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Recours et fonctionnement du tribunal administratif

Alors que des projets d’aménagement ou de constructions sont suspendus à des recours administratifs, la Gazette a voulu mieux comprendre comment ces recours étaient traités par les tribunaux. Jean-Jacques, ancien juge au tribunal administratif a accepté de répondre aux questions de la Gazette.


LGDS : Quelle a été votre carrière ?

Jean-Jacques Après des études de droit, j’ai été nommé attaché puis directeur dans une préfecture. Je suis entré en 2002 dans les tribunaux administratifs. J’ai exercé mes fonctions en tribunal administratif puis en cour administrative d’appel. Donc, après avoir été dans l’administration active, je suis devenu juge de l’administration. J’ai pris ma retraite fin 2020. 

LGdS : Quels sont les dossiers les plus compliqués que vous avez eu à juger ? 

Jean-Jacques : Les dossiers d’accidents médicaux dans les hôpitaux publics m’ont marqué.  Un accouchement se déroule mal, l’enfant nait gravement handicapé et la maman décède. Il faut décider si une faute a été commise par l’hôpital dans l’organisation du service et ensuite fixer le montant des indemnisations au titre des différents préjudices. C’est un contentieux humainement lourd et techniquement difficile. 

Les dossiers d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français au Sahara ou dans le Pacifique m’ont aussi marqué. Il faut juger si le cancer développé par une personne ayant fait son service militaire il y 50 ou 60 ans à proximité des lieux de ces essais est en lien avec les essais nucléaires auquel il a participé. Le législateur a créé un dispositif complexe destiné à l’indemnisation des victimes et le juge administratif le met en œuvre.

Les dossiers d’étrangers sont aussi humainement difficiles. On doit examiner si la décision de refus de séjour prise par le préfet est bien conforme aux dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Et il faut juger très vite un grand nombre de dossiers de ce type et décider si la personne et sa famille peuvent ou non rester en France. 


LGdS : Pouvez-vous situer le rôle du tribunal administratif ?

Jean-Jacques : Le rôle du tribunal administratif est de juger l’administration. L’administration doit respecter la loi. Le juge administratif doit juger si dans le dossier qui lui est soumis, la décision de l’administration est bien conforme à la loi. L’administration, concrètement, c’est une commune, un département, l’État représenté par le préfet ou ses différentes directions départementales interministérielles telle la direction départementale des territoires ou la direction de la cohésion sociale. Ainsi, pour une décision de refus de séjour, le juge examinera si le préfet a basé sa décision sur les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permettant ce refus en fonction de la situation personnelle du demandeur : pays d’origine, circonstances d’arrivée, présence ou non d’une famille, risque éventuel de trouble à l’ordre public …

Le juge administratif peut aussi condamner l’administration à verser des indemnités quand elle a commis une faute. Ainsi, si le mauvais entretien d’une rue est à l’origine d’un accident, le juge administratif peut condamner la commune à indemniser la victime. 

Et pour fonctionnaires territoriaux, fonctionnaires hospitaliers ou fonctionnaires d’État, les tribunaux administratifs jugent les conflits entre ces fonctionnaires et leur employeur. Ils jugent les conflits nés des conditions de recrutement, de déroulement de carrière, de rémunération, d’accidents du travail, de retraite. Bref, ils exercent pour les fonctionnaires les missions qu’exercent les conseils de prud’hommes pour les salariés du secteur privé. 

Sur quels critères le TA juge-t-il ? 

Le tribunal s’assure que la décision prise par l’administration est bien conforme à la loi. La loi est sa seule boussole. Le juge ne juge pas en fonction de ses opinions ou de ses sentiments personnels. Ce n’est pas en fonction de la sympathie ou de l’antipathie que peut inspirer un requérant que le jugement sera rendu. Il juge en fonction de la loi. En prenant telle décision, l’administration a-t-elle bien respecté le droit ?

Quand on parler de jugement sur la forme ou sur le fond, de quoi s’agit-il ? 

Le juge examine si la décision prise est bien conforme à la loi. Mais il examine aussi comment la décision a été prise. Quand un texte prévoit une procédure pour la prise d’une décision, par exemple en prévoyant des consultations de certains organismes, le juge va examiner la manière dont la décision a été prise et si les consultations prévues ont bien eu lieu. Et le juge doit décider si les erreurs commises par l’administration dans la prise de décision ont exercé une influence sur cette décision. Le juge va vérifier que l’administration a bien appliqué les procédures prévues par les textes. On est donc bien au-delà de la simple forme.


Le tribunal administratif est-il une création récente ? Concrètement, comment fonctionne-t-il ? Est-il différent du tribunal correctionnel ? 


Les tribunaux administratifs existent, sous différentes formes, depuis la Révolution française. Le Conseil d’État est le plus connu d’entre eux. Le tribunal administratif fonctionne différemment du tribunal correctionnel. Ainsi, il n’y a pas de procureur dans les tribunaux administratifs et ses magistrats ne portent pas de robe. Et ces tribunaux ne jugent pas des personnes physiques mais des organismes publics. Ils appliquent les règles fixées dans le code de justice administrative.


Qui peut se tourner vers le TA ? 


Pour aller devant le tribunal administratif, il faut avoir un intérêt à agir, comme disent les juristes. Autrement dit, il faut être directement concerné par l’acte de l’administration dont on demande l’annulation ou être une victime directe du dommage dont on demande l’indemnisation. Ainsi, tout habitant d’une commune peut demander l’annulation d’une délibération du conseil municipal de la commune où il habite s’il estime qu’elle est illégale.

En revanche, le même habitant ne pourra pas demander, en cette qualité, l’annulation d’une délibération du conseil municipal d’une commune voisine. Pour obtenir l’annulation d’un permis de construire, il faut être voisin du lieu de la construction.  Dans tout dossier, le juge administratif commence par vérifier l’intérêt à agir de la personne qui l’a saisi. Si le juge estime que cet intérêt à agir n’existe pas, il rejette la demande sans même l’examiner au fond. 

Quelles sont les conditions de recevabilité d’une demande ?

 Il y a des règles juridiques précises pour que la demande adressée au tribunal puisse être examinée. Elles sont fixées dans le code de justice administrative. Il y a souvent une condition de délai. Ainsi pour demander l’annulation d’un acte de l’administration, il faut saisir le tribunal dans le délai de deux mois à partir du moment où l’on a connaissance de l’acte. La manière de calculer ce délai de deux mois, la date à laquelle il commence à courir fait l’objet de nombreuses règles techniques. C’est l’intérêt d’avoir un avocat qui, lui, connaît ces règles techniques et saura les utiliser au mieux. 

En plus de la condition de délai, il y a la règle de la décision préalable. Il faut avoir une décision de l’administration dont on demande l’annulation ou une décision refusant l’indemnisation demandée. Et cette décision peut être explicite ou implicite. Une décision explicite, c’est lorsque l’administration refuse ce qui est demandé en envoyant un mail ou une lettre de refus. Une décision implicite est plus subtile. C’est la situation créée par le silence de l’administration face à une demande. Ce silence a une valeur juridique précise définie par le code de justice administrative. Selon les cas, ce silence peut constituer un accord sur la demande faite ou au contraire un refus de la demande. Le demandeur et le juge doivent donc jongler avec ces règles complexes. 


Mais pourquoi des règles aussi complexes ? On ne sait pas faire simple !

Le droit est un reflet de la société. Sa complexité croissante est la conséquence directe de la complexification de la société française. D’où une inflation des normes juridiques depuis plusieurs dizaines d’années…. On pourrait dire que tout le monde souhaite la simplification du droit …  à condition que sa situation personnelle soit envisagée et protégée par les textes !

Comment se déroule une procédure ? 

Le tribunal est saisi de la demande d’annulation ou d’indemnisation. Il va communiquer cette demande à l’administration en lui donnant un délai pour répondre. L’administration a fortement intérêt à répondre. Si elle ne le fait pas, le code de justice administrative prévoit que tout ce que dit le demandeur est réputé être vrai. 

Chaque fois qu’une partie répond à l’autre, le tribunal transmet à l’autre sa réponse en lui donnant un délai pour répondre. Et quand le tribunal estime qu’il a tous les éléments pour juger, il décide la fin de la procédure. Il fixa alors la date de l’audience au cours de laquelle l’affaire va être jugée.

Le jugement est-il suspensif ?

Le principe est qu’un recours devant le TA n’est pas suspensif. Les décisions de l’administration bénéficient de fait d’une présomption de légalité.

Mais il existe une procédure de référé suspension qui permet de rendre le recours suspensif. Il faut rassembler 2 conditions : prouver que l’urgence à suspendre la décision attaquée existe et invoquer un moyen de droit sérieux de nature à entraîner l’annulation de la décision attaquée.

Si ces 2 conditions sont rassemblées, le juge suspend la décision dans un premier temps. Et dans un second temps, il jugera au fond.


Quel est le délai moyen entre recours et jugement ?


Il faut en général un an à un an et demi pour obtenir un jugement.  C’est le temps nécessaire aux parties pour échanger leurs arguments et se répondre entre elles. Et si une partie tarde à répondre aux arguments de la partie adverse, le délai de jugement augmente d’autant… 

Les délais moyens de jugement sont variables d’un tribunal à l’autre en fonction du nombre d’affaires à juger et de leur complexité. Certains dossiers, en matière de marchés publics de construction ou de responsabilité médicale, par exemple, nécessitent des expertises techniques complexes qui peuvent elles-mêmes être contestées, ce qui allonge les délais parfois sur plusieurs années. C’est le cas quand les désordres constatés lors de la construction d’un bâtiment trouvent leur origine dans des travaux entrepris sur la voirie par la commune ou dans l’effondrement d’un bâtiment voisin

Selon un rapport du Sénat, « pour l’année 2021, le délai moyen constaté de jugement pour les affaires ordinaires devant le tribunal administratif de Nice était de 1 an 9 mois et 11 jours quand il était seulement de 1 an et 21 jours devant le tribunal administratif de Montreuil. Sur le plan national, l’objectif 2023 était de ramener le délai moyen de jugement à 10 mois devant le tribunaux administratifs.  Mais l’envol du nombre de recours devant les tribunaux administratifs en 2021-2022 risque de rendre ces objectifs difficilement atteignables».


Qu’est-ce que cela coûte aux plaignants ? Qui paie ? 


Les frais sont essentiellement les frais d’avocat. Même si la présence d’un avocat n’est pas toujours obligatoire, la complexité des règles de procédure le rend absolument nécessaire. La partie qui perd le procès est en général condamnée à la fin du jugement à payer les frais d’avocat de la partie gagnante.

Qu’est-ce qu’une demande en référé ?

C’est une procédure pour obtenir un jugement en urgence, en quelques jours, par exemple quand une liberté publique est en cause. Dans ce cas aussi, des règles précises sont à observer pour obtenir un jugement en référé. On peut ainsi obtenir très rapidement la suspension d’une décision de l’administration gravement illégale. Le juge empêche dans le jugement de référé l’application de la décision de l’administration. Dans un second temps, plusieurs mois après, le juge examinera l’affaire au fond et décidera s’il faut annuler la décision.


Peut-on faire appel ?

Oui, on peut faire appel. L’appel est jugé par une cour administrative d’appel. Elle rejuge tout le dossier. Elle peut confirmer le jugement du tribunal administratif ou au contraire l’annuler. Et un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État est possible. Il va vérifier que le droit a été correctement appliqué et interprété par la cour administrative d’appel.

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