Le collectif citoyen Sceaux en commun organisait mardi 8 novembre une rencontre avec Liliane Wietzerbin conseillère municipale de Sceaux et Didier Missenard, maire adjoint d’Orsay en charge de la transition écologique. Le thème général en était la sobriété énergétique. Mais l’accent fut mis sur une proposition défendue par le collectif : éteindre les lumières dans les rues de Sceaux entre 1h30 et 4h30 du matin. Le conseil municipal du 10 octobre a refusé. Mais la volonté de convaincre du groupe n’est pas éteinte pour autant.
Un problème incontournable
Bernard Deljarrie, pour le collectif, anime la soirée. Il entame le débat sur une question : pourquoi l’urgence de la sobriété énergétique apparaît-elle tout à coup avec une telle force ?
Liliane Wietzerbin évoque deux types de causes : une structurelle et une conjoncturelle. La première relève d’une prise de conscience qui est désormais bien partagée. Il est nécessaire de consommer moins d’énergie du fait des dommages dus aux émissions de CO2. Le productivisme apparaît comme une impasse. La sobriété est donc une exigence « pour le monde occidental, précise-t-elle. Dans les régions moins développées, comme en Afrique, il est naturel que la consommation s’accroisse. » Par ailleurs, les équipements sont de plus en plus efficaces. Des solutions se dégagent qui rendent réaliste la volonté de diminuer la consommation d’énergie. On le voit avec les systèmes d’éclairage.
L’aspect conjoncturel est lié à la crise en Ukraine. La situation dramatique pour les approvisionnements en gaz naturel produit une rareté en Europe du fait de sa solidarité avec l’Ukraine. Cela se traduit par une tension sur les économies européennes qui oblige à diminuer la consommation. En France, la situation croise une crise de l’énergie nucléaire. La moitié des centrales est à l’arrêt. « En France, nous avons plutôt affaire à une crise de l’électricité. »
Didier Missenard voit dans cette situation une sorte de conséquence mécanique. Les centrales nucléaires ont été construites dans les années 70. Elles ont besoin d’être réparées en même temps. Sur les 28 centrales arrêtées, plusieurs le sont pour des raisons normales de maintenance.
« Dans les années 90, poursuit-il, on avait beaucoup de centrales, donc beaucoup d’électricité. On promouvait le chauffage électrique. » Pour la première fois, EDF n’est plus excédentaire et n’est plus en mesure d’exporter. La difficulté ne risque pas de tomber de sitôt. Les projets de centrales nucléaires ne seront opérationnels que dans 15 ans. « En attendant, défend-il, il faut du photovoltaïque, de l’éolien maritime et de la géothermie. Le renouvelable est en retard. »
Quand Bernard Deljarrie lance la question de la flambée des prix, les deux intervenants témoignent d’une même situation. Les communes subissent de plein fouet leur augmentation. Les prix atteignent des niveaux sans précédent.
S’il existe des boucliers tarifaires pour les petites communes, leur application reste encore à préciser. Il faut savoir que les communes ont une obligation de présenter des budgets à l’équilibre. Or l’électricité à Orsay comme à Sceaux a augmenté entre 2 et 3 fois. Et le gaz d’un facteur entre 4 et 7. Et cette situation, craignent les intervenants, risque de durer.
Plans de sobriété similaires
Le plan municipal de sobriété de Sceaux a été adopté le 11 octobre. Il comporte plusieurs volets : les bâtiments, l’éclairage public qui sont déterminants ; la flotte automobile et le management interne qui ont des impacts moindres.
A Sceaux, les températures des bâtiments du patrimoine municipal sont réduites à 19°C pour les crèches (et 15°C la nuit), à 14°C pour les gymnases et 18°C pour les autres bâtiments (et 15°C la nuit). Quant à l’éclairage public, Sceaux a engagé une rénovation des réseaux qui permet de faire varier les puissances en fonction des plages horaires. C’est également possible dans quelques rues en fonction de la présence de personnes.
Pour Sceaux en commun la diminution à 25% de la puissance consommée dans la plage horaire de 1h à 5h du matin ne concerne qu’un quart des dispositifs. Il ne concerne que les lampadaires ayant des leds, donc dont on peut moduler la puissance.
Le plan de sobriété à Orsay ressemble à bien des égards à celui de Sceaux. La température des gymnases est aussi ramenée à 14°C.
« L’année prochaine, explique Didier Missenard, ce sera plus dur. Il faudra réduire certains services. Le stade nautique présente des fuites et de grandes déperditions de chaleur. Beaucoup de communes ferment les piscines. C’est un choix difficile à faire. La natation est très populaire. Faut-il fermer le bassin extérieur ou tout le stade nautique ? C’est une des questions qui se pose. » On comprend qu’y répondre ne sera pas simple.
Atouts de l’extinction
La proposition du groupe Sceaux en commun d’éteindre l’éclairage public de 1h30 à 4h30 du matin est en rapport avec le RER. Le dernier arrive à 1h et le premier commence à 5h. L’impact est estimé plus significatif que la réduction de puissance actuellement privilégiée. Le Conseil municipal a voté contre.
Liliane Wietzerbin regrette que différentes options n’aient pas été présentées. Elle aurait voulu aussi une approche transpartisane. Dans l’assistance, on approuve : le sujet devrait être vraiment consensuel. D’autant que l’extinction des lumières est facile à mettre en œuvre. Un test de 3 mois permettrait de se faire une idée précise de son acceptabilité.
Orsay a divisé la ville en 3 zones. La zone jaune reste allumée toute la nuit. C’est autour des hôpitaux, le long des escaliers publics, aux arrêts de bus. La zone orange est autour des gares. Elle est éteinte entre 1h30 et 5h du matin. La zone bleue concerne les pavillons. L’extinction est faite entre minuit et 6h.
Quelques considérations techniques. L’évolution du pilotage des équipements permet maintenant de les configurer à distance. L’exploitation en est grandement facilitée. Les tournées ne sont plus nécessaires et à Orsay, elles sont longues. Les leds sont configurées en rouge et orange pour ne pas attirer les insectes.
Réticences municipales
La ville justifie son refus par l’attente des résultats d’une enquête qu’elle a menée auprès de la population. « Il provient d’un questionnaire conçu par Paris-Région, mais qui approche la question avec une certaine complexité. A Sceaux, on a privilégié l’aspect insécurité et le questionnaire est anxiogène plutôt que d’accompagner la réflexion sur la diminution de la consommation. »
Bernard Deljarrie rappelle que l’extinction de l’éclairage public la nuit est décidée dans de nombreuses villes de France. Les avantages sont évidents : économie d’énergie ; moins de CO2 ; moins de pollution lumineuse donc meilleure qualité du sommeil des habitants ; préservation de la biodiversité (les oiseaux, les insectes sont souvent attirés par les fortes lumières ; diminution des risques d’accident de la circulation. Les gens sont plus prudents dans le noir !
Les inconvénients sont connus. C’est le sentiment de vulnérabilité, d’insécurité. Ce sont les déplacements piétons moins faciles. « Encore que, dit-il, avec la lumière du smartphone, on se dirige facilement. »
Dans la salle, on se manifeste. Quelqu’un dit qu’on éteint à Verrières. Un autre cite Fontainebleau et… « bien des villes bourgeoises ». Pourquoi pas à Sceaux ?
A Orsay le maire, David Ros, au début était contre. C’est le covid qui fit pencher la balance. Le confinement, au début, limitait les sorties. On ne voyait pas pourquoi il fallait éclairer la nuit alors que les rues étaient vides. En avril 2020, alors que la municipalité avait été réticente jusque-là pour ne pas effrayer les habitants, la décision a été prise de suspendre l’éclairage public. On comprend que cela n’avait rien d’évident.
Mais il ne sera pas dit que l’insécurité ne fut pas réduite à un sentiment, quasiment un fantasme. Pour une dame, la peur du noir, ça se reprend, ça s’apprend. Il faut commercer par éduquer les enfants. Et puis on voit des choses dans le noir. Sans doute. Que les inquiets circulent.
Moins définitif, Didier Missenard se réfère aux statistiques. On n’observe pas d’impact particulier sur les accidents ou les cambriolages. Ni plus ni moins. L’extinction des feux ne change pas la donne.
Liliane Wietzerbin voit dans l’effort demandé aux citoyens un appel à la responsabilité et au civisme. Elle reconnaît l’inquiétude, mais la dépasser est une exigence d’implication dans une démarche collective et combien nécessaire.
Pour aller plus loin
Le guide de l’Association des maires de France
Note de présentation du plan de sobriété énergétique de la ville de Sceaux
Plan de sobriété de la ville d’Orsay
Le problème avec l’énergie consommée actuellement sur la planète est qu’elle est très majoritairement obtenue par la combustion de combustibles carbonés, fossiles en particulier (charbon, gaz, pétrole,… et bois aussi). Cette combustion produit du gaz carbonique, le CO2, qui est un gaz à effet de serre dont la présence dans l’atmosphère entraîne son réchauffement.
L’idéal serait que nous puissions remplacer tous, j’écris bien TOUS, les combustibles carbonés par d’autres sources d’énergie. On ne sait pas le faire aujourd’hui avec les techniques que nous maîtrisons (hydraulique, éolien, photovoltaïque, nucléaire, hydrogène,…).
En attendant que nous sachions le faire, il paraît raisonnable sinon indispensable et urgent, de faire des économies d’énergie d’où qu’elles viennent, et en même temps des économies de finances.
Toutes les occasions sont bonnes à prendre. L’éclairage nocturne en est une.
Car l’éclairage nocturne est clairement un vrai gaspillage. Surtout entre 1 heure et 5 heures du matin, et en région parisienne où il n’y a plus un seul transport en commun et où la majorité des Franciliens est à la maison en train de dormir. Ceci vaut pour Sceaux, évidemment.
En plus du gaspillage, les arguments des écologistes concernant l’impact sur la biodiversité, et ceux des amoureux des étoiles (dont ceux qui en font métier), ne sont pas complètement dénués de bon sens.
Par contre, les arguments des citoyens inquiets pour leur sécurité ne me semblent pas fondés. Les responsables de celle-ci, la police en particulier, montrent que ces frayeurs sont plus le résultat d’histoires ou de contes pour enfants que de réalité mesurable. D’autant que, si j’ai bien suivi, les personnes craintives sont surtout âgées dont je suis. Et, pour ma part, je suis toujours dans mon lit à ces heures nocturnes.
Merci à la Gazette pour cet article. Il transmets bien la richesse des échanges et du débat de ce 8 novembre!