intérêt à un passage en force. Il sait que la ville se doit de construire 1500 logements. Le conflit ne le servirait pas. » De sorte que, pour Michel Renaux, les négociations sont plutôt « gagnant-gagnant » (on imagine les dénégations de l’opposition). Le promoteur veut gagner des marchés. De son côté, la ville a besoin de ramener des commerces dans une zone, de traiter une dent creuse (entre 2 immeubles), de reprendre une friche industrielle, un vieux garage.
On comprend, à mesure de l’entretien, que le promoteur, au nom tant décrié, assure un rôle déterminant dans les projets immobiliers. Qu’il soit public ou privé, il faut bien réaliser des études pour évaluer la viabilité économique, technique et environnementale des projets. Élaborer des plans détaillés avec des architectes, des ingénieurs et des urbanistes. S’assurer que les permis nécessaires sont obtenus auprès des autorités locales. Le promoteur cherche des financements pour réaliser les projets, supervise la construction, en veillant au respect des délais et des budgets. Puis, une fois les projets achevés, il s’occupe de la vente ou de la location des biens immobiliers.
Aménager, tisser, prémunir
Entre son métier et sa fonction d’élu, on sent comme une passerelle intérieure. L’ingénieur est le plus souvent dans le transversal. Il dialogue avec des experts de cultures différentes et cherche des compromis entre leurs contraintes techniques. L’adjoint à l’urbanisme ne se débat-il pas dans des situations semblables ? Entre le besoin d’infrastructures et la préservation d’espaces verts ou de sites historiques ; entre une densité suffisante pour soutenir services publics ou commerces tout en maintenant une qualité de vie ; entre résidents anciens et nouveaux arrivants, propriétaires et locataires, commerçants et résidents. La liste serait longue. On passe.
Car ce n’est pas tout. Les Ardennes sont dans ses veines et lui rappellent ce que déclin veut dire. Il reconnaît le soupir des usines endormies, les cathédrales rouillées des métiers disparus. D’où sa relation personnelle à l’aménagement, où se jouent répartition, équipement, texture et protection urbaines. On dirait que malgré les décennies vécues à Fontenay, ville prospère d’un département prospère, il n’oublie pas que la prospérité est un état bien fragile.