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Marjorie Ruffin et les métiers de l’archiviste

Chaque ville loge dans ses entrailles un labyrinthe de délibérations municipales, de permis de construire, de dossiers sociaux, de marchés publics, pour ne citer qu’eux parmi des centaines. A Châtenay-Malabry, cumulés, les rayonnages d’archives occupent un kilomètre linéaire. Et ce kilomètre vit et s’allonge. Des documents arrivent régulièrement, d’autres en sortent une fois la durée légale échue. Marjorie Ruffin est responsable du service Cultures en Ville, Archives, Documentation qui compte trois archivistes professionnels et un agent administratif. Cette passionnée d’histoire médiévale, qui a déchiffré des testaments du XIVe siècle, exerce ses méthodes au service des mémoires municipales contemporaines.

Le défi ? Concilier l’obligation de conservation avec la nécessité d’élimination, tout en respectant les droits des citoyens et la réglementation en constante évolution.

La « vie » des archives

Loin de l’image poussiéreuse de l’archiviste perdu dans ses vieux parchemins, Marjorie Ruffin incarne une profession en mutation constante. Sur son bureau, rappelant le Vidal des médecins, trône l’imposant Code de la protection des données personnelles de quelque 1600 pages. Il dit à lui seul que le labyrinthe de papiers et de fichiers numériques est doublé d’un autre, réglementaire, qui assigne à chaque document une « ligne de vie » avec une durée et des usages bien définis.

L’archivage dans une commune concerne a priori tous les documents qui y sont produits, quelle qu’en soit la nature : administrative, juridique, historique et patrimoniale. Cela va des arrêtés du maire aux actions suscitées par les Jeux olympiques de 2024. Toute la vie de la commune laisse des traces. Elles sont enregistrées. Ça fait du monde.

Des usages très encadrés

« Dès leur création, explique Marjorie Ruffin, les documents sont considérés comme des archives ». Les archives « courantes » sont dans les bureaux : ce qui se produit, ce bilan de l’année précédente que consulte régulièrement le service, cette acquisition d’œuvre d’art dont on suit les démarches. Puis vient le temps des archives « intermédiaires », en pause dans leur service d’origine, avant leur passage aux archives « dormantes » dans l’espace de stockage, protégées par des niveaux de confidentialité précis.

Les durées de conservation dépendent des situations. Pour ne prendre que quelques exemples, les factures de fonctionnement sont conservées dix ans, les dossiers de carrière des agents quatre-vingts ans, tandis que pour les dossiers médicaux de la petite enfance, c’est vingt-huit ans après la naissance de l’enfant.

Les archives communales regorgent par nature de documents contenant des données personnelles. De sorte que les documents sont associés à des niveaux de confidentialité qui en réglementent l’accès.

Le fameux code de 1600 pages permet de savoir quand ces droits s’appliquent … et quand ils ne s’appliquent pas. A condition toutefois de le compléter par un autre code, celui du Patrimoine. « Il réglemente, explique Marjorie Ruffin, la conservation et communication des archives ». Grâce à ce complément de 687 pages (édition 2020-2021), on dispose des règles de conservation des données (qu’elles soient physiques ou numériques). On sait combien de temps, et sous quelles conditions, elles peuvent sollicitées pour consultation, rectification ou suppression.

« Cleaning day »

On comprend que les personnels municipaux aient besoin du conseil d’archivistes quand ils se demandent : Que peut-on conserver ? Que peut-on éliminer ? Que doit-on absolument éliminer ? A qui peut-on transmettre ? On devine que dans certains cas, c’est même un peu « anxiogène ».  Car il faut trier. Il faut classer. C’est ici que prend son sens le duo entre les agents qui ont la connaissance fine des données qu’ils manipulent et les archivistes au fait des pratiques de conservation.

L’accompagnement humain et la pédagogie permettent par exemple d’éviter un risque : l’excès de précaution. On assure et on ne jette rien. Dans sa version limite, cela deviendrait le syndrome de Diogène. On croulerait sous la doc et on se perdrait dans les kilomètres linéaires.

L’année dernière, raconte Marjorie Ruffin, la DGS, Aurélie Trehout-Decossin a validé l’intérêt d’un « Cleaning day », jour d’effort collectif de classement. Organisé fin septembre, il ne s’agit pas d’un simple rangement, mais d’un travail méthodique. Les archives sont triées selon les paramètres nécessaires (année concernée, service émetteur, et une quantité de thématiques…). Pendant les mois d’été, le service Archives organise des journées de présentation et de préparation.

Parmi les bénéfices de cette démarche collective, un est particulièrement sensible : la diminution du nombre de « vracs », ces redoutables lots de documents en désordre par définition difficiles à traiter. Marjorie Ruffin voit le signe encourageant d’une action qu’elle mène depuis quatre ans et qui amène les services à s’approprier la logique archivistique.

Un goût ancien pour l’archive

L’entretien montre un goût évident, assumé, pour l’archive. Il ne tient pas du hasard. Marjorie Ruffin a fait un premier master en histoire médiévale ; plus précisément sur les relations sociales dans les testaments du Valenciennois et du Saint-Quentinois au XIVe siècle. Elle en a tiré la leçon que, contrairement aux idées reçues, les familles ne donnaient pas forcément qu’à l’aîné. Il y avait une solidarité au sein des villages. Par-delà ce résultat, en dépouillant des testaments qui n’avaient jamais été ouverts auparavant, en s’appropriant la langue du XIVe siècle, elle s’est découvert une passion pour les archives. Exhumer, déchiffrer, ça lui a plu.

Du coup, elle a fait un 2e master en archivistique avec l’ECPAD[1] et les archives départementales du Val-de-Marne. Elle découvre de nouveaux types d’archives : films nitrates, plaques de verre… dans une véritable caverne d’Ali Baba où les sources militaires sont innombrables. Elle complète cette formation chez Sanofi, dans la R&D où elle rencontre des questions d’archivage complètement nouvelles. A Sciences Po ensuite, elle gère pendant cinq ans les archives institutionnelles, celles de la fondation, celles de l’administration, des relations humaines et des finances. Jusqu’à ce que, en 2021, s’offre à elle l’opportunité de rejoindre Châtenay.

Le patrimonial entre passé et présent

Photo Jean-Claude Morel

Ce parcours la prédisposait certainement à aimer et à appréhender la diversité des fonctions d’une commune. Mais il explique aussi son implication dans la valorisation patrimoniale, une autre facette de son service. En différents projets, elle s’emploie volontiers à partager le fonds d’archives anciennes avec le département, avec des musées, avec d’autres communes. Dans la recherche de papiers, de cartes postales, de photos, de négatifs, de plaques de verre, de sources électroniques, tout l’inspire.

Avec Carole Macé, son homologue à Sceaux, elle fait un travail sur le quartier Ladislas Lewkowicz, à cheval sur les deux communes. Ensemble, elles participent à la préparation de l’exposition que l’association des résidents organise du 18 novembre au 3 décembre au Pavillon des Arts, de Châtenay-Malabry.

Elle a travaillé à une exposition Manouchian, à l’iconographie de Jadis, recueil judicieusement commenté de cartes postales anciennes sur Châtenay. Elle est, pour 2026, sur l’histoire de la cité-jardin, avec un projet de brochure, l’organisation d’une exposition et d’une déambulation.

Les missions du service de Marjorie Ruffin incluent aussi Cultures en Ville. Et avec Françoise Peythieux, l’élue en charge de la Culture et de la Vie associative, elle participe à la programmation des saisons culturelles, fête de la musique comprise, à des montages d’expositions.

Autant de publics, autant de communications

« Il faut savoir, dit-elle, qu’une exposition n’est pas juste un accrochage d’œuvres. Il y a tout un travail de l’ombre. » Elle pense à la réalisation des supports de communication, les flyers, les affiches, les communiqués. Elle pense aussi aux échanges nécessaires avec les professionnels pour réaliser les divers outils de médiation. On ne présente pas, on n’explique pas, une exposition de la même façon aux maternelles, aux CP ou aux CM2, aux collégiens, aux ados, aux familles, aux seniors, aux amateurs éclairés.

Chaque public impose un travail particulier. Ce que Marjorie Ruffin considère comme son rôle dans le développement de « la culture sous toutes ses formes avec l’aide de tous les équipements culturels… » En sorte que sa double formation en histoire et en archivage trouve à s’employer pleinement dans une commune qui conçoit son patrimoine documentaire comme un pont entre passé et présent, entre obligation administrative et plaisir culturel, entre mémoire collective et innovation pédagogique. Une démonstration que les archives, loin d’être un monde figé, constituent un terrain d’aventure pour qui sait en exploiter la richesse.


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Un article de la Gazette sur Carole Macé, archiviste de la ville de Sceaux


[1] Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD) est le centre d’archives et de production audiovisuelle du ministère des Armées. Il conserve près de 15 millions de photographies et 100 000 heures de films. Voir le site pour plus d’informations.

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