Aujourd’hui ce sont des images d’horreur qui nous viennent d’Ukraine. Comme beaucoup, j’ai préféré ne pas regarder les images, mais j’en ai lu suffisamment pour comprendre.
Après les premières horreurs découvertes à Boutcha, le repli des troupes russes au nord de Kiev met à jour d’autres exemples qu’on ne peut que qualifier de crimes de guerre. A Motyzhin, à l’ouest de Kiev, la maire Olha Sohnenko, son fils et son mari, qui avaient été ligotés et avaient les yeux bandés, ont été torturés puis exécutés. Et tous les jours, d’autres exemples arrivent.
Ces assassinats de civils de sang-froid viennent compléter des pratiques observées depuis le début de l’invasion de l’Ukraine : bombardements de bâtiments civils (maternité ou théâtre…), mauvaise volonté évidente pour laisser les civils sortir d’une zone de combats, arrestations des élus locaux…
Hasard du calendrier, ces événements surviennent juste après un massacre perpétré par l’armée malienne avec l’aide de mercenaires russes.
Que cette guerre (comme les précédentes que l’Europe a connues) soit une folie de destruction pour les protagonistes, je l’avais vite compris à voir les immeubles ravagés, les comptes rendus de matériels détruits et de pertes humaines. Mais on oublie vite que la guerre amène presque toujours une déshumanisation des protagonistes qui leur permet de justifier même l’injustifiable.
Déjà en Syrie
Je me souviens qu’en 2020, un rapport de l’ONU accusait déjà l’armée russe de crimes de guerre en Syrie. La page Wikipédia sur l’intervention militaire russe en Syrie rafraichit la mémoire.
La Russie ne donne aucune information sur les pertes civiles et ne reconnaît aucun mort civil. Cependant, la Russie est accusée de multiples crimes de guerre par différentes ONG et dirigeants, et également par l’ONU, pour des frappes indiscriminées sur des civiles, l’utilisation d’armes non conventionnelles sur des zones habitées par des civils, pour des frappes sur des hôpitaux, des centres de secours, sur des marchés notamment. Deux jours après une enquête du New York Times démontrant le ciblage de 4 hôpitaux bombardés par l’aviation russe, Vladimir Poutine signe un décret retirant la Russie du protocole 1 de la convention de Genève de 1949, qui permettait d’enquêter sur les crimes de guerre.
Un régime violent
On peut noter que les régimes russes successifs (tsariste, soviétique puis Poutine) n’ont jamais hésité dans l’utilisation de la violence quand les démocraties occidentales ont appris très progressivement la recherche d’un monde moins violent (après tout, le traité sur la tolérance de Voltaire date de 1763)
Je suis depuis quelques semaines sur Twitter Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférences en science politique. Ses recherches portent sur les sociétés post-soviétiques. Le 3 avril, elle s’interrogeait : comment un jeune homme ordinaire se retrouve-t-il meurtrier de civils, ou tortionnaire, ou génocidaire ? En réponse, elle observe ce qui se passe dans l’armée, chez les soldats et les officiers, mais aussi ce qui se passe dans la société russe.
Cela fait des années qu’on documente la militarisation et la brutalisation de la mémoire de la 2e guerre mondiale. Ces dernières années, on a vu émerger d’autres signes et d’autres messages. Ce n’est pas un hasard si c’est le nazisme que le régime poutinien pointe comme adversaire en Ukraine. C’est contre le nazisme que la population a été conditionnée, à un niveau quasiment réflexe, depuis des années. Ce sont des nazis que les soldats russes s’attendaient à avoir en face d’eux. Pour les familles des soldats russes tués, c’est par des nazis que leurs enfants ont été exécutés. Tant que cette équivalence peut être établie, le tableau est cohérent pour la population russe.
On m’accusera peut-être de vouloir trouver des excuses aux bourreaux. Mais quand on étudie la violence, comprendre et rentrer dans la logique du bourreau n’est pas excuser. Cette compréhension nous sera indispensable. Humainement, politiquement, analytiquement.
Je ne peux que m’incliner devant cette volonté de ne pas baisser les bras. Parce que cette volonté sera indispensable pour construire demain un monde moins violent.
Mais ce que je comprends aujourd’hui, au-delà des horreurs entendues, lues ou vues, c’est que la fin de la guerre vient de grandement s’éloigner. Comment penser que ceux qui ont vécu ou vu tout cela n’aient pas la rage ?
Jean-Claude
Quelques éléments en réaction
Aide à Gorbatchev
En démocratie, les dirigeants n’aiment pas trop prendre des décisions considérées comme désagréables par de nombreux citoyens, à moins d’y être obligés. Ce qui fait qu’elles sont souvent repoussées et prises au dernier moment. C’est d’ailleurs ce que certains observateurs reprochent aux dirigeants occidentaux à propos de Poutine : avoir laissé faire les décisions violentes du despote mafieux il y a 15 ou 20 ans.
En 1919, le Bloc National (la fameuse chambre « bleue horizon ») est élu largement (412 sièges sur 613), autour du slogan « l’Allemagne paiera » https://fr.wikipedia.org/wiki/Bloc_national_(France) ce qui débouche notamment sur les excès du traité de Versailles
Mais la politique française change entre 1925 et 1929 avec Aristide Briand qui fait entrer l’Allemagne à la SDN qui signe un accord avec Stresemann en 1929 au point d’envisager une Union européenne
La victoire d’Hitler doit au moins autant à la crise de 29 qu’au traité de Versailles
A contrario, les USA ont décidé le plan Marschall en 1947. Deux ou peut-être trois raisons : 1) analyse que les la question des réparations allemandes contribue à la création d’un sentiment d’injustice et avait facilité la prise du pouvoir par les nazis 2) menace de récession aux USA, avec la diminution des dépenses de guerre. Le plan prévoit d’ailleurs que les prêts sont assortis de la condition d’importer pour un montant équivalent d’équipements et de produits américains. 3)peut être une anticipation du « risque communiste ». L’Europe de l’Est, sous la pression russe refusera le plan.
Plus massif encore, l’aide de la RFA à l’ex RDA après la chute du mur. Accepté par les électeurs car il s’agissait d’aider les « frères séparés ».
Mais on peut noter aussi que les autres pays d’Europe de l’Est ont réussi à s’en sortir (avec l’aide réelle mais beaucoup plus limitée de l’UE).
Et que l’Ukraine ex soviétique n’a pas évolué comme la Russie : tout n’est pas mécanique
Ukraine
« On ne saura jamais si la résignation des Ukrainiens, c’est-à-dire l’acceptation « libre » d’une occupation Russe, n’aurait pas permis d’éviter toutes ces horreurs. »
Ce n’est pas ce qu’ils ont évalué. Et le « ils » ne renvoie pas aux dirigeants, mais vraiment à l’ensemble de la société. Ne pas voir cela, c’est vraiment se tromper.
les Ukrainiens ont estimé que « se résigner » c’était accepter 100 ans d’horreurs. Ils se souviennent d’Holodomor, entre 2,5 et 5 millions de morts https://fr.wikipedia.org/wiki/Holodomor
La société russe est restée une société très violente, et semble l’être de plus en plus avec Poutine. Les plans établis avant l’invasion prévoyaient l’élimination des « irrécupérables », dont les Russes avaient manifestement une vision très extensive.
Mais il n’est évidemment pas possible de savoir ce qui se serait passé
Petite remarque : la guerre en Ukraine coûte à la France plus que la rédaction de quelques articles. C’est d’ailleurs ce qui est reproché par des intervenants sur les réseaux sociaux, venus majoritairement de l’extrême droite (mais pas que)
Peut-on réparer l’histoire titre Antoine Garapon chez Odile Jacob, en 2008.
Dans, Les années Folles – 1922-1929, chez PERRIN (2022), Jean-Yves Le Naour montre bien la responsabilité de la France, du Royaume-Uni et de la Belgique, entre autres, dans la montée du nazisme en Allemagne.
En 1935, année de ma naissance, le ressort était bandé et la machine infernale enclenchée.
Entre 1986 et 1991, Mikhaïl Gorbatchev a tenté de changer de manière radicale la politique intérieure et extérieure de l’URSS. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Mikha%C3%AFl_Gorbatchev). Ni les Européens, ni la France mitterrandienne, ni les États-Unis n’ont travaillé de concert pour faciliter cette ouverture et mettre leurs forces et leurs moyens pour que cela aboutisse sur le plus grand projet de paix espéré par beaucoup à cette époque. On connaît la suite.
José Marti, dans son Discours aux Cubains au Steck Hall à New York en 1880 a dit : « La liberté coûte très cher et il faut, ou se résigner à vivre sans elle, ou se décider à la payer son prix ».
Effectivement, la liberté coûte très cher en Ukraine. Mais quelle liberté et pour qui ?
Pour les combattants ? Pour les morts ? Pour les déplacés ? Pour tous ceux qui pleurent leurs morts et souffrent dans leur quotidien comme ils ne l’avaient jamais imaginé ?
Pour nous, ça ne coûte que des articles dans la Gazette.
On ne saura jamais si la résignation des Ukrainiens, c’est-à-dire l’acceptation « libre » d’une occupation Russe, n’aurait pas permis d’éviter toutes ces horreurs.
On ne saura jamais si cela aurait permis aux toutes puissantes démocraties occidentales de négocier avec Poutine un avenir Ukrainien moins sinistre et, en même temps, un désarmement de toutes les parties pour la plus grande espérance des peuples.
Comme d’habitude, le piège de l’inconcevable s’est refermé sur la certitude de voir la folie des hommes le servir avec aveuglement.
Bonjour Jean-Claude
Avant de savoir ce qu’il faut faire devant cette guerre, il faut analyser ce qui se passe. Quels sont les objectifs des dirigeants, quel rôle jouent les peuples russes et ukrainiens, que se passe-t-il sur le terrain
Pour bien le comprendre, il est fortement recommandée de lire « Jamais frères ? » l’ouvrage d’Anna Colin Lebedev, Maîtresse de conférences en Science politique.
Poutine est porteur d’un projet autour d’un « monde russe » considéré comme une civilisation supérieure, donc légitime à annexer ses voisins. Il a progressivement éliminé ses opposants, par le « suicide » ou le Goulag. Il a échangé avec le peuple une amélioration de la situation économique (en fait permise par la hausse du prix du baril) contre des mains libres pour son pouvoir. Il se veut l’adversaire d’un Occident considéré comme décadent.
Son projet de domination l’a déjà amené à envahir la Tchétchénie, la Géorgie et la Syrie, en y massacrant systématiquement les civils. Si on le laisse faire en Ukraine, demain c’est la Biélorussie puis les pays baltes ? C’est la liberté de l’Europe que les Ukrainiens défendent aujourd’hui.
Pourquoi la Suède et la Finlande ont-ils demandé leur adhésion à l’OTAN depuis l’agression russe en Ukraine ? Pourquoi les Suédois et les Finlandais ont -ils massivement changé d’avis sur la question ?
Volodimir Zelensky un chef de guerre opportuniste ? Il ne s’est pas fait élire sur cet objectif que je sache, mais sur un objectif anticorruption. En revanche, il a su incarner la résistance de son peuple (avec 90 % d’approbation actuellement !)
Le 24 février, si le plan russe d’une invasion en quelques jours et de la mise en place d’un gouvernement fantoche a échoué, c’est parce que les civils ukrainiens ont par milliers pris les armes qu’on distribuait pour arrêter l’armée adverse.
Ce que montre Anna Colin Lebedev, c’est que depuis la fin de l’URSS, on assiste à deux évolutions opposées en Russie et en Ukraine. En Russie, Poutine a étouffé progressivement la société civile, alors que celle-ci s’est développé en Ukraine, sachant notamment demander des comptes aux dirigeants ; cette même société civile qui soutient aujourd’hui à fond ses combattants.
Aujourd’hui, Zelenski n’impose pas au peuple ukrainien ses objectifs de chef de guerre. C’est le contraire. C’est parce qu’il porte les objectifs du peuple qu’il est populaire. C’est la société ukrainienne qui est convaincue que c’est son avenir en tant que société qui est en jeu. Son but n’est pas compliqué : que les Russes s’en aillent, qu’ils évacuent toute l’Ukraine.
Il se trouve des leaders politiques français pour réclamer des négociations. Ils ne disent jamais sur quel base. De fait, il n’y a aujourd’hui pas de base minimum pour des négociations
La position russe est assez claire : ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est négociable.
La position ukrainienne est également assez claire : libérer son territoire.
Les pays occidentaux ont a priori deux possibilités. Soit fournir des armes aux Ukrainiens pour qu’ils libèrent leur pays, sans leur fournir de moyens d’attaquer le territoire russe (par exemple pas d’artillerie capable d’aller jusque sur le territoire russe). Soit ne rien fournir pour que les ukrainiens soient obliger de « négocier » en bref d’aller à Canossa.
Alors, oui, vouloir la deuxième solution, ce n’est pas seulement dégueulasse pour les agressés, c’est aussi être bien naïf sur les objectifs de Poutine
Les guerres s’accompagnent toujours d’horreurs. Cela se sait depuis longtemps.
Au moins depuis que certains en font un objectif de pouvoir, que les poètes composent des odes à leurs exploits, que leurs serviteurs s’assemblent pour les décorer, et que les historiens en font le rapport circonstancié.
Les musées sont pleins de ces représentations de champs de bataille qui ne montrent que l’héroïsme des soudards et la superbe de leurs chefs.
Et Guillaume Appolinaire de s’exclamer: « Ah Dieu ! que la guerre est jolie Avec ses chants, ses longs loisirs. » Il en avait sans doute le droit et la raison. (https://www.histoire-en-citations.fr/citations/guillaume-apollinaire-ah-dieu-que-la-guerre-est-jolie).
Cette guerre entre Ukrainiens et Russes ne fait pas exception à ces règles. L’horreur !
Faut-il pour autant prendre parti pour un camp ou pour un autre, sinon au risque d’être accusé d’antimilitariste, de lâche, de traître ou de niais,… ?
Vladimir Poutine est un dangereux despote, paranoïaque disent certains. Est-ce le cas de tout le peuple Russe ?
Volodimir Zelensky est un chef de guerre opportuniste qui sait manier les valeurs de liberté patriotique au mieux des intérêts supposés du peuple Ukrainien.
Faut-il, quels qu’en soient les risques, choisir un camp ou l’autre, et alimenter aveuglément tous les arguments proférés ici ou là pour leur donner raison ?
Est-ce condamnable de se poser des questions existentielles comme le fait Pierre Lellouche ? https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/20/pierre-lellouche-en-ukraine-n-est-il-pas-temps-de-s-interroger-sur-une-sortie-de-cette-guerre_6158607_3232.html.
La paix? Qui est contre? Reste qu’il y a un envahisseur et un envahi.
Pour ne pas être en reste dans l’horreur, je recommande d’aller voir du côté des Colonnes infernales (https://fr.wikipedia.org/wiki/Colonnes_infernales) – Guerres de Vendée en 1793, organisées par la Convention.
Il est rapporté, avec force de références historiques :
» En revanche, les troupes commandées par Cordellier, Grignon, Huché et Amey se distinguent par leurs violences et leurs atrocités, au point d’exterminer des populations entières, massacrant indistinctement royalistes et patriotes. Ces troupes se livrent ainsi aux pillages, massacrent la population civile, violant et torturant, tuant femmes et enfants, souvent à l’arme blanche pour ne pas gaspiller la poudre, brûlant des villages entiers, saisissants ou détruisant les récoltes et le bétail. Des femmes enceintes sont écrasées sous des pressoirs, des nouveau-nés sont empalés au bout des baïonnettes. D’après des témoignages de soldats ou d’agents républicains, des femmes et des enfants sont coupés vifs en morceaux ou jetés vivants dans des fours à pain allumés. »
Il y a eu un documentaire fait à caméra cachée et diffusé sur la télé des exactions commises par la « société Wagner » en Syrie. On y voyait notamment un déserteur syrien battu, membres et os brisés, puis démembré, tête coupée en dernier. Le démembrement n’a pas été montré, mais mentionné comme habituel. Et que s’est-il passé pour nos états? Rien. Il n’y a pas eu qu’en Syrie ! Mais l’Europe et les Usa ne se sont décidés à réagir que quand ils ont eu peur pour eux. La force des dictateurs n’est pas leur courage. Un prédateur n’est pas courageux. Il ne s’attaque qu’à plus faible que lui. La force des dictateurs, c’est la lachete très répandue dans notre espèce humaine.
Hélène, je vous comprends bien mais que voudriez-vous faire? La guerre avec la Russie?