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Jean Castex, équilibriste

La conférence de presse de Jean Castex ce jeudi 25 février a donné le sentiment de la présentation d’un homme qui espère encore dans un pari en passe d’être perdu, mais qui ne voulait pas (encore ?) le reconnaitre. Toutefois avant de poser un jugement définitif, passons par une analyse plus précise.

Au début de sa conférence, le Premier ministre a parlé d’un équilibre à trouver entre les objectifs sanitaires et les objectifs économiques et sociaux, par exemple en parlant de la continuité de la vie scolaire ou du fonctionnement des entreprises.

Des choix difficiles

Une première remarque concernant les objectifs sanitaires : les pays européens (et ceux des deux Amériques) ont abandonné très vite l’objectif du zéro virus, encore recherché par quelques pays asiatiques ou en Océanie. Cet objectif est plus facile à tenir sur une île (comme le montre le cas de la Nouvelle Calédonie) et il est probable que des moyens utilisés dans certains pays d’Asie seraient considérés comme inacceptables chez nous. Le fait est que l’objectif du zéro virus est vite devenu inatteignable et le restera à court terme.

A défaut d’un objectif zéro virus, l’objectif des pays occidentaux est d’éviter que les hôpitaux soient débordés. Faute de soins adaptés, tels qu’on ne peut les donner que dans des hôpitaux bien équipés avec du personnel formé, le taux de mortalité serait au moins multiplié par deux et plus probablement par 4 ou 5.

Sur le plan économique, les observateurs s’accordent généralement pour dire que l’objectif sanitaire et l’objectif économique ne sont pas contradictoires, au contraire : si la situation sanitaire est mauvaise, l’économie est forcément affectée. D’où l’idée qu’il vaut mieux frapper vite et fort.

La proposition du Conseil scientifique était de profiter des vacances scolaires pour confiner sur février début mars sans trop d’impact sur les enfants.

Mais l’équilibre à trouver, il est aussi entre ceux qui privilégient la logique sanitaire, ceux qui protestent au contraire contre le couvre-feu et les autres mesures, et tous ceux qui sont simplement inquiets pour eux, leur famille, leur emploi…

Une situation qui se détériore

Dans son avis remis le 12 janvier, le Conseil scientifique avait fait une simulation basée sur l’hypothèse que les cas liés au virus classique se maintiendraient à 20 000 par jour et que ceux liés aux nouveaux variants (en particulier l’anglais) aller croître jusqu’à représenter autant de cas que les premiers aux alentours du 1er mars ou un peu plus tard. Les mesures prises ont permis de faire baisser les cas classiques et de maintenir le total un peu au-dessus de ces 20 000, mais le variant anglais est bien en train de devenir dominant.

D’après le chiffre donné par le ministre de la Santé, le nombre de cas observés jeudi 25 était supérieur de 15 % à celui du jeudi précédent. Avec une part accrue du variant anglais, la progression du nombre de cas devrait dépasser ces 15 % les semaines suivantes. Ce qui signifie que le gouvernement sera très probablement rapidement confronté à des situations de flambée de l’épidémie dans quelques-uns des 20 départements identifiés ce jeudi comme en alerte maximale.

Si on imagine que la progression hebdomadaire passe de 15% en semaine 9 (du 22 au 28 février) à 20% en semaine 10 et 30% les semaines suivantes, on se retrouve avec 66 000 cas quotidiens en semaine 13, ce que notre système hospitalier est totalement incapable de supporter. Le problème est qu’on ne connaît pas aujourd’hui d’autre méthode que le confinement pour casser une telle flambée. Et c’est encore trop tôt pour compter sur la vaccination pour freiner cette progression.

Il manque aujourd’hui deux ou trois mois de délai au gouvernement. Le temps de vacciner ceux des plus de 75 ans ou des personnes fragiles qui ne le sont pas encore, d’évaluer les impacts des décisions prises ces derniers jours en Moselle, Nice ou à Dunkerque. Mais faute d’avoir confiné en février, ce temps, il n’en dispose pas.

Des raisons d’espérer

Il y a en effet quelques bonnes nouvelles dans ce qui a été avancé par le Premier ministre ou son ministre de la Santé hier. Oui, le taux d’incidence est en train de baisser chez les plus âgés, le résultat probablement de la campagne de vaccination dans les Ehpad. Cela se traduit déjà par une baisse de la mortalité Covid.

Comme dans le même temps la grippe semble avoir totalement disparu du paysage (il y a moins de cas d’hospitalisations pour grippe depuis l’automne dans toute l’UE qu’ordinairement sur une seule semaine de février en France !), la courbe des décès quotidiens est passée depuis le 5 février en dessous de celle de 2019. Pour l’instant.

Les vaccins montrent également leur efficacité partout où ils ont été utilisés, y compris celui d’Astra Zeneca, comme Alain Fisher a été chargé de nous le dire. Et de nouveaux traitements prometteurs arrivent. On aura cependant compris pour ces derniers qu’on est encore en période de tests. Et ce qui se lit depuis la conférence de presse sur l’anticorps monoclonal qui a été accepté pour une étude de cohorte montre qu’on est très loin d’un traitement miracle, même si se confirme demain qu’il a une efficacité réelle pour les personnes pour lesquels il est adapté (une minorité).

Autre point favorable : le nombre de doses de vaccins disponibles est en augmentation. Au 24 février, environ 4,3 millions de doses ont été utilisées et plus de 2,8 millions de Français ont déjà reçu au moins une dose. Surtout, après les toutes dernières livraisons, ce sont environ 3,4 millions de doses qui sont disponibles, ce qui devrait se traduire par une accélération des vaccinations dans les semaines qui viennent. Au point que le ministre de la Santé a pu annoncer que tous les plus de 75 ans qui le souhaitent auront été vaccinés d’ici la fin du mois de mars.

Pour le seul vaccin Pfizer, les livraisons prévues (en millions de doses) sont de 0,5 en décembre, 2 en janvier, 2,5 en février, 4 en mars, 10 en avril, 10 en mai et 10 en juin.

Mais si la vaccination fait déjà baisser la mortalité, elle n’a pas le même effet favorable sur la charge hospitalière. Le ministre de la Santé l’a expliqué : les patients reçus actuellement sont plus jeunes, on a donc plus de chances de les sauver. Mais s’ils sont nettement plus nombreux, le risque de débordement est toujours présent. Le taux d’utilisation des services de réanimation pour le seul Covid 19 atteint actuellement 67 %.

Ile-de-France

Le gouvernement a choisi une approche locale, avec négociation des mesures avec les acteurs locaux (mais c’est lui qui décide à la fin). La très grande variété des situations (une incidence 20 fois plus forte à Nice qu’à Brest !) justifie ce choix, mais complique aussi la gestion : un journaliste a demandé si certains auraient plus de vaccins que d’autres, ce qui est la porte ouverte à des conflits sans fin.

On aura remarqué que les 20 départements les plus atteints sont aussi des départements très denses, ce qui n’est pas une surprise. Il y a Paris, et toute l’Ile-de-France parmi eux. La mairie de Paris a déjà évoqué l’idée d’un confinement de trois semaines « qui permettrait par la suite de rouvrir les bars, restaurants ou lieux culturels de la capitale ». Si Gabriel Attal a déjà expliqué que cette dernière perspective était irréaliste, le simple fait d’avoir pu la mentionner montre la très grande diversité des compréhensions et des opinions dans la population.

Parmi les 22 principales métropoles française, Paris se trouve parmi celles qui ont la plus forte incidence, la quatrième derrière Nice (largement hors concours), Metz et Marseille. Le taux d’incidence, très stable juste en dessous des 250 cas hebdomadaires pour 100 000 habitants depuis le début du mois, s’est mis brusquement à augmenter depuis le 16 février, gagnant ainsi 20 % en quelques jours. La situation est la même pour toute la région, avec, comme pour toute la France, une sur représentation des 20/40 ans.

L’Institut Pasteur a publié le 24 février une étude (par modélisation) de la part de la population ayant déjà été infectée par le Covid 19. L’étude insiste sur le fait qu’avoir été infecté ne veut pas dire être aujourd’hui immunisé : on ne sait toujours pas si l’immunité ainsi acquise est durable et pendant combien de temps. Il en ressort qu’entre 15 et 20 % des Français ont déjà été infectés, et que la région la plus touchée est l’Ile-de-France, avec environ 30 %. Par âge, toujours pour la France entière, on trouve entre 20 et 25 % entre 20 et 50 ans, et entre 10 et 15 % au-delà ! Clairement, ceux qui craignent le plus sont aussi ceux qui se protègent le plus. En Ile-de-France, le résultat monte à 40 % pour les 30/39 ans, à 20 % pour les 50/69 ans et autour de 15 % à 70 ans et au-delà. On est de toutes manières encore assez loin d’une immunité naturelle.

Que faire ?

Il va bien falloir trouver d’autres solutions que le confinement du week-end : celui-ci peut paraitre adapté à Nice, envahie par les touristes le week-end, mais il n’y a bien sûr aucune étude qui montre son efficacité en soi.

Alors ? On en revient encore et toujours au confinement. Avec l’idée que ce qui sera mis en œuvre en Ile-de-France (comment faire des mesures différenciées à l’intérieur de cette région ?) sera considéré médiatiquement comme la solution mise en œuvre en France. Si c’est un confinement, la question sera inévitable « pourquoi ne pas l’avoir mis en œuvre en février ? »

Deux thèses en présence

Du coté des épidémiologistes, l’idée générale, depuis le début, est qu’anticiper et agir vite et fort est payant de tous les points de vue, sanitaire et économique, que cela permet un discours clair et compréhensible. Ceux là pensent qu’on aurait dû confiner une semaine plus tôt en mars 2020 (mais presque tout le monde a été pris par surprise), qu’il fallait le faire aussi plus tôt en novembre (au minimum deux semaines plus tôt mais certains le proposaient dès septembre) et dès le 6 février pour un troisième confinement.

Du côté des politiques (et surtout du système médiatique) la pression est inverse : si les défenseurs des lubies de Didier Raoult se font moins nombreux, les critiques veulent alléger les contraintes (pour protéger les librairies, les restaurants, les cinémas, le tourisme, la liste est longue) ou carrément les supprimer (Philippot ou Ruffin). Quelques rares élus locaux ont réclamé un confinement pour leur ville particulièrement touchée, et certains sont sur le « yaka vacciner massivement ».

Pris entre ces forces opposées, le gouvernement tente de suivre une voie médiane avec le risque de ne plaire à aucun des deux camps et d’avoir une stratégie peu lisible. La piste privilégiée aujourd’hui (tenir sans aller jusqu’au confinement généralisé) est extrêmement aléatoire. Le plus à craindre est qu’une flambée surgisse dans une région très peuplée (au hasard, l’Ile-de France) et qu’un confinement devenu incontournable arrive trop tard, avec des hôpitaux débordés pendant quelques semaines.

  1. Ajzenberg Ajzenberg 28 février 2021

    Super article. Merci
    Il est plus facile, en effet, de confiner en sacrifiant l’économie que de chercher une voie médiane, aléatoire mais qui préserve plus l’avenir du pays si elle marche.
    N’oublions pas l’Allemagne qui a parfaitement géré le début de crise et a dû confiner fin 2020…
    Les choix sont cornéliens….

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