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Marie Ibaka, influenceuse mode

FONTENAY-AUX-ROSES Qu’est-ce qu’être influenceuse ? Quel sens donner à cette expression qui semble avoir été inventée par les réseaux sociaux ? Une transformation de l’intimité en spectacle, de la personnalité en produit, de l’existence en « contenu » ? Une sorte de catégorie professionnelle, floue dans ses contours mais efficace dans ses mécanismes ?

À l’Odyssée, la brasserie place de l’Eglise, Marie Ibaka apporte des débuts de réponses. Elle a 70.000 followers sur Instagram (on va dire Insta) après en avoir purgé 30.000 pour activités insuffisantes. Elle se veut influenceuse et en a même « théorisé » le rôle : « augmenter la valeur d’un objet en donnant envie ». Elle vient de la « fast fashion » (vendre beaucoup, vite et pas cher) et entame un virage à 180 degrés.

Son nouveau contour d’influence ?  « Les filles, n’achetez pas n’importe quoi ! Videz vos placards, piquez à votre mère ses pattes d’éleph, sa petite veste en jean ! Mélangez avec votre lumière et c’est joué. »  Influencer c’est promouvoir et l’opinion peut changer. Celle de Marie a changé.

Au commencement était l’effort

Au début, on n’est personne. On fait avec ses propres moyens. On est tenace, extrêmement tenace, on ne compte pas son temps. Au début, elle envoie quatre ou cinq posts par jour ! « Je bombardais Insta avec ma gueule ! » C’est du boulot, il faut des photos au top et des messages qui aillent avec. On prend des positions, on se déplace, on danse. A chaque fois, il faut plusieurs prises.

« J’ai galéré. » Être influenceuse en mode, c’est mobiliser « tout le temps qui nous reste quand on ne travaille pas, ne dort pas, ne mange pas, ne s’occupe pas des enfants ». C’est transformer chaque instant de sa vie en contenu, chaque tenue en argument commercial, chaque émotion en mise en scène.

Les followers arrivent peu à peu. D’Italie d’abord, puis d’un peu partout. Elle reçoit pas mal d’émoticons obscènes, l’aubergine, l’abricot, la pêche, le panneau interdit aux moins de 18 ans. « Ça s’est arrêté quand je suis devenue certifiée chez Insta. On est protégée. » Les posts et les mots insultants sont filtrés.

Oui, mais, la certification, elle vient d’où ? « Un jour, j’ai été repérée. » Comment ? Elle n’en sait rien. Sans doute parce qu’elle postait tout le temps. « C’est exactement ce qu’Insta vous demande. Les algos Insta regardent le nombre de posts envoyés. Il faut de la chance. « C’est comme une fille qui est jolie et qui un jour, par hasard, se fait repérer par un type qui lui propose de devenir mannequin. ». Alors une assistante Insta lui conseille des créneaux pour « maximiser » les posts. A 18h le lundi et le mercredi, ou en soirée. Le dimanche, c’est top aussi.

Impossible de savoir pourquoi un post fait 500 vues et un autre 17.000. Mais elle sait qu’une anecdote vidéo, un story, ça marche bien. Avec une petite mésaventure filmée à l’entrée d’une boîte de nuit, elle a fait un beau buzz.

Tiktok

Elle travaille avec des magasins. Elle met des références de robes et en suit avec la commerçante l’impact sur les ventes. Il peut être très rapide et épuiser un modèle dans la journée. Elle a un code promo que ses followeuses Insta utilisent dans les boutiques. En contrepartie, elle reçoit des vêtements, qu’elle utilise pour… continuer à poster, « à faire du contenu ».

Tiktok arrive plus tard dans sa vie. On y fait de petites vidéos plutôt que des photos. Elle s’en sert pour attirer du monde. Pour vendre, il faut faire du live et pour faire du live, il faut atteindre plusieurs milliers de followers. Elle en a 8000. Apparemment, il en faut plus. Mais pas sûr qu’elle en ait envie.

Il existe sur ce réseau une autre source de revenus via les forfaits cadeaux. On achète admettons pour 20 euros et on peut donner une petite somme, 50 centimes par exemple, à quelqu’un dont la vidéo plaît : un grand-père passant l’aspirateur chez lui, ou une « tantine » faisant une recette africaine. Petites sommes multipliées par grands nombres, ça ne fait pas de vous un millionnaire, mais ça peut rapporter quand même. « Insta le permet aussi maintenant. »

« TikTok, c’est dur. » C’est peu filtré. Les gens méchants sont nombreux. « Faut avoir le cœur accroché pour résister aux insultes. » Mais le succès peut aller très vite. Il lui est arrivé d’avoir 73.000 likes ou 136.000 vues sur une robe Zara.

Apporteuse d’affaires

Elle ne vit pas que des réseaux sociaux. Insta est une vitrine et Givenchy l’y a aperçue. Puis le Printemps. C’est pendant la pandémie. Elle a droit aux mots bleus, ceux qu’on dit avec les yeux : « On aime votre personnalité, on adore votre énergie, votre puissance, on aimerait travailler avec vous. Ça vous dit de venir voir nos produits et de rejoindre notre équipe ? » Yes, dear, of course !

Photo MZ

Pour les marques, le nombre de followers n’est pas le seul critère. « Si j’en ai 5000 qui sont réactifs, qui répondent rapidement, qui likent, ce sont 5000 clients potentiels. » Or elle travaille avec des agences dites conciergeries, qui assurent à des touristes pécunieux une prise en charge très soignée, du début à la fin de leur séjour. Ce qui « n’est pas vraiment dans la mentalité française, l’est plus chez les Américains, Coréens ou Singapouriens », ses clients.

Ils ont les moyens et veulent du clé en main, avec hôtels « atypiques », restaurants tout autant, visites de sites et, bien évidemment, des shoppings sur mesure. Rien que du meilleur. De l’anthologie. Des pièces super difficiles à trouver, des exceptions. Des vêtements « timeless » (indémodables, si on préfère) mais qui font déclencher des « waouh !! ». VTC, accueil avec café dans la voiture, Fiji water, s’il vous plait.

Cette clientèle, au pouvoir d’achat certain a entre 40 et 65 ans. Elle a le souci de s’entretenir. Elle est curieuse, aime rependre son souffle en s’impressionnant à Giverny. Culture : avant d’entrer dans une boutique parisienne, Marie en raconte l’histoire. Elle n’est pas avec n’importe qui et ne les emmène pas n’importe où. On ne s’improvise pas « personal shopper ». Il y a 15 ans, elle a suivi une formation de styliste (« pour tout connaître de la mode »).  Incidemment, elle est bilingue.

Revenu de tout

Avec tous ses « rendez-vous shopping », les relations amicales qu’elle aime avoir avec ses clientes, elle s’est constitué un réseau qui par nature attire des marques. C’est ainsi que peu à peu, elle devient « apporteuse d’affaires ». A Givenchy, se joignent Dior et Gucci.

Avec Givenchy et Dior, c’est un pourcentage à partir d’un certain montant de ventes réalisées par son entremise. En tant que partenaire shopper, elle dispose d’un code promo dont elle fait bénéficier ses clientes. « Tout le monde veut des réductions. »

Du côté conciergeries, elle est payée à l’heure. Le nombre est défini en fonction des besoins de la cliente : « J’ai besoin de couleur pour un « event » ; je veux renforcer mon dressing, je veux des tenues pour le bureau. » Ça ne s’improvise pas. Pas plus que les économies dont la cliente doit profiter (l’économie n’est-elle pas un profit ?). Figurez-vous qu’aux US, les taxes sont énormes ! L’Europe est un paradis. Un exemple « futile » qu’elle prend en riant: « Un sac à main de 7000 euros aux US coutera 5000 en France moins 2000 de détaxation, donc 3000 euros. » On comprend : c’est dingue !

Itinérances

Marie sait argumenter. Elle a couru le monde. Son père est de République Démocratique du Congo et sa mère d’une famille mi-anglaise mi-jamaïcaine. Si elle nait à Kingston en Jamaïque, sa naissance est déclarée à Kinshasa. Le temps pour sa mère de mettre les bouts, vu que la situation familiale est devenue, disons, très menaçante. Marie y reste deux ou trois ans sans garder de souvenirs. Sa mère la confie aux grands-parents. Sa grand-mère est anglaise et c’est à Chelsea, en Angleterre, qu’elle fréquente l’école maternelle. Puis, sa grand-mère et elle s’installent au Guivinec en Bretagne. Elle y reste du CP jusqu’à 10 ans.

Sa mère la reprend ensuite et l’emmène à Paris. Au collège, elle est virée de partout. Elle commence une école de couture qu’elle ne suit pas longtemps. Sa mère l’envoie à Kinshasa, elle a 15 ans. Elle travaille dans une boutique ; elle vend du Dolce Cabana. Sa mère meurt quand elle a 16 ans. Elle rencontre son futur dans la boutique. Il est dans l’hôtellerie. Son père la marie. Elle accouche de sa fille le jour de l’accident fatal de Lady Di. Ils s’installent au Caire où son mari a trouvé un emploi. Peu après leur arrivée, c’est l’attentat de Louxor. L’attentat islamiste de 1997 fait fuir la clientèle des hôtels d’Egypte. Il leur faut repartir.

Le Sultanat d’Oman. Après trois bonnes années, il est nommé dans la région des « Stan » (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan…) pour y développer l’activité hôtelière. Elle revient en France, au Havre précisément. Elle ouvre une boutique Fashion Vitkim. Puis, elle rejoint la région parisienne. A Courbevoie, elle continue dans la mode. Pour un commerçant qui possède trois boutiques, elle assure les achats, les choix de collections, les installations de magasins, les vitrines…

Quand on a bourlingué autant, pas étonnant qu’on ait de l’assurance. Marie en a.

Rebondir

Maintenant, elle a 49 ans 3 enfants. Influencer oui, mais sur un nouveau discours. Prendre soin de soi. Se faire un corps athlétique. 35 minutes de sport tous les matins. Pour le gainage. Un verre d’eau au lever. Ne pas croire aux crèmes miracles, « ça n’existe pas !, pas la peine de se ruiner !» Liberté de porter ce qu’on veut. Profiter de la vie.

Son futur site sera démonstratif. Etre une femme « épanouie ». Développer sa volonté, s’accepter comme on est, surveiller son poids, dépasser les difficultés. Avoir confiance en soi, se respecter. Transmettre des valeurs aux enfants.

Les sacs, les t-shirts avec des imprimés maison, les bijoux seront présentés avec une sobre pondération. On y apprendra à recycler. « On a dans son placard des vêtements pleins de styles différents. » Mieux, ils ont vocation à être tendance. D’ailleurs, « pour être super tendance, regardez les vieux films. La mode est un cycle. » Ça tourne. On ajoute un peu plus de gleeky (de joie), mais c’est pareil. « La mode ? c’est retour vers le futur. »

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