Si évoquer un quartier populaire conduit immanquablement aux Blagis, c’est qu’on oublie les Mésanges. Caché derrière le RER Robinson, il est frontalier de Châtenay, de Fontenay et du Plessis, il est discret. Il est en plein bouleversement avec la construction d’immeubles le long de la rue Jules Guesde et la rénovation totale de la résidence HLM. Raison de plus pour en rappeler. Christine Boitel y a vécu 23 ans. Son expérience personnelle est par définition partielle. Elle nous raconte cependant qu’un quartier populaire n’est pas synonyme de mal-vie. Mieux, cela peut être le contraire.
Les Mésanges, c’était dans son souvenir, 4 immeubles de 4 étages avec plusieurs perrons par immeubles ; les perrons où les adolescents parlaient sans fin. Il y avait un grand bac à sable entre les immeubles et de petites allées de verdure. L’espace était sûr. Enfant, avec une couverture accrochée à la clôture de la résidence et des pierres pour la coincer en bas, la petite bande fabriquait une maison idéale (du fait main en tout cas), une sorte de tente, pour jouer au docteur, à la marchande et peut-être même à la maîtresse. C’était tous les jours, à la sortie de l’école, celle du Clos Saint-Marcel, dont elle fut parmi les premières écolières. Et, en revenant, après le goûter, on descendait dare-dare pour retrouver la maison.
Familles laborieuses
Sa mère, seule avec ses 2 enfants, gouvernante dans 3 maisons travaillait sans cesse. Elle ne s’en plaignait pas. Avec ses employeurs, il y avait de l’empathie. Elle s’est occupée de 6 enfants en plus des deux siens. Mais c’étaient des heures et le travail était une valeur. Elle a été de toute évidence transmise à Christine. D’abord, on gagne sa vie, on gagne son indépendance ; ensuite, on passe au reste.
« Oui, le quartier était assez excentré, mais cela n’avait pas d’importance. On faisait les courses aux 4 chemins. On avait la boulangerie, Monoprix, le dimanche on prenait le bus pour faire le marché du Plessis-Robinson et acheter à meilleur prix. On n’avait aucune raison d’aller au centre de Sceaux, excepté quand il arrivait que maman « se saigne » pour m’offrir une magnifique poupée achetée dans LA boutique bleue de jouets de luxe, près de l’église. »
La population de la résidence était homogène : des familles assez modestes pour être éligibles aux HLM, avec le plus souvent 2 enfants, quelquefois 3. Tous dans la même tranche d’âge.
Les habitants se sont installés en même temps dans les années 60. Ils se rencontraient, s’entraidaient. Une mère gardait les enfants d’une autre. « A 5 ans, j’ai eu les clés de l’appartement. Je devais attendre 19h30 le retour de maman du travail. ». Elle avait très peur de rester seule. Elle laissait la porte ouverte et Denise, à l’appartement du dessus, faisait pareil. Elles pouvaient se parler. Elles s’entendaient. Gilles son fils venait jouer avec elle parfois, ou encore Catherine de l’appartement du dessous. Le voisin de palier, en face, quand elle faisait des caprices à sa mère, venait faire une grosse voix de gendarme.
Un autre souvenir : les mères de famille refaisant le monde autour d’un café et de quelques biscuits. Des rires ou des cris des enfants venaient les interrompre.
La confiance entre parents donnait aux enfants une liberté grande. Sa mère au travail, son frère, de sept ans son aîné, s’occupait comme il pouvait de sa petite sœur, un voisinage au fond sécurisant, la cité fut pour Christine Boitel un lieu heureux.
Quelques-uns des garçons ont failli passer du côté obscur de la force. On disait que c’était sous l’influence de … je vous le donne en mille… des Blagis. Elle ne l’a pas vécu directement. On le disait, c’est tout. Trop fort non ? Quand on interroge les habitants des Blagis, les souvenirs sont inverses. Autrefois, tout se passait bien. On ne dira jamais assez le travail déformant de la mémoire.
Formation
Collège Marie-Curie, puis un BEP au Plessis. Les études, c’est bon pour les patients. Elle regrettera par la suite de ne pas les avoir poussées plus avant. Mais son itinéraire montre que la force de caractère comble ce genre de lacune. Ensuite un BTS à Emmanuel Mounier, à Châtenay.
Elle n’est pas en décalage par rapport à ses amis. Ils et elles ont passé des CAP, des BEP, on s’est fiancé très vite. On a trouvé du boulot. (Ce ne sera pas le chemin qu’elle décidera de prendre). Son frère part à l’armée à 18 ans ; elle en a onze. Il se marie ensuite. Il venait parfois la chercher au collège avec son camion de livreur de biscuits. Elle en était fière. La vie d’adulte commence plus jeune dans les quartiers populaires.
Après son BTS, elle se donne un an. Elle a économisé l’argent de ses gardes d’enfants, de ses jobs de vendeuse qu’elle enchaîne depuis le début de son adolescence. Son stage de BTS s’est passé chez IBM au secrétariat des ingénieurs commerciaux. Elle est fascinée par ce monde. Elle réussit à se faire embaucher pour 1 an de plus. Pendant ce temps, elle observe, capte ; elle a envie d’en être. Elle se paie le voyage aux États-Unis où elle a trouvé un emploi de jeune fille au pair. Cela dure huit mois, dans le Connecticut, elle apprend l’anglais. Elle avait remarqué combien c’était nécessaire. Collégienne, elle ne l’aurait pas cru. Là, ça s’impose.
Au retour, elle s’inscrit dans une boîte d’intérim qui lui trouve une place de secrétaire dans une société de services informatiques, mais elle vérifie que cette société offre des formations à ses salariés (une idée fixe en tête). On est dans les années 1980, les besoins sont énormes. Son stage chez IBM a dû jouer. La rencontre qu’elle fait alors va déterminer sa carrière. Ce fut une chance qu’on peut mettre au compte du seul hasard, mais écouter Christine Boitel convainc qu’elle est puissamment allée le chercher.
Cap Sogeti
L’entreprise qu’elle rejoint est Cap Sogeti. Son patron la recrute au terme de son contrat d’intérim. Elle joue cash et lui expose sa volonté d’évoluer ; elle veut devenir commerciale. Ce n’est pas son problème ; il la veut comme secrétaire dans son agence. Il la jauge. Elle travaille dur. Une agence, c’est beaucoup de collaborateurs dont il faut suivre l’activité, beaucoup de rapports de suivi et de propositions commerciales à mettre en forme. Le temps passe. Il comprend son potentiel. Elle cite son nom avec une reconnaissance sincère, Alexandre Levy. Elle tient à citer son nom. Il accepte le deal. Elle pourra suivre le cursus qui permet aux jeunes ingénieurs de se former à la culture commerciale.
« La formation que j’ai suivie était façonnée spécifiquement en interne à Cap Sogeti. Mais elle incluait des modules externes de formation commerciale qui venaient de Krauthammer ». Elle est conçue en alternance et dure un an. Ce sont des enseignements aux offres et aux métiers de l’entreprise, à la vente, à la gestion du temps, aux procédures internes, à la prise de parole, à la gestion de conflit. Elle se souvient de cela.
Christine Boitel se souvient surtout combien ce fut difficile. Mais elle en voulait. « Je voulais prouver que j’étais à la hauteur des autres. Je n’avais pas le même bagage. Mais je compensais par le travail. » Elle est aussi servie par une facilité à se lier. Pendant sa formation, elle se « colle » aux commerciaux de son agence pour comprendre ce qu’ils font ; elle se « colle » aux développeurs, chefs de projets ou consultants. Là encore, comprendre. Les collègues sont ouverts, lui expliquent. Ils déjeunent ensemble ou prennent simplement un café. Elle absorbe.
La voie est tracée
Non seulement elle réussit, mais elle cartonne rapidement comme commerciale. Soulignons au passage que vendre des services informatiques n’est pas spécialement simple. Ils sont nombreux et changent en permanence avec les évolutions technologiques. On a remarqué que celles-ci sont continues.
« J’ai bossé comme une malade. Parfois jusqu’à six jours par semaine. Je me suis mariée à 37 ans et j’ai eu mon fils à 38. » Pas l’ombre d’un trémolo dans la voix, c’est tout le contraire. Christine n’est pas une victime, c’est une force. Elle est fière de son parcours et de sa vie professionnelle qui connaît par la suite de nombreux rebonds.
Elle saisira les opportunités quand elles se présentent, changera d’entreprise, ne se satisfera pas d’ambiances qui l’ennuient, de projets qui s’en vont, d’équipes sans ambition. Tout le monde n’a pas le caractère à se lancer dans l’inconnu. Elle, oui. Dans « opportunité » il y a « opportun » et la faculté à distinguer ce qui est judicieux de ce qui ne l’est pas. Elle doit avoir cette faculté puisqu’elle prendra des responsabilités croissantes.
Retour aux sources
On peut penser que sa vie professionnelle n’a rien à voir avec le quartier de son enfance et de son adolescence. Pour Christine Boitel, ce fut le contraire : « Les Mésanges m’ont structurée. » Elle y a appris la vie collective, la solidarité, elle ajoute en souriant : « l’amitié et l’amour aussi ». Elle fut rebelle, étant livrée très tôt à elle-même, mais la proximité des uns et des autres, la surveillance aussi, le rapportage à la mère des facéties de la fille, une mère aimante et structurante, les longues soirées de printemps sur les perrons, ont arrangé un univers où elle s’est épanouie. On se connaît, on se reconnaît. Pas besoin de jouer le numéro compassionnel version quartier défavorisé. C’était sa résidence ; elle y était quelqu’un, elle s’est amusée comme on s’amuse enfant ; elle y a bien vécu. Elle y a trouvé le toboggan et le tape-cul, le sable et le Monop’, le patronage à Sainte-Bathilde, le RER et les bus, les cache-cache dans les caves sans que jamais ça ne tourne au vinaigre, ce monde du travail qui s’y trouvait bien. Elle est née quelque part, comme le chantait Leforestier.
Grand respect et chapeau bas, à Christine et sa Maman.
Avec toute mon admiration, et plus…..
B.
Quelle belle tranche de vie et quel beau témoignage de la vie d’avant !!
Soyons fiers de nos vies …..
Merci Christine d’avoir partagé…
Mes parents et ma soeur ont vécu 10 ans aux mésanges. Puis 37 autres années ailleurs à sceaux…ils y étaient arrivés par hasard. Comme quoi la vie y était douce et belle
Magnifique portrait.
Bravo !
Beau portrait. Belle personne. Merci Maurice. Merci Christine Boitel.