Les partisans de Qanon, cette mouvance conspirationniste très active aux U.S.A. pour le maintien de Donald Trump à la Maison-Blanche, pensent que les élites au pouvoir commettent des crimes satanistes et pédophiles. L’une des théories les plus à sensation serait que les élites, en particulier des vedettes d’Hollywood et des personnalités du Parti démocrate, sont coupables d’abus sur des enfants et en prennent du sang pour en extraire une substance qu’elles considéreraient comme une cure de jouvence (Wikipédia). A les croire, le pape François aurait été arrêté au Vatican, dans le cadre d’une vaste affaire de « trafic d’enfants et d’êtres humains ».
Cela paraît complètement fou. Et pourtant, un Français, ayant fini sa vie à Sceaux, a réussi à faire croire bien pire à beaucoup de Français.
La grande vogue des théories conspirationnistes
La Fondation Jean Jaurès et Conspiracy Watch ont fait réaliser en 2018 deux enquêtes d’opinion pour mesurer la prégnance des opinions complotistes dans la société française. Dix affirmations complotistes sur divers sujets ont été testées en vague 2. 35 % des Français ne croient à aucune de ces 10 affirmations quand 21 % croient à au moins 5 d’entre elles. C’est chez les électeurs de Marine Le Pen et Nicolas Dupont Aignan qu’on trouve la plus grande part de personnes qui croient aux thèses complotistes quand ce sont parmi les électeurs d’Emmanuel Macron qu’on trouve la plus grande part de personnes à n’en croire aucune. Ce sont aussi les plus jeunes, les plus pauvres et les moins diplômés qui sont les plus sensibles aux théories complotistes. L’examen de la liste laisse rêveur :
- Le ministère de la Santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins.
- L’accident de voiture au cours duquel Lady Diana a perdu la vie est en fait un assassinat maquillé.
- Les Illuminati sont une organisation secrète qui cherche à manipuler la population.
- L’immigration est organisée délibérément par nos élites politiques, intellectuelles et médiatiques pour aboutir à terme au remplacement de la population européenne par une population immigrée.
- Seule une poignée d’initiés est capable de décrypter les signes de complot qui ont été inscrits sur les billets de banque, les logos de marques célèbres ou dans des clips musicaux
- Il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale.
- Le trafic de drogue international est en réalité contrôlé par la CIA.
- Le gouvernement américain a été impliqué dans la mise en œuvre des attentats du 11 septembre 2001.
- Certaines traînées blanches créées par le passage des avions dans le ciel sont composées de produits chimiques délibérément répandus pour des raisons tenues secrètes.
- Les Américains ne sont jamais allés sur la lune et la NASA a fabriqué de fausses preuves et de fausses images de l’atterrissage de la mission Apollo sur la lune.
La liste ci-dessus est classée en fonction de la proportion de la population qui est d’accord avec la proposition, la première emportant l’adhésion avec 43 % des Français et la dernière avec 9 %.
Certaines opinions sont sans conséquence : après tout, que certains pensent que Lady Diana a été assassinée ou que la NASA a menti n’est pas bien grave. Il n’en est évidemment pas de même pour l’opinion sur les vaccins ou sur l’immigration. Et on a vu ces derniers jours à quel point les délires des fans de Qanon sont dangereux pour la démocratie.
Retour d’un phénomène ancestral
La Croix, qui a consacré une partie de son édition des 16/17 janvier à ce sujet du complotisme, rappelle que le phénomène n’est pas nouveau. Les conspirations fictives sont aussi anciennes que les réelles : les sorcières, les juifs, les francs-maçons en savent quelque chose.
Plus près de nous, on pourra rappeler toutes les thèses autour de l’assassinat de John Kennedy, ou en France, ce qu’on a appelé la rumeur d’Orléans. D’après cette rumeur, qu’Edgar Morin a analysée dans un livre, des marchands de vêtements faisaient disparaître des jeunes femmes par une trappe située dans les cabines d’essayage, pour alimenter ensuite la traite des blanches. La rumeur, qui ne reposait évidemment sur rien, s’est propagée dans une dizaine de villes françaises et s’attaquait généralement à des commerçants d’origine juive.
Plus anciennement, la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle ont vu la propagation de pamphlets complotistes. Ainsi, les Protocoles des sages de Sion, pour ne citer que le plus connu, parut en 1903 en Russie. Le livre se présentait comme un plan de conquête du monde par les juifs et les francs-maçons alors qu’en réalité[1] il s’agissait d’un faux produit par la police du Tsar.
Léo Taxil, Scéen d’adoption
Afin de rappeler que nul endroit, même le plus démocrate, n’est à l’abri de ce fléau, évoquons Léo Taxil. Né en 1854 dans une famille aux opinions très cléricales, Léo remit très vite en question les préceptes paternels et devint un écrivain anticlérical dans divers journaux, entre 1875 et 1885. Il accuse le clergé de tous les vices et de toutes les turpitudes à connotations sexuelles. Il sera notamment poursuivi en justice (mais acquitté) pour son ouvrage « A bas la calotte ».
Mais en 1886, il change radicalement de discours, annonce sa conversion, est reçu par le pape, et « se lance dans une violente carrière antimaçonnique, et publie des ouvrages exactement dans la même veine que ses précédents anticléricaux, mais dirigés cette fois contre les francs-maçons, qui sont à leur tour accusés des pires déviances sexuelles. » (Wikipédia)
Entre 1892 et 1895, sous un pseudonyme, il publie un ouvrage, le diable au XIXe siècle, où il accuse les francs-maçons d’adorer le démon et de mener une conspiration mondiale. Une partie de la hiérarchie de l’Église et des catholiques adhèrent à ses délires les plus fous, mais d’autres soupçonnent la supercherie. Il faut dire qu’il n’y va pas de mainmorte : il prétend par exemple que le diable participe à des soirées sataniques où il joue du piano sous la forme d’un crocodile pour séduire les jeunes filles ! Les sceptiques commençant à donner de la voix, le 19 avril 1897, lors d’une conférence, il explique que tout ce qu’il a raconté faisait partie d’une mystification. Le scandale est tel qu’il doit quitter Paris. Vers 1899, il se réfugie à Sceaux, où il décédera le 31 mars 1907. Ne pouvant plus vivre de sa plume, il travaille comme correcteur en imprimerie, très probablement au sein de l’importante imprimerie Charaire.
[1] Voir article de l’Encyclopédie Universalis