La photographie et l’instant, c’est tout une histoire. Depuis sa création elle confronte la fixité du cliché au mouvement des choses et de la vie. Elle interrompt ce qu’elle capture. Son espace est sans limites ; il se renouvelle sans cesse. C’est le propre de l’art, mais la photographie a ceci de particulier qu’elle est accessible au grand nombre par le truchement d’appareils qui, pour n’être responsables de rien, sont les instruments du tout. Une ambition est née à Sceaux, incarnée dans un site. Elle se propose de dire la pluie et le vent. Téméraire, n’est-ce pas ? Le nom du site : Sceaux par tous les temps.
Ce qu’il voudrait raconter ? « La variabilité de la pluie et du vent, dit son initiateur ». Il a mis en ligne de premières photos. Il espère en des concours pluriels, vous, moi, tout un chacun, adhérant à un simple principe : la pluie, le vent, Sceaux.
Le projet sera collectif ou ne sera pas. Mais l’espérance de coopération est fondée. Qui d’entre vous n’est pas témoin vingt fois par an de ces flaques, ces égouttements, ces bourrasques, ces débords d’eau sur les chaussées, ces branchages agités qu’on dirait prêts à rompre ? Voilà ce qui me vient pour les éléments. Et puis il y a les femmes, les hommes, les enfants courant à la sortie de l’école capuche sur la tête vers des parents qui, sous les parapluies gouttant, échangent quelques mots sur le « sale temps » d’aujourd’hui.
Le site veut parler des caprices du temps, mais aussi des plaisirs qu’il procure, de ses subtilités, de ses variations, de ses changements. C’est simple. Il en appelle à votre regard, il vous invite à réagir quand, devant vous, la météo se manifeste, quelles qu’en soient la manière et l’intensité.
Le prolongement de sa recherche
Auguste Gires est chercheur au laboratoire «Hydrologie Météorologie et Complexité » qui dépend de l’école des Ponts et Chaussées. Il est dans la géoscience, dans l’étude de ses phénomènes variables à de multiples échelles. Les physiciens recourent à la notion de « champ » pour dire ce qui évolue dans l’espace et le temps. Il y a des champs électriques, des champs magnétiques ou gravitationnels. Pour la même raison, il y a des champs de pluie et des champs de vent.
Les deux étant plongés dans le fluide de l’atmosphère, ils sont gouvernés par des lois physiques communes, si bien qu’ils ont des propriétés similaires d’hétérogénéité. Son laboratoire travaille à concevoir des modèles et des moyens d’affiner les mesures. De les rendre plus fiables sur des périmètres réduits. Il semble que les comportements de la pluie à des échelles si différentes puissent être modélisés à l’aide des concepts communs. « Entre la goutte et le bassin, quelque chose se reproduit. » Quelle serait donc cette forme, mathématique sans doute ? Est-elle à la portée de tous ?
Par « tropisme de chercheur » (ce sont ses mots), Auguste Gires prend souvent des photos des phénomènes sur lesquels il travaille. Une tendance naturelle, dit-il, peut-être une manière de passerelle entre le monde scientifique et la face sensible qu’il voudrait transmettre.
Les inattendus de la nature ont une force esthétique. Laquelle, même si bien différente, existe encore dans la recherche de mesures fiables, dans l’anticipation fine des écoulements. Les radars de Météo France travaillent sur des unités de 1km sur 1km. « C’est leur pixel ». Il nous convient pour décider ce qu’on se mettra sur le dos et s’il faut prendre un parapluie. Mais des applications réclament de bien meilleures précisions et son laboratoire exploite un radar avec des pixels de 100 m sur 100 m.
La gestion de l’eau de pluie en ville, la maîtrise des réseaux d’évacuation et des bassins de rétention illustrent ce que l’on peut faire de zooms aussi prononcés. Quant à l’énergie éolienne, dont on sait bien qu’elle est intermittente, la maîtrise des fluctuations du vent à haute résolution est importante. « Cela permet d’optimiser en temps réel l’orientation des pâles et de la nacelle, également d’améliorer les prévisions de production à court terme. »
Le thème est resserré, il trouve ici son originalité. La météo est la star. Et les stars portent à l’imagination. Il s’agit d’inviter à observer, d’en prendre le temps, de reconsidérer sa ville, de la retrouver avec son air et son eau, ses caniveaux et ses stores secoués par le vent.
Le projet est tout neuf. Les 365 jours à Sceaux furent une source d’inspiration : l’idée d’un collectif rassemblé par la photographie, d’où est venue l’idée de suivre la ville dans les interstices de ses hasards liquides, de ses intempéries, des éclaircies et de ses « reflets changeants ».
Intéressant et original, et tellement d’actualité