Elle a la volonté de défendre et non de juger. Elle veut devenir avocate et non juge. Elle a 22 ans, habite à Sceaux, est étudiante depuis 4 ans à la faculté Jean-Monnet. Ce jour-là, elle avait (la photo en atteste) un pull rose assez épais. Signe qu’il faisait froid. Nous sommes à la mi-février au café de la Paix dont les murs résonnent plutôt plus que moins. Il faut tendre l’oreille ; ce n’est pas peine perdue.
Marine Guibert est en M1 de droit privé. L’évidence des uns n’est pas forcément celle des autres. Zéro risque : qu’est-ce que le droit privé ? Ce qui n’est pas le droit public. Avec ça, on est paré. Les différends entre particuliers, ce vaste espace qui s’étend du droit des successions au droit de la famille, en passant par sûrement plein d’autres droits. Un pressentiment : ce n’est pas du tout simple.
Le pénal et l’humain
Elle devine un besoin de pédagogie et rappelle, avec une indulgente légèreté, les trois types d’infraction : contravention, délit, crime. Elles croissent avec la gravité des faits. La première se juge dans un tribunal de police, le délit dans un tribunal correctionnel et le crime en cour d’assises. « Les délits courants sont le trafic de stupéfiants, le vol, l’homicide involontaire … Et le crime ne se résume pas au meurtre, il recouvre aussi les viols, les vols à main armée… » On s’étonne de voir une personne aussi chaleureuse et enjouée choisir de se plonger dans les noirceurs du monde.
Elle y voit de l’humain. J’ai renoncé à donner un sens formel à ce qualificatif cent mille fois invoqué. Chez elle, cela équivaut à un projet : l’année prochaine, elle souhaite faire un M2 de droit pénal et elle aspire à devenir avocate pénaliste. Elle éclaire cette motivation d’une raison qui anticipe ce qui va suivre et montre une cohérence certaine du caractère. « Le pénal est le lieu par excellence où la plaidoirie reste essentielle. Dans les autres domaines du droit, l’écrit prévaut ou du moins a une importance bien plus grande. » Un métier où le contact humain est par essence très fort, un métier aussi varié que les clients le sont, que les infractions le sont. Elle a besoin d’une « stimulation intellectuelle ». Effectivement, à entendre tant de récits de méfaits et de forfaitures, elle devait y trouver son compte.
Ce sera probablement un début de carrière avec des missions d’avocat d’office. Ce ne sera pas simple, mais elle ne le craint pas. Elle y apprendra beaucoup. Elle y croit, elle s’y prépare. Il y a des regards qui disent la confiance dans l’avenir.
Concourir
Flash-back. Elle a 18 ans et arrive à Jean-Monnet. Le niveau est exigeant, voire difficile. Les notations ne sont pas tendres. Il faut croire qu’elle a déjà le cerveau câblé sur le juridique ; elle s’y fait. Elle découvre et étudie des disciplines qu’elle aime. Elle trouve le temps de nouer des relations, de sortir parfois. A Paris, de préférence. On comprend. Sceaux, le soir, faut chercher.
Elle dit : « J’étais timide, très timide même. » Le ton n’est pas à la coquetterie et on devine qu’elle s’est gendarmée pour ne pas se replier sur elle-même, se recroqueviller sur les amphis et sa chambre d’étudiante et aller vers les autres. A toute force, peut-être. Elle va même faire mieux.
Il existe à Jean-Monnet des concours de plaidoirie. On a déjà parlé ici de concours d’éloquence. La plaidoirie s’en distingue, non par l’esprit, mais par le contenu. On n’est pas dans le sujet général marqué d’éthique ou de philosophie. Sur la base d’un cas pratique, les postulants se voient attribuer une position ; l’un doit incarner la défense (son avocat), l’autre la demande (son avocat ou le Ministère public).
« Au sein du Concours Lysias Sceaux, les épreuves varient en fonction des années universitaires ». Les premières années concourent sur une épreuve de plaidoirie au civil, les deuxièmes années sur une plaidoirie au pénal et les années suivantes sur une épreuve d’éloquence (on revient alors à la verve absolue).
Elle se présente et travaille le sujet. Elle remporte le titre. N’allez pas croire pas que c’est une promenade de santé. Ou un petit étirement musculaire avant l’apéro. Le concours local, ce fut 4 plaidoiries à préparer à raison d’une semaine de préparation pour chacune, en plus des cours et des partiels. Il en est à qui le succès enfle la tête ou les chevilles. Elle, ce fut le syndrome de l’imposteur, ce phénomène assez connu pour produire des centaines de milliers de réponses sur Google. « Je suis nulle ; ce n’est pas normal. Qu’est-ce que je fais là ? Ils ont dû se tromper. » Elle a la confiance en elle d’une fille de 18 ans qui ne se prend pas pour un phénix. Elle a du mal à y croire. L’étonnant est que cela ne la paralyse pas.
Il existe un concours national qui réunit les lauréats des différents concours locaux. Elle se présente à nouveau. On en était resté à 4 plaidoiries. Ajoutez-en 5 toujours avec une semaine de préparation. On en est à 9 épreuves, donc plus de deux mois sous la pression. « Ma mère et mon frère ont été pressurés pour me faire répéter. Ils s’en souviennent. »
Au concours national, elle remporte encore le titre de lauréate. Evidemment, on se demande dans quels tréfonds d’elle-même elle a trouvé la force de vaincre l’appréhension qui aurait dû être un handicap rédhibitoire. Mais, dans sa voix, tout coule de source, un geste discret de la main, un sourire montrent une certaine joie. C’est un charisme fugace qui passe par-dessus la table du café.
« L’improvisation ne s’improvise pas ! »
De cette aptitude, ce talent pourrait-on dire, elle retient modestement les qualités requises pour les transmettre. Ce doit être la culture des EEUDF, Eclaireuses et Eclaireurs unionistes de France (protestants) qui parle en elle. Car la volonté de partager semble bien ancrée.
Pour s’affronter à des épreuves qui mettent en jeu les timidités, les doutes, les forces, les chutes, la ténacité, elle cherche à communiquer « le sens du défi, la volonté d’apprendre à parler ». Il lui a fallu affronter puis surmonter la peur de la prise de parole, pas la toute simple, celle qui demande une baguette à la boulangerie, mais la solennelle, la jugée, la publique, la décortiquée par un jury exigeant. C’est un peu comme sauter en parachute quand on a le vertige. Il faut se dominer. Elle dit que ça s’apprend. Elle l’a appris, indubitablement. Les mots sortent de sa bouche avec une aisance détendue.
Apprendre. Pour Marine Guibert, il existe un lien souterrain et paradoxal entre l’écriture et l’oral. « On apprend plus à écrire qu’à parler, alors qu’on passe infiniment plus de temps à parler qu’à écrire. » La parole a ses lois, ses ressorts qu’on devrait enseigner davantage. C’est du reste ce qu’elle fera pendant un an à Marie-Curie où, deux fois par semaine, lors de la pause du déjeuner, elle entraînera des lycéens de la seconde à la terminale. Elle use d’exercices de toutes sortes : mini-débats, transmettre une émotion, inventer des définitions fictives, imaginer une conférence de presse sur une mesure imposée. Son goût pour l’oral s’y exprime carrément. Sa conviction aussi : la libération de soi passe par la parole publique. Sa victoire personnelle, elle l’échange. En retour, elle a eu le plaisir de voir des hésitants prendre de l’assurance et des « survoltés » prendre de la distance.
L’écriture ne s’oppose pas à la parole. « Pour réussir dans la plaidoirie, il faut aimer écrire. Il faut même une certaine passion pour l’écriture. » Si elle n’hésite pas un instant à les arrimer, à les regarder comme intimement liés, c’est qu’elle aime écrire. Les deux forment en elle une sorte de tout cohérent, mais un tout qui impose de bien saisir les singularités de chacun. « Dans une plaidoirie, on ne parle pas comme on écrit. Rien n’est pire que de suivre son texte, de parcourir ses feuillets. Ça s’entend très fort. » Totalement contre-productif du côté de la captation de l’attention. Plus, « c’est craindre de se lancer dans l’inconnu. » Une part d’improvisation est nécessaire. Il faut être tout à la fois dans son argument, dans le respect de son cheminement logique et s’en affranchir pour lui donner vie, l’incarner. Elle insiste de ses mains pour faire passer le lien subtil entre improvisation et démonstration. « L’improvisation ne s’improvise pas ! » Chez elle, elle exulte.
Organiser, impulser
Après son succès précoce, elle décide de s’investir dans la Lysias, l’association à l’initiative des concours de Plaidoirie et d’Éloquence, dont ceux auxquels elle avait participé. Lysias est présente dans une trentaine de facultés en France et exerce ses impitoyables derbys depuis plus de 20 ans. Son credo ? Le voici.
« Au travers de joutes oratoires aussi brillantes que provocatrices, où l’éloquence se mêle aux péroraisons et autres effets de manches, le Concours de Plaidoirie œuvre à la prise de conscience par les étudiants de l’absolue nécessité de maîtriser l’art « d’enseigner, d’émouvoir et de plaire ».
Vaste programme. Et compétitions ardues. Marine Guibert cite pour l’exemple un sujet donné récemment : « Est-on ce qu’on attend de nous ? » avec, pour pimenter, la figure imposée : l’un prend le oui, l’autre prend le non. On ne choisit pas. Pour répondre au « plaire » qui figure parmi les critères de l’éloquence, « l’humour est bienvenu, façon stand-up, mais parmi d’autres procédés. On est libre de jouer sur l’émotion (le « pathos ») ou sur des figures de style comme les métaphores filées. » Pour trouver ce recul sur des sujets aussi éthérés, il faut plutôt être en forme et inspiré.
La voici donc membre la Lysias de Jean-Monnet. Il ne manquerait plus qu’elle y soit inactive ! A la suivre pendant l’entretien, l’inactivité ne semble pas un état de sa matière. Elle devient secrétaire générale, apprend comment ça marche, comment ça s’organise, remplit son rôle. Du temps passe. Pas trop. Et puis elle devient présidente. Bon sang, mais c’est bien sûr ! comme disait le commissaire Bourrel, dont les ineffaçables aventures sont disponibles dans les archives en noir et blanc de l‘lnstitut National de l’Audiovisuel.
Avec sa présidence, le nombre de candidats aux concours atteint cette année un record avec 122 inscrits. Elle en est fière. Sa passion passe. La réputation grandit et la curiosité des étudiants avec. Pour éviter que la masse se transforme en nasse, il faut une organisation rigoureuse. On est dans la réalisation, la planification, l’intendance. C’est un bureau de 13 personnes, pas moins, qui est à la manœuvre avec une structuration des responsabilités qui laisse rêveur (les bénévolats sont rarement aussi précis dans l’attribution des rôles) : l’écriture des sujets, la communication, la logistique, la formation des candidats, l’administration et les mailings, les partenariats, le concours national, avec bien sûr les fonctions obligatoires de toute association 1901, présidence, secrétariat général et trésorerie. Enfin, cerise sur le gâteau, l’efficacité du bureau fait l’objet d’un suivi distinct. Place à l’organigramme.
Les curieux découvriront ici les visages de cette « dream team ». Relevons qu’il lui a fallu organiser, mener, évaluer maints et maints tournois. Elle est maintenant à la fin du marathon, pour cette année du moins. La finale se tient jeudi prochain, le 24 février à l’ancienne mairie de Sceaux et commence à 18h.
Voilà sous quelle trisection du temps, dès mâtines sonnantes, Marine Guibert libère son énergie et l’alterne entre la Lysias, ses études et tout le reste qu’on ne connaît pas et qui ne saurait être rien dans le tout de sa vie qui semble l’épanouir.
[…] Plaidoyer pour la parole – Sceaux, La Gazette dans Prises de paroles à l’EPF […]