Un article de Sceaux Mag en mars 2021 présentait le contenu de la nouvelle convention de coordination entre Sceaux et la Police nationale (convention de coordination des interventions du Service Tranquillité urbaine chargé de la police municipale à Sceaux et des forces de sécurité de l’État). S’il date un peu, cet article faisait état de décisions qui gardent toute leur actualité : l’accroissement des moyens (caméras-piétons, embauche de six agents supplémentaires d’ici 2023 au service de Tranquillité urbaine (STU) portant à vingt les effectifs, caméras de vidéoprotection supplémentaires…).
Comment ces décisions ont-elles été mises en œuvre ? Quelles évolutions sont déjà constatables ? Pour le savoir, j’ai sollicité un entretien auprès de Jean-Baptiste Hayes, chef du service Tranquillité urbaine de Sceaux, et de Philippe Laurent. Plus largement, il s’agissait de les interroger sur la politique actuelle en matière de sécurité et sur les moyens déployés. Ils ont accepté de me recevoir.
Les vases communicants
Philippe Laurent a entamé l’échange en analysant le contexte national. Pour lui, ce qui est central, c’est un désengagement progressif et silencieux de l’État qui se poursuit depuis de nombreuses années. Ce qui oblige sans cesse les communes à créer ou à renforcer davantage leur police municipale. Il s’est dit « très interrogatif sur la politique nationale depuis des années en matière de sécurité qui revient à se décharger progressivement sur le local, au risque de rompre l’égalité de traitement de tous les citoyens en la matière ».
Cette rupture d’égalité est considérée comme le fruit d’une longue érosion qui trouve sa plus lointaine origine historique dans la séparation entre Police et Gendarmerie nationales. On a aujourd’hui un système de vases communicants permanent et silencieux de la Police nationale vers les polices municipales.
Sur le plan opérationnel, le maire voit un risque croissant de défauts dans la continuité de la sécurité des citoyens. Il voit également un risque majeur d’atteinte à l’indispensable proximité qui doit exister en permanence entre Police nationale et citoyens.
Remarquons toutefois en marge de cette analyse à propos de la séparation entre police et gendarmerie que cette séparation bénéficie, depuis 2009, d’un rapprochement dans la mesure où la gendarmerie nationale est désormais rattachée au ministère de l’Intérieur sur le plan opérationnel même si, en tant que force militaire chargée de missions de police, elle demeure partie intégrante du ministère de la Défense pour tous les autres sujets (gestion de la vie militaire, ressources humaines, etc.). LGdS reviendra en son temps sur ce qu’elle a observé à propos de l’articulation entre Police nationale et Gendarmerie nationale et sur les origines des polices municipales et leur renforcement progressif.
C’est précisément parce qu’il est opposé à ce phénomène de transfert progressif des missions régaliennes de la Police nationale vers les polices municipales, « sans transfert des moyens et des pouvoirs qui vont avec », et parce qu’il déplore en même temps un durcissement des normes et des contraintes, que Philippe Laurent a évité le terme -équivoque selon lui- de police municipale pour Sceaux, au profit de celui, plus conforme à sa vision, de service de Tranquillité urbaine. C’est pour la même raison qu’il n’a pas choisi le bleu de la Police nationale pour l’uniforme des gardes urbains du STU.
Il poursuit. Au titre d’officier de police judiciaire (OPJ) et de représentant de l’État en matière de police administrative, le maire devrait disposer d’un droit de regard sur la gestion de la sécurité publique dans sa commune, y compris sur les effectifs de la Police nationale et sur leur usage. Ce n’est pas le cas aujourd’hui : « Les maires sont des OPJ uniquement sur le papier puisqu’aucune autorité ne leur est reconnue dans la réalité sur les policiers nationaux des commissariats. Les policiers municipaux quant à eux ont seulement la qualification d’APJ-A (agent de police judiciaire -adjoint) et voient dans la pratique leurs prérogatives judiciaires limitées et subordonnées à celles des policiers nationaux qui sont OPJ et APJ (officiers et agents de police judiciaire). Les maires et leurs policiers municipaux ne peuvent donc qu’être complémentaires à la Police nationale, chacun dans son domaine de compétence, mais pas substitutifs ni supplétifs. De plus, la Police nationale doit continuer à exister au plus près des usagers et à se développer. C’est à la fois une conviction politique mais aussi une exigence d’égalité des usagers devant le service public.»
En même temps, le maire participe à la prévention de la délinquance à travers des instances de suivi en la matière, comme le CLSPD (Conseil Local de Sécurité et de Prévention de la Délinquance) qu’il préside.
Le CLSPD est une instance de pilotage local pour chaque commune. Il réunit notamment le préfet de département, le procureur de la République, le président du conseil départemental, des représentants des services de l’État, d’associations, et d’organismes œuvrant dans les domaines de la sécurité, de l’aide aux victimes, du logement social ou encore des transports collectifs. L’action de ces différents partenaires est prévue et coordonnée par un « contrat local de sécurité » en cours de redéfinition (définition par le CLSPD de Sceaux d’une nouvelle « stratégie territoriale de sécurité et de prévention de la délinquance »).
La double mission du STU
Pour le maire, le renforcement du STU a obéi à un principe de réalité : ne pas laisser la population scéenne exposée à d’éventuels « trous dans la raquette » entre dispositif national et dispositif local. Le pouvoir de police du maire dont on parle souvent est attaché à sa seule personne, en tant que simultanément représentant de l’État dans la commune et OPJ (Officier de Police Judiciaire) , et non au Conseil municipal. Il en a délégué une partie au responsable du STU, Jean-Baptiste Hayes, qui est ainsi assermenté.
Depuis 5 ans, chef du STU et coordonnateur du CLSPD, Jean-Baptiste Hayes, qui n’est pas un policier mais un attaché territorial (de catégorie A de la fonction publique territoriale – encadrement et conception), encadre une équipe désormais composée pour moitié de policiers municipaux (7 dont un adjoint au chef de service, policier municipal, le brigadier-chef principal Brice Boisset) et pour moitié de gardes urbains (7). La mission du STU est double : l’opérationnel et la prévention en matière de sécurité.
Il m’accorde une visite des locaux du STU. En les parcourant, il m’explique les travaux de réfection et d’agrandissement qui ont été réalisés pour accueillir les nouvelles recrues et développer les services. Les lieux sont clairs, spacieux, organisés rationnellement. Au moment de la visite, ils sont quasiment vides, à l’exception d’une recrue d’octobre 2018, l’assistante administrative du service, Émeline Saussais, une jeune femme chargée du contact avec le public (accueil téléphonique et physique, liaison radio avec les équipes) et d’un garde urbain. Pour le citoyen que je suis, cela me satisfait. Les agents du STU sont là où ils doivent être : sur le terrain.
Au centre de supervision urbain (CSU), situé dans une salle sécurisée, ce sont des écrans qui affichent en direct les images des caméras de vidéoprotection réparties dans la ville.
Si l’on en croit la progression constante du taux d’élucidation des infractions constatées, le dispositif de sécurité montre une certaine efficacité. A regarder ces installations, la question se pose des avantages qu’il y aurait de les partager entre plusieurs communes. Un seul dispositif pourrait avoir une capacité accrue. Mais à l’idée de Centre de Surveillance urbain commun, le maire m’objecte qu’aucun des maires concernés n’en veut. Pour lui, seul un transfert des pouvoirs de police des maires à l’intercommunalité pourrait constituer une réelle mutualisation, mais cela supposerait un abandon par les maires concernés d’une partie sensible de leurs pouvoirs, ce qu’aucun n’accepterait.
La même incrédulité revient avec les éventuelles mutualisations qui pourraient être étudiées avec les communes limitrophes. Chaque maire souhaite maîtriser sa politique de sécurité, laquelle pourrait être compromise en mettant en place des dispositifs communs.
Chiffres de la délinquance
J’évoque le niveau de la délinquance qui est un sujet de conversation des plus chauds entre Scéens. Certains, se référant notamment à un article de la presse nationale, considèrent Sceaux comme une capitale des cambriolages, alors que d’autres estiment notre ville paisible par nature.
Il convient d’abord, répond le maire, de préciser de quels faits de délinquance on parle avant de généraliser le propos. Les violences intrafamiliales ont effectivement progressé la dernière année. Il est probable que l’effet des confinements ne suffit pas à expliquer la progression constatée.
Le contexte scéen explique en lui-même toute une partie de faits répréhensibles : taux de résidences principales attractives, présence des gares de RER, notamment du terminus de Robinson autour duquel des agressions sont commises plus qu’ailleurs…
En ce qui concerne les cambriolages, « leur niveau est élevé dans notre commune, notamment en raison de la qualité des résidences principales et de l’appât du gain espéré, mais on a constaté depuis 2017 une tendance baissière qui semble de bon augure. ». Jean-Baptiste Hayes, de son côté, dit son intérêt pour les outils citoyens de prévention de la délinquance comme « Voisins vigilants et solidaires » : « cela nous permet d’alerter les habitants, d’être alertés rapidement également et de faire intervenir les policiers municipaux et gardes urbains ». Jean-Baptiste Hayes espère une plus grande vigilance collective à la suite des opérations de sensibilisation sur les bons réflexes de protection à domicile car « la police ne peut pas assurer toute seule la sécurité de chaque logement ». Le salon annuel de Sceaux sur la protection à domicile, même si son impact est encore modeste, contribue également à la prise de conscience des risques et des moyens de s’en protéger.
Conscience citoyenne
Moi-même acteur de « Voisins vigilants », je ne peux que saluer la réactivité et le sérieux de ses membres (un article sur le sujet prochainement)… Et comme je m’ouvre sur la positivité de cette initiative, je comprends que pour la municipalité, essentielle est la conscience que les Scéens devraient avoir des questions de police. Elle est souvent incomplète.
Par exemple, ceux qui déclarent que le maire devrait exercer plus fortement son pouvoir de police se trompent. Il n’en a ni le pouvoir ni les moyens. Les citoyens n’ont pas suffisamment conscience des principes qui guident le fonctionnement de la Sécurité dans notre commune. Quand un policier municipal dresse un PV de contravention pour stationnement de 135 €, c’est pour le compte de l’État et non de la ville. Nos concitoyens en sont-ils conscients ? Cet exemple, pris parmi tant d’autres, montre que pour la ville, si son engagement est total, il doit être compris dans son contexte et soutenu pour être pleinement efficace par des initiatives citoyennes.
LGdS a apprécié ces échanges et quand l’actualité de la sécurité locale le rendra utile, je solliciterai à nouveau un entretien auprès des responsables, notamment Jean-Pierre Riotton, conseiller municipal délégué à la sécurité, et Jean-Baptiste Hayes sur le fonctionnement au quotidien du STU.
Évidemment, LGdS est, par définition, ouverte à tous les points de vue sur la vie locale et elle rendra compte d’autres prises de position qui lui parviendraient sur ce thème que je suis tout particulièrement.
Je m’intéresse en effet depuis fort longtemps aux questions de sécurité. Je faisais d’ailleurs partie d’une liste concurrente à celle du Maire lors des dernières élections municipales, spécialement en charge de ce domaine, mais mes interlocuteurs avaient compris que ce n’était pas l’opposant d’hier qui souhaitait les rencontrer mais le simple citoyen, rédacteur dans LGdS.
Frédéric Négrerie