Retour vers le passé, 40 ans en arrière : les élections présidentielles du 10 mai 1981, en France, en général, mais en particulier à Sceaux : rappelez-vous ou, pour les plus jeunes, regardez un peu : 56,77% pour VGE contre 43,23% pour François Mitterrand à Sceaux, à rapprocher des 51,76 % pour le nouvel élu contre 48,24 % pour Valéry Giscard d’Estaing, au niveau national. Sceaux se démarquait du pays tout en enregistrant une poussée pour le candidat Mitterrand.
Inscrits | 13 606 | |
Votants | 11 868 | 87,23% |
Blancs et nuls | 496 | |
Suffrages exprimés | 11 372 | |
Valéry Giscard D’Estaing | 6 456 | 56,77% |
François Mitterrand | 4 916 | 43,23% |
Erwin Guldner, maire de Sceaux à l’époque (je pense souvent à son épouse Marcelle, disparue en 2016, agréable voisine, car leur maison est en face de la notre) écrivait dans le Bulletin municipal n°107 de mai 1981 : « L’élection de François Mitterrand a saisi d’une grande espérance une bonne partie des Français, qui comptent sur lui pour réconcilier le rêve et la réalité . Il faut comprendre ce qu’il y a de sincère dans cette attente…[…]. Un peu moins que la moitié des Français est, au contraire, déçue et inquiète. A Sceaux, 56,77% des suffrages exprimés étaient au deuxième tour en faveur de Valéry Giscard d’Estaing. C’est dire qu’à cette heure, les Scéens sont en majorité dans l’inquiétude. Nous ne sommes pas des rabat-joie et nous souhaitons autant que qui conque que la France soit plus prospère et que tous les Français vivent mieux. Pourquoi , donc , ne pouvons-nous pas nous empêcher d’être anxieux ? »
Qui peut croire aujourd’hui que la menace contenue dans le titre était prise au sérieux par une partie des Français ? Elle avait été inventée par Michel Poniatowski, Ministre de l’intérieur de VGE qui déclarait : «Si la gauche l’emporte, on verra les chars soviétiques place de la Concorde» ? Qui peut concevoir ce que disait Laurent Fabius des années plus tard : « Certains se demandaient si nous mangions avec des fourchettes ! » ?
Ce 10 mai 1981 à 20h00, les Français étaient devant leur télé, lorsqu’est apparu, dans un suspense intenable, le haut du crâne dégarni du nouveau président, l’espace d’une seconde, on a pu croire qu’il s’agissait de celui de Giscard d’Estaing. Durant cette seconde décomposée au ralenti… et puis soudain le reste du visage s’est dévoilé et une majorité de Français ont crié leur joie… « Libération » pour certains, « Invasion des Huns » pour d’autres…
En tous cas, ceux qui ont vécu la fête du 10 mai à la Bastille, la remontée de la rue Soufflot vers le Panthéon du 21 mai pour le dépôt d’une rose rouge sur sur les tombeaux de Victor Schœlcher, Jean Jaurès et Jean Moulin, n’ont jamais oublié ce moment de liesse populaire proprement unique qui ont fait de cette élection un événement historique français majeur du XXe siècle.
Un vieux militant socialiste se souvient : « Juste après avoir appris la nouvelle, je prends un bus vers le centre-ville pour rejoindre des amis. A l’intérieur, juste le chauffeur et moi. « Alors ? », me dit celui-ci. Je lui réponds : « Mitterrand ! » Le chauffeur se met alors à klaxonner en hurlant : « Vous allez où ? » Je donne l’adresse de mes amis. « Je vous dépose ! »
« Puis il sort une bouteille de champagne de son sac et c’est ainsi que je me retrouve dans un bus-taxi dont le chauffeur hilare propose à chaque nouveau passager de les emmener directement à l’adresse de leur destination ! Le trajet est forcément long puisqu’il fait de nombreux détours… »
« C’est ainsi que commence pour moi une des plus belles nuits de ma vie… Quand je pense à toutes les déceptions qui ont suivies, je revois le visage de ce chauffeur, visage du bonheur, symbole d’un « aujourd’hui, tout est possible » qui hélas n’aura duré qu’un court moment… ».
Alain Duhamel, dans Libération du 4 mai 2001 écrivait : « Au soir du 10 mai 1981, la gauche était rimbaldienne. Dans l’allégresse de la victoire, elle croyait pouvoir changer la vie, enterrer le vieux monde, inventer une nouvelle société, larguer les amarres du capitalisme, voguer vers un socialisme onirique. »
40 ans plus tard, que reste-t-il de cette déflagration qui partagea les Français entre peur de l’inconnu et espoir du bonheur intégral ? Selon Jack Lang, ce jour-là, la France a quitté les ténèbres pour scintiller à la lumière du jour, mais d’autres se souviennent plus de la crainte de la socialisation du pays ou des dévaluations trois années de suite….
Il n’en reste pas moins que ces deux septennats ont apporté une quantité de mesures politiques décisives marquées à gauche lors du premier septennat, comme l’abolition de la peine de mort, la loi sur le prix des livres, la retraite à 60 ans, les cinq semaines de congés payés, les 39 heures, l’impôt sur la fortune, le financement du cinéma français, le Louvre ressuscité autour de la célèbre pyramide, les monuments parisiens, les Lois Auroux, la libéralisation de l’audiovisuel…..Le second septennat a été plus centré sur l’économie et l’Europe : il a présidé à une certaine libéralisation économique du pays. Il a surtout été un militant acharné de la construction européenne en jouant un rôle clef dans la relance européenne – le traité de Maastricht, la création du grand marché unique et de l’euro. Cette attitude favorable à la construction européenne est un autre fil rouge dans son parcours. Il a fait preuve de solidarité atlantique et occidentale à certains moments importants, en soutenant l’installation des fusées Pershing en Allemagne – « le pacifisme est à l’ouest, les euromissiles à l’est », déclara-t-il à Bruxelles en 1983. Il a engagé, enfin, la France dans la guerre du Golfe aux côtés des États-Unis en 1991.
Emmanuel Macron ne célébrera finalement pas le 10 mai l’anniversaire de l’élection de François Mitterrand qui dirigea la France par la suite durant quatorze ans, ce qui a rendu possible un exercice long et, pour la première fois, non dramatique, du pouvoir par la gauche. Cela renforça notablement la Ve république, dont Mitterrand était l’ennemi officiel du temps du Général de Gaulle, en faisant la preuve de son aptitude à l’alternance politique.
En effet, contrairement à ce qu’il avait envisagé en lançant l’année Mitterrand, en 2021, le chef de l’Etat laissera la célébration des quarante ans de l’élection de l’ancien président aux socialistes. (même idée qu’au début du paragraphe précédent)
Il serait juste cependant, pour la République française et ses valeurs, que le Président fête tout de même le quarantième anniversaire de la suppression de la peine de mort, le 9 octobre…