L’association étudiante Fières et sœurs organisait lundi 23 octobre une conférence sur les violences conjugales dans les locaux de la faculté. Elle avait invité Haritini Matsopoulou, professeure de droit privé et de sciences criminelles au sein de la faculté et Zoé Viard-Bertier, référente violences conjugales au sein d’un centre d’accueil des victimes de violences.
Une bonne quarantaine de personnes ont assisté à la conférence dans le confortable amphi Vedel. Des étudiantes et étudiants pour la plupart, mais aussi quelques professeurs, dont le doyen Charles Vautrot-Schwarz.
Pauline Roisin, responsable de Fières et sœurs, ouvre la conférence et rappelle son sujet : « Comment prendre en charge les victimes de violences conjugales, les accompagner, les aider ? »
Rappel du contexte
Haritini Matsopoulou donne quelques éléments de contexte avant d’aborder les aspects juridiques : 220 000 victimes de violences sexuelles chaque année. 83% des victimes sont des femmes. Beaucoup de ces violences sont commises dans le milieu familial.
Une enquête de victimisation en 2017 montre que très peu de victimes portent plainte : 86% de celles qui ont répondu déclarent ne pas vouloir porter plainte. Ces violences sont souvent commises par un partenaire qu’elles ne veulent pas quitter. Autre raison fréquente : la précarité de la situation financière des victimes.
Ce que dit la loi
L’intervenante a pointé un certain nombre de questions traitées par diverses lois depuis 2018.
Elle évoque ainsi la question des mineurs spectateurs des violences et la loi du 3 août 2018 sur le sujet (elle avait d’ailleurs écrit un article à ce propos). Cette loi qui a aussi enrichi la définition du harcèlement. « La loi Schiappa de 2018 a supprimé la condition de cohabitation comme preuve des violences conjugales, voilà la première innovation ! Je salue la loi Schiappa car elle introduit pour la première fois le terme sexiste, car oui, ces violences, c’est du sexisme, c’est la haine des femmes. »
La loi du 28 décembre 2019 a prévu la mise en place du bracelet anti-harcèlement, dispositif permettant d’assurer la sécurité de la victime.
Elle passe ensuite à la loi du 28 février 2023 créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales. L’article L. 214-17 de cette loi prévoit que les modalités d’application du présent chapitre sont déterminées par décret. L’oratrice estime que ce décret d’application devrait sortir bientôt (l’article 7 prévoit un délai maximal de 9 mois pour la publication de ce décret).
Dans la foulée de cette loi puis d’un rapport parlementaire, le gouvernement a prévu la mise en place au sein des tribunaux de pôles spécialisés sur ces questions. L’intervenante a insisté sur le fait que les magistrats et assistants de justice participant à ces pôles recevront une formation dédiée. Elle précise aussi qu’une vérification de constitutionnalité est en cours, la définition des violences étant très large.
L’intervenante conclut en notant que se pose maintenant la question de la mise en œuvre.
Accompagner les femmes victimes de violence
Zoé Viard-Bertier est référente violences conjugales au sein du centre Flora Tristan. Celui-ci écoute, accueille, héberge, accompagne et oriente des femmes victimes de violences conjugales.
De l’intervention longue et riche, on ne retiendra ici que quelques éléments.
L’enquête Virage de l’INED (dont on peut trouver les résultats ici et ici) a montré que les violences sont différentes et vécues différemment quand la victime est un homme ou une femme.
Zoé Viard-Bertier a ensuite évoqué le cycle des violences conjugales, avec un schéma proche de celui ci-dessous, que l’on peut trouver sur le site du centre Flora Tristan. Elle a ensuite présenté quelques principes d’intervention, les freins à l’accompagnement et les outils pour évaluer la situation de violence et ses dangers.
Cycle des violences
1 : L’intervenante donne un exemple illustrant comment l’homme procède par injonctions contradictoires générant de la tension et des reproches : les enfants ne sont pas couchés quand il rentre alors qu’il est fatigué, ou ils sont couchés ce qui lui interdit de les voir.
2 : L’étape suivante est la crise avec son ou ses agresseurs. C’est à ce moment que la victime va appeler le 17 ou se faire héberger chez ses parents ou des amies.
3 : Dans l’étape suivante de justification, l’homme excuse son comportement et en transfère la responsabilité sur la victime.
4 : la phase rémission (ou lune de miel) donne à la victime l’illusion que si elle fait des efforts les choses vont s’arranger.
Si la victime s’adresse aux associations en phase 2, elle va y renoncer en phase 4, tirer sa plainte ou ne plus souhaiter divorcer.
Dans cette phase 4, l’accompagnatrice associative doit savoir laisser la porte ouverte à la femme qui pourra de nouveau changer d’avis plus tard.
Principes d’intervention
Zoé Viard-Berthier évoque ensuite les règles que l’expérience a fait adopter à son association :
- Libérer la parole
- Prendre en compte la question de la sécurité et de la confidentialité
- Se positionner clairement contre les actes de violence
- Accepter de ne pas agir immédiatement à la place de la victime
- Travailler en réseau
- Comprendre les cas de nombreux départs et retours au domicile
Il y a un travail important d’évaluation de la situation :
- Le premier entretien se fait avec deux travailleuses
- C’est tout le long un travail d’équipe
- Une information administrative globale est nécessaire
- Que demande la victime ?
- Quelle est la dangerosité du conjoint ?
- Quel est l’état des lieux des violences ?
Freins à la séparation
Pourquoi la victime ne choisit-elle pas la séparation en cas de violences répétées ? L’intervenante liste une série de freins à cette solution :
- La personne violente n‘est pas n’importe qui
- L’agresseur agit selon le cycle expliqué plus haut : sa stratégie se traduit par une emprise sur la victime
- Il existe une série de freins psychologiques
- La victime est dans une situation financière précaire
- Trouver un logement ou un hébergement est difficile et long, malgré les priorités dans ce domaine (cela ne devrait pas être à la femme de partir, mais la question du danger pour elle débouche sur cette solution)
- La place des enfants (qui peuvent être un frein au départ mais aussi être le déclic du départ, en cas de violences intrafamiliales ou d’inceste)
- Les démarches pénales et civiles sont difficiles et longues. C’est aussi dans ce domaine que les victimes ont besoin d’aide (dépôt de plainte, travail avec l’avocat, dépôt de plainte, réactions aux décisions et démêlés judiciaires)
Conclusion
Zoé Viard-Berthier rappelle à la fin ce qu’Haritini Matsopoulou a déjà signalé : il n’y a pas de profil type des femmes victimes (une légère surreprésentation des femmes qui ne travaillent pas).
De nombreuses questions ou remarques de la salle permettent de conclure cette conférence de qualité.
En mars dernier, Chantal Brault avait organisé, une très intéressante conférence, intitulée, « Les violences sexuelles et sexistes, leur traitement par la loi, les médias, la littérature ». La professeure de droit, Haritini Matsopoulou y participait déjà. Elle avait bien mis en avant le travail législatif initié depuis 2018 par le gouvernement, cité un certain nombre de lois parmi les plus emblématiques, que je te remercie, Gérard, d’avoir rappelées dans ton article.
En 2022, ce sont encore 145 personnes qui sont décédées des suites de ces violences, dont 118 femmes.
Seules 16 femmes avaient déposé plainte.
Le constat est glaçant.
En complément de ton article, je voudrais signaler deux initiatives en IDF, utiles aux dépôts de plaintes et aux constats des blessures par la victime.
1- Depuis octobre 2023, le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, le préfet de police de Paris et quatre procureurs franciliens ont signé une convention pour que les victimes de violences conjugales puissent dorénavant déposer plainte dans tous les services d’urgence de l’AP-HP. Le médecin urgentiste qui prend en charge une victime lui demandera si elle veut porter plainte. Dans l’affirmative, l’urgentiste contactera les services de police via une ligne dédiée.
Cette mesure doit se généraliser à toute la France.
2- Etape indispensable à la procédure, la nécessité de se rendre dans l’unité médico-judiciaire de son département pour faire constater les coups et blessures. Dans les Hauts de Seine, cette unité est localisée à l’hôpital Raymond Poincaré à Garches.
Pour faciliter l’accès à cette structure, une convention avec la préfecture des Hauts-de-Seine, les taxis G7 et certaines villes du 92 a été signée pour permettre aux victimes de violences, d’aller facilement et gratuitement faire constater leurs blessures. Proches de nous, Bourg la Reine, Antony, Clamart ont signé cette convention mais pas Sceaux, pourtant sollicitée pour le faire cette année encore, par les élus de la minorité municipale de Sceaux Ensemble.
Excellente explication. Merci. A diffuser.