Du 19 au 25 février, les visites de la tour Eiffel ont été interrompues par une grève des salariés. Ils ont mis en cause l’entretien de la tour et l’apparition de zones de rouille. Il a été répété ad nauseam que la tour devait être repeinte tous les 7 ans. Quel en est-il exactement ?
Une rente importante
Les millions de touristes qui visitent la tour Eiffel tous les ans sont une importante source de revenus pour la Ville de Paris, propriétaire à 99% du monument. En 2018, le chiffre d’affaires était de 100M€ dont 85M€ venaient de la billetterie. La redevance demandée à partir de 2017 est supérieure à 30M€ par an. Les salariés profitent aussi de l’abondance de recettes, comme l’explique le rapport de la Cour des comptes en 2019 (page 39) :
Le niveau du salaire de base des agents travaillant à la SETE est élevé avec des salaires moyens de 3.300 € par mois en début de carrière pour les emplois non qualifiés et des salaires annuels de 55.000 €, 88.000 € et 120.000 € en moyenne respectivement pour les non-cadres, cadres et cadres dirigeants.
Depuis sa construction, la tour Eiffel est repeinte tous les 7 ans. Cependant, les évolutions des techniques, des normes et des caractéristiques des peintures disponibles amènent à réinterroger cette politique. Peindre un tel monument n’est pas une opération simple, le moins qu’on puisse dire. Des chiffres divers ont été cités pour son coût. Le rapport déjà cité critique sévèrement la manière dont le marché de travaux de peinture a été négocié (page 53). Il évoque un coût prévisionnel de 32M€. Depuis, des valeurs plus importantes ont circulé sans qu’on puisse vérifier leur pertinence.
On peut aussi lire les phrases suivantes :
Par ailleurs, le choix de la peinture, élément majeur de la qualité et de la pérennité des travaux, a été délégué au prestataire qui aurait sollicité trois fabricants de peinture au stade de la compétition et le choix a été fait d’une mise en peinture sans adaptation d’un protocole spécifique pour neutraliser l’acide.
Une attention plus soutenue sur la qualité du produit aurait été d’autant plus justifiée que les différents diagnostics réalisés ont montré que le système de peinture employé lors de la XIXe campagne par la société S**** a tiré en séchant trop rapidement sur les anciens supports, accélérant le craquelage et les points de corrosion apparents.
Repenser la maintenance ?
De fait, les règles établies par Gustave Eiffel ne reflètent pas l’état de l’art aujourd’hui. Parce qu’elles ne sont plus adaptées à la situation et parce que de nouvelles solutions techniques se sont progressivement imposées. La campagne de peinture actuelle en utilise certaines, de manière partielle. C’est probablement à une solution généralisée qu’il faudra passer à l’avenir.
On a déjà abandonné depuis longtemps les peintures au plomb utilisées par certaines campagnes. Mais cette présence de plomb complique fortement les actions de préparation de surface, quand l’état de celle-ci oblige à décaper, au moins partiellement, les couches de peinture accumulées.
A chaque campagne de peinture, une nouvelle couche a été ajoutée aux précédentes, au point que l’ensemble fait maintenant 3 millimètres d’épaisseur. Un ensemble qui peut se décoller par endroits et dont l’adhérence à la tôle se fragilise avec le temps.
La solution consistant à peindre sur les couches précédentes devient une solution à court terme.
La solution de fond consiste à décaper tout puis à appliquer sur la tôle ainsi remise à nu un véritable système anticorrosion. Pour ce type de structure il faudrait un système 3 couches, avec primaire anticorrosion (qui protège bien le métal) un intermédiaire qui peut être aussi une anticorrosion et une couche de finition qui résiste aux UV.
Sur ces nouvelles bases, on pourra alors revoir le système de maintenance et le cahier des charges (visites annuelles, reprises ponctuelles) pour déterminer non pas au bout de combien de temps il faut repeindre mais à partir de quel niveau de dégradation.
Un travail difficile
La solution ainsi décrite semble déjà en cours si l’on en croit cet intervenant :
La XXe campagne de peinture confiée par la Société d’Exploitation de la tour Eiffel (SETE) à notre agence en 2017 constitue dans l’histoire de la tour Eiffel une étape inédite puisqu’elle est associée à une démarche de décapage des couches antérieures et de restauration structurelle. Il s’agit d’un tournant majeur vers une nouvelle démarche de conservation.
On en voit le résultat sur la photo ci-dessous, avec le décapage complet de la tôle.
Il semble cependant que cette solution n’ait été utilisée que partiellement. Sur la plus grande partie, on a « seulement » enlevé ce qui se détachait, par piquage et grattage. Un travail déjà bien pénible, puisqu’il faut travailler avec un masque à cause du plomb.
D’autant plus pénible qu’il faut travailler en hauteur, la plupart du temps sans pouvoir utiliser un échafaudage, donc avec des cordes.
Pour la prochaine campagne ?
Pour réaliser les travaux en toute sécurité pour les opérateurs notamment, il faudra fermer la tour au public au moins en partie pour le XXIe chantier.
Une vraie stratégie de maintenance est nécessaire comme pour n’importe quel ouvrage d’art. Mais la tour Eiffel n’est pas n’importe quel ouvrage d’art. La dimension du problème est à proportion des 312 mètres et des 10.000 tonnes de l’édifice.
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Pour plus de précisions, on consultera utilement
- Le rapport de la Cour des Comptes
- La série de tweet de Kako, docteur en matériaux très active sur Twitter, à la base de la partie technique du présent article
- Un article de Pierre-Antoine Gatier, de l’Académie des Beaux-Arts.