Le 14 juin, avant-hier, un article de CNN signale que les Américains évaluent une fuite de gaz rares dans la centrale chinoise de Taishan et parle d’un « risque radioactif imminent ». L’information vient de Framatome, qui contribue à l’exploitation de l’EPR chinois. Elle ne saurait nous laisser indifférents même si, au creux des Hauts-de-Seine nous pouvons nous sentir fort loin. La question de la production suffisante, sûre et sans C02 de l’énergie se pose à tous et doit guider nos réflexions.
Constatons d’abord que l’information relayée par la presse française se réduit finalement à peu de choses. EDF fait dans la journée un communiqué de presse où il donne une description de l’incident :
EDF a été informée de l’augmentation de la concentration de certains gaz rares dans le circuit primaire du réacteur n°1 de la centrale nucléaire de Taishan détenue et exploitée par TNPJVC, joint-venture de CGN (70%) et EDF (30%).
La présence de certains gaz rares dans le circuit primaire est un phénomène connu, étudié et prévu par les procédures d’exploitation des réacteurs.
EDF a pris contact avec les équipes de TNPJVC et apporte son expertise.
EDF, en tant qu’actionnaire de la société TNPJVC, a sollicité la tenue d’un conseil d’administration extraordinaire de TPNJVC pour que le management présente l’ensemble des données et les décisions nécessaires.
Sur les réseaux sociaux, quelques spécialistes du nucléaire donnent des explications techniques sur le phénomène en cours, qui se traduit par la présence dans le circuit d’eau primaire, de quelques gaz rares, à des niveaux supérieurs à ceux qui sont connus habituellement (mais pas sur le niveau de la radioactivité). La question n’est pas nouvelle, elle a déjà été rencontrée dans une centrale française (à Cattenom en 2001) et a fait l’objet à l’époque d’un retour d’expérience. Elle est très précisément décrite dans un document de l’INRS accessible en ligne : « éléments de sûreté nucléaire »[1],.
Dans une centrale nucléaire, le combustible est contenu par ce qu’il est convenu d’appeler des crayons (en raison de leur forme), eux-mêmes rangés dans des assemblages combustibles. Il y a plus de 50 000 crayons dans un réacteur de 1300 MW. Ces crayons sont conçus pour être étanches, mais ne peuvent l’être à un niveau tel qu’il n’y ait aucune fuite de certains produits de la fission, en l’occurrence du Xénon et du Krypton. Ces deux éléments font partie de ce qu’on appelle les gaz rares dans le tableau de Mendeleïev, leur principale caractéristique étant qu’ils sont neutres chimiquement (ils ne réagissent chimiquement avec aucun autre élément). La quantité de ces gaz rares dans le circuit d’eau primaire fait l’objet d’une surveillance constante, avec deux seuils. D’abord un seuil d’alerte (quand il est dépassé, l’exploitant est informé) et au-delà de ce seuil, une surveillance accrue doit être mis en place. Ensuite un seuil au-delà duquel le réacteur doit être arrêté pour intervention.
En France, l’ASN a défini ces seuils (voir cette note). De ce qu’on sait actuellement, il apparaît que le seuil d’alerte a été dépassé en octobre. Le réacteur a continué à fonctionner (ce qui n’est pas une anomalie) et l’instance chinoise de surveillance (l’équivalent de l’ASN) a été informée. Cette situation n’est pas considérée comme un incident. Framatome est normalement sollicitée pour étudier la situation (et ses conséquences).
A priori donc, une tempête dans un verre d’eau, à la limite près qu’on n’a pas le détail des niveaux observés (ce que demande d’EDF dans son communiqué). Et comme le fait remarquer un des spécialistes qui donne ces explications sur Twitter :
« Reste la question de l’implication des USA dans l’histoire …Et là pas de réponse claire … Framatome, CGN et EDF n’ont pas besoin des Américains pour gérer leurs réacteurs merci. Reste à savoir si cela a un lien avec la branche US de FRAMATOME qui a aussi des compétences en combustible ou bien simplement une fuite montée en épingle … »
Il cite cependant un spécialiste américain de la Chine qui pense que l’information donnée par Framatome (sollicité par les Chinois en raison de sa compétence) vise seulement à montrer sa bonne volonté aux autorités américaines (dans un contexte de relations commerciales difficiles entre U.S.A. et Chine) et que l’équivalent américain de l’ASN n’a pas jugé qu’il y avait un problème technique particulier.
Cet épisode illustre deux caractéristiques clés du fonctionnement de l’industrie nucléaire en France :
- Le niveau de transparence est extrêmement élevé, avec une surveillance très importante des exploitants par les autorités de surveillance. Cette situation est unique (à ce point du moins) dans l’industrie.
- Le moindre événement fait l’objet d’une réaction dans la presse, avec plus ou moins de précision de la part de celle-ci.
On peut supposer que l’autorité de surveillance chinoise veut également tout savoir de l’exploitant, mais que la presse chinoise a moins les moyens de suivre que la nôtre… Il est donc urgent d’en savoir plus avant de se livrer à des exercices oratoires.
[1] Voir au chapitre 28, page 824