Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

L’Astrophore apostrophe à Rosa Bonheur

FONTENAY-AUX-ROSES Jusqu’au 5 mai, c’est dimanche, le nouvel espace Rosa Bonheur au 20 avenue Jean Moulin, accueille une exposition de L’Astrophore, nom de guerre d’un collectif d’artistes décidés à interroger le public depuis leurs travaux aux lignes épurées et toujours étranges qu’on associera selon sa tendance à l’abstrait ou au conceptuel.

Avant même d’être inauguré, le centre aménagé dans l’ancien conservatoire, tout beau tout neuf, respire de murs blancs prêts à soutenir des toiles et d’un espace où peuvent se disperser des sculptures. Signalons en passant que ce n’est pas sa seule vocation. Pour Véronique Ozoux, chargée de mission Culture à Fontenay, le centre est aussi un lieu de réunions et d’accueil d’événements.

Pas de malentendu. Dans l’expo en cours, celle de l’Astrophore, on ne trouve ni ces chevaux, ni ces moutons, ni ce lion en famille qui inspiraient les toiles de Rosa Bonheur. La merveilleuse et méticuleuse artiste du XIXe siècle était d’un réalisme qui, depuis, s’est le plus souvent déplacé dans la photographie. La figuration n’est pas vraiment au cœur du langage dont use L’Astrophore pour apostropher le public. Pas de pelages peints poil par poil ni de fenaisons paille par paille, mais une recherche contemporaine orientée « vers le questionnement », selon la formule.

Autour de l’atelier

L’Astrophore un groupe de neuf artistes : Caroline Anezo, Florentine Charon, Brune Doummar, Fabien Ducrot, Jules Galais, Tristan Ulysses Hutgen, Mathie Laborie, Esteban Neveu Ponce er Christophe Tabet. Ils partagent un vaste atelier situé à Fontenay et une approche de l’art, de sa fabrication et de ses imprévus. Convaincus que les accidents de l’œuvre sont des parties de l’œuvre, ils font eux-mêmes, aiment à former et transformer les matières et à se surprendre. Le contraire de l’industrie qui naturellement craint les accidents comme la peste (avec les tribunaux en perspective).

Que ceux qui imaginent que l’Astrophore regarde vers le cosmos, les planètes ou le zodiaque se détrompent. Le groupe milite à la suggestion de non-dits, de dissimulés, de signes cachés en eux dont ils escomptent quelque révélation.

Dans cet atelier, chacun travaille ses thèmes, selon son format, ses matières et ses instruments. Et pourtant, ils mettent en commun leurs expériences « d’artisans ». Il y a une fonderie. « Quand on fait une coulée de bronze, chacun fait sa pièce » dit Christophe Tabet. Cette capacité à travailler en commun n’a rien d’évident. C’est en cela sans doute qu’ils forment un groupe. Ils sont très matériaux, la place de la sculpture en témoigne.

Ils sont aussi unis par une exigence de rigueur acquise dans les écoles qui les ont formés, les Arts-déco, les Beaux-Arts de Paris ou de Düsseldorf. Les entretiens, bien qu’abrégés, semblaient suggérer un esprit de corps.

Au moment de ma visite, les installations n’étaient pas tout à fait terminées. On s’activait à mettre la dernière main. Difficile de déranger. Des exceptions rapides : Fabien Ducrot et Christophe Tabet. Il faudra en savoir plus. Dans leur atelier, ce serait idéal.

Mise en scène

Avoir feu et lieu, Fabien Ducrot, 2018

Un travail de Fabien Ducrot étonne, surtout quand il en parle. Deux panneaux de bois d’un beau rouge ajourés de 4000 trous forment une composition conçue pour que d’un certain point d’observation, les panneaux deviennent transparents ou disons s’effacent devant le jour. Pour que les orientations des trous répondent au projet, il a monté une perceuse sur un dispositif qui lui a permis d’orienter l’angle de percement de chacun des trous. Le maillage donne une impression de moucharabieh au travers duquel on pourrait voir sans être vu, tout en profitant d’un vent doux immiscé dans les jours des cloisons.

L’exposition L’Astrophore apostrophe est pour Fabien Ducrot une mise en espace de travaux, arrangés organisés pour ce lieu-là, Rosa Bonheur, pas un autre. En sorte qu’ils « dialoguent » qu’ils dégagent une cohérence. Laquelle ? Mystère. Personne ne le sait d’autant que chacun peut trouver ou ne pas trouver la sienne. Ils ont élaboré la leur. Pour lui, le contexte éclaire le sens, mais le but tacite en direction du public est de « décrocher les regards » de leurs pratiques ordinaires.

Il montre une composition de Tristan Ulysses Hutgens avec une élévation marbre noir prolongée d’une tige d’inox et des plaques de bronze au sol rassemblées. Entre Ducrot et lui, on est dans la froide (pudique ?) élégance des ambitions esthétiques et des désirs d’absolu. Voudraient-ils donner à voir les traces d’une pulsation imprévisible et suspendue aux aléas des coulées de métal ou de comportement du bois ?

BTP

Une salle à l’arrière est consacrée à Christophe Tabet. Il commente ses bas-reliefs en béton qui furent exposés à la Monnaie de Paris. Les blocs sont chargés, surchargés (volontairement) de formes (bâtiments, véhicules, signes et insignes). Ce faisant, « il réinterprète les bas-reliefs » qui furent jadis porteurs de messages. Aujourd’hui, les messages se brouillent dans un trop-plein. Ce qu’il traduit par des demi-piliers au sous-entendu antique saturés de représentations. Des tiges métalliques dépassent comme des armements de béton pour compléter la référence à la construction.

Fragments de sature, 2023-2024, Christophe Tabet

Cette référence revient dans ses réseaux électriques. Habituellement cachés dans les murs (« tout en portant la lumière »), les câbles qu’il a tressés alimentent un jeu de rayons fluorescents. Une compétence en électricité lui a prêté main-forte. Ce qui confirme à ses yeux l’esprit de groupe qui anime l’Astrophore. Il confie une source d’inspiration : au Liban, d’où il vient, la « ration » d’électricité par habitant est de deux heures par jour ! C’est présent en lui. Il le dit à sa manière.

Le plasticien et la parole

Les mots que les deux plasticiens récréent pour expliquer ce qu’ils font semblent de pauvres choses au regard de leur espoir de signifier ce qui s’impose en eux. Ils n’aiment pas franchement parler de leur travail ni de ce qu’ils espèrent voir jaillir de lui.

Ils associeraient plutôt le sens et le silence. Les murs blancs de Rosa Bonheur en offrent la matérialité. Le grand espace permet d’isoler les pièces et leur sens affleure mieux au milieu des vides.

En attendant, dépêchez-vous. Nous sommes mardi et ça se termine le dimanche qui vient.


Pour en savoir plus

Sur le groupe Astrophore
Sur l’espace Rosa Bonheur de Fontenay

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *