L’entretien commence avec l’histoire d’une malle trouvée sous les sous-sols du Bloc House, rue de Bagneux. L’immeuble autrefois, fut squatté par des gens qui ramassaient et amassaient tout ce qu’ils trouvaient. Ils accumulèrent un bric-à-brac d’objets, d’ustensiles, de livres, et tout ce qu’on peut trouver dans les rues. Lorsque la Tarlatane déménagea rue Jules Guesde où elle se trouve aujourd’hui, Vincent Pandellé put s’installer dans leur local. Il passa des jours et des jours à débarrasser le sous-sol croulant sous les trucs et les machins. Il sauva un livre, tout jauni, écorné, gondolé par l’humidité, le bien nommé « La production des richesses »[1] !
Il est en état de décomposition et le décalage l’amuse. Il le conserve, l’expose. Il le photographie. Vincent Pandellé est une sorte d’artisan. Il travailla au tirage et au labo pour les plus grands photographes : Helmut Newton, Raymond Depardon, Edouard Boubat. Pour Willy Maywald, il préparait les éclairages, agençait la lumière, préparait les appareils, le cyclo[2]…. Il parle de sa relation avec ces artistes et montre ses recherches sur son site passionphotographique.com.
Il s’enthousiasma très jeune pour la photographie. Dès que cela lui fut possible, il contacta des labos déposant un cv assez maigre, et il fallut qu’un jour un photographe lui fit confiance pour qu’il entrât dans la carrière. Cet homme de laboratoire se fit bientôt une expérience. Les tirages en argentique sont difficiles dans les milieux exigeants que sont la mode, la publicité ou la presse magazine.
Il rejoint l’atelier Publimod, haut lieu de l’argentique, dont la qualité professionnelle fait la réputation. Son savoir-faire se creuse dans des ajustements manuels très fins très rigoureux. Chaque photographe veut son rendu, qui devient sa signature. Newton voulait beaucoup de contrastes. Et, croyez-moi, ce principe paraît simple, mais il laisse une énorme marge d’interprétation. Les nuances sont immenses, deux tirages ne sont jamais identiques. Leur qualité se joue dans l’interprétation et l’habileté manuelle. Par qualité, il entend la bonne réponse à l’intention du photographe qu’il faut comprendre à demi-mots et sans doute aussi par complicité.
Faut-il voir ici l’infinie richesse du gris ?
Il fut agent et représentait des photographes auprès d’agences de publicité ou de la presse. Il devient lui-même photographe de studio. Il est aujourd’hui régisseur. Très pluridisciplinaire, jugez-en : ingénieur du son, éclairagiste, projectionniste, photographe évidemment et tout cela pour l’ECPAD (Établissement de communication et de production audiovisuel du ministère des armées), dont on sait combien il est actif en matière d’images. Il travaille actuellement pour un musée des Armées à des prises de vue d’avions (au sol) d’objets (embarqués) dans des véhicules spatiaux.
Sa création artistique est indépendante. Il a son métier d’un côté, sa création personnelle de l’autre. Il ne présente pas sa situation comme une peine. Il travaille ardemment, il dit que c’est parfois 7 jours sur 7. Il ne s’en plaint pas ; il aime ce qu’il fait. Il faut simplement qu’il crée, autrement, ailleurs. Les deux s’ajoutent, ils ne s’affrontent pas.
Raw materials
Les matériaux « pauvres », déchets, objets délaissés ou oubliés l’intéressent. « Ils nous rappellent, dit-il, que nous sommes dans une période de grande matérialité. » Les objets sont produits avec la frénésie d’un cheval emballé. Chacun trouve ce qui l‘intéresse, ce qui le distingue et lui plaît. On peut se demander si cette grande matérialité ne résulte pas simplement d’une population plus nombreuse, disposant de moyens pour satisfaire l’accessoire ; et peut-elle être discutée collectivement sans mener à l’affrontement entre sensibilités divergentes. Les autres consomment toujours moins bien que soi. Pour Vincent Pandellé, l’ attention aux problèmes environnementaux est peut-être moins partagée que l’on croit.
Il eut une période où il photographiait des lieux sans attraits, des objets délaissés. A Saint-Pétersbourg, pendant trois ans, sur un de ses thèmes favoris, l’Architecture, il prit des entrées d’immeubles, sombres et vides.
Il affectionne les grands formats, 1,50m, 2m, probablement pour leur forme « tableau ». Il aime la post-prod et le traitement numérique et travaille sur le vignettage, ce défaut des premiers appareils (les antédiluviens) qu’il recrée pour ce qu’il évoque d’imparfait, pour ce qu’il demande d’assombrissement, de renforcement de densité sur les contours, parce qu’il concentre le regard en l’accompagnant vers le centre de la photo. Le jeu des lumières et des contrastes sait conduire l’attention vers une partie ou vers un objet dans l’image. Et sûrement, ajoute-t-il, vers nous-même…
De quels côtés vont ses envies ? Les matières l’intéressent, qu’elles soient land art, métal ou bois. Il est passionné par le portait ; c’est un moment de rencontre avec une personne. Un moment hors le temps professionnel. Peut-être est-ce une mise à distance des objets, des équipements, des techniques qui mobilisent son métier. On voit alors que son habileté trouve dans ses créations de quoi exprimer, saisir, traduire, ce qu’il perçoit comme notre humanité.
[1] Le livre est René Masse. Il a été publié en 1925 par l’éditeur libraire Marcel Giard, 16 rue Soufflot, Paris Ve.
[2] Note tirée du site Get-Hi-Lighted : « … quand on photographie quelqu’un en pied dans une simple pièce (comme un salon, par exemple), on voit les murs, les plinthes, le sol, les ombres… bref, ce n’est pas photogénique ! D’où l’intérêt du cyclorama, qui est en quelque sorte un fond qui donne l’illusion d’un arrière-plan totalement uni. Photographié sur un cyclo, l’objet ou le modèle « flotte dans le blanc » ou dans une autre couleur, mais parfaitement unie. »