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Martin, dans les entrailles du numérique

Le 157 est un café restaurant d’habitués, juste en face du RER Robinson. On y croise des gens de toutes sortes, « du plombier au prof de maths ». Martin est dans « le stockage et la sauvegarde des données ». Un sujet qu’on n’évoque jamais aux dîners, mais sans qui vos données seraient perdues à la première panne électrique, désintégrées à la première attaque informatique. Rien de tel qu’un café, un déca si vous voulez, pour apprendre que le stockage et la sauvegarde sont à l’informatique ce que furent le labourage et le pâturage à l’économie française. D’après Sully.

Travailler aux Quatre-Chemins

Donc il s’appelle Martin. On en reste au prénom, il ne cherche pas de travail, le travail le cherche. Il est indépendant. Le citer reviendrait à citer ses clients. Il aurait fallu leur demander. Compliqué et ce n’est pas le sujet. Le sujet est qu’il habite aux Quatre-Chemins, au carrefour de Châtenay, Fontenay, Le Plessis et Sceaux, que c’est pratique pour aller à Paris. Le sujet est son savoir-faire et son itinéraire, ici et maintenant.

Et justement, maintenant, il travaille pour un gros hébergeur, celui chez qui des entreprises placent leurs applications. « Les gens pensent que les données sont dans le “cloud”, dit-il, comme si elles flottaient dans l’air. En réalité, le cloud, ce sont des lieux très concrets avec des câbles, des serveurs, des sécurités anti-incendie. Ce sont des gens qui veillent à ce que tout soit sauvegardé, chaque nuit. Ce n’est pas magique. » Auparavant, il a travaillé pour la direction informatique d’un grand groupe qui gère les services pour ses filiales. Malgré les apparences, la situation est semblable. Centralisation des moyens pour les partager et gérer les risques en sécurité électrique, incendie, étanchéité des données….

En général, ses missions lui permettent de télétravailler 3 jours par semaine. Chez lui, dans son bureau, sur un ordinateur configuré et sécurisé par l’entreprise cliente, il surveille et pilote des processus (dont on parlera ensuite). Pour ne pas rester enfermé toute la journée, il descend régulièrement déjeuner au 157 ou prendre une bière en fin d’après-midi. C’est son sas de décompression.

La boussole familiale

Enfant, il voulait être juge. Comme s’en étonner. Dans les années 80, Le juge et le pilote feuilletonnait sur Antenne2. Hardcastle, juge en retraite, et McCormick un ex-pilote de course en liberté surveillée, poursuivaient les méchants au volant d’un incroyable bolide rouge dénommé Coyote X. Les pneus crissaient, la gomme restait sur les chaussées, mais la justice passait et la caillera se faisait serrer. De quoi susciter la vocation d’un petit garçon.

Deux ans de droit à la fac, il a aimé d’abord puis, après le DEUG, c’est le vide. Un grand blanc devant les débouchés. Trop incertains, trop flous, pas excitants. « Plaider pour des divorces… » « J’ai compris que ce n’était pas pour moi. »

Il aurait pu rester coincé là, entre désillusion universitaire et attente d’allocations. Mais un frère informaticien l’inspire. Et dans sa famille, on a une maxime (comprendre boussole) : « Si quelqu’un peut faire, alors tout le monde peut faire. »

Martin reprend à zéro, se forme comme technicien dans un GRETA. Il découvre le monde de l’informatique, version viscères. La souterraine. Celle qui tourne la nuit, dans les salles blanches des data centers.

De pupitreur à architecte

Il commence comme pupitreur. Faut en vouloir. C’est en trois-huit. Il s’agit de lancer et suivre les traitements informatiques, les sauvegardes, transferts de données, de surveiller le bon fonctionnement des serveurs, d’alerter en cas d’incident. Il découvre un monde de câbles, de robots de stockage, de logiciels, de protocoles obscurs.

Il poursuit dans la carrière et travaille plusieurs années chez des hébergeurs qui offraient ce qu’on appelait alors de l’infogérance. Laquelle est, dit Wikipedia, « la prise en charge contractuelle, par un prestataire extérieur, d’une partie ou de la totalité des ressources informatiques d’une entreprise. » On comprend la criticité des mesures à prendre pour protéger les données et les applis. Et ne rien perdre !

Martin le comprend aussi et, en 2005, il crée une SARL avec un associé rencontré pendant ses missions. Au début, ils trouvent du travail avec freelance.info.fr. Le site les met en contact avec des infogérants référencés auprès de gros clients. Il enchaîne les missions de 2 ou 3 ans, accumule de l’expérience. Il approfondit, se forme aux technologies, en suit les transformations.

Les années passant, il acquiert des compétences de technicien, puis d’administrateur, puis d’ingénieur. « Je n’ai pas fait Polytechnique », mais il connaît chaque recoin de son métier, à la main, au bug, à la peur de tout perdre. Il a appris sur le tas. Dans l’urgence. Dans les reprises sur crashs de serveurs. Dans les scripts lancés de 2h du matin.

Aujourd’hui, il se définirait plutôt comme architecte. Il sait concevoir, acquérir et déployer des systèmes complets de stockage et de sauvegarde dans des environnements complexes, comme ceux d’hôpitaux ou de groupes industriels. Le métier est recherché. Des propositions lui arrivent régulièrement via LinkedIn, tout simplement.  

Avis aux amateurs

C’est bien beau tout ça, mais en quoi ça consiste ? En quoi est-ce une spécialité ? Pour le stockage des données, destiné à l’accès rapide et facile aux données, tout un chacun pense aux disques durs, aux cartes SSD, ou certains encore aux clés USB. Or, dans les grands centres de données, les disques durs deviennent de véritables réseaux de disques avec des mécanismes sophistiqués de répartition, de redondance et de contrôle d’erreur. Les réseaux de stockage sont des « architectures » à part entière. Difficile ici d’aller plus avant, ça se complique très vite. Pour les plus hardis, la documentation ne manque pas, mais attention il faut s’accrocher ; ça dépote. Deux mots-clés pour se lancer : SAN (Storage Area Network) NAS (Network Attached Storage). In english, of course.

Quant à la sauvegarde des données, elle consiste à créer des copies de données existantes pour les protéger contre la perte, la corruption ou les sinistres. Le but est de garantir la récupération des données en cas de défaillance des systèmes, de suppression accidentelle, de cyberattaque ou de catastrophe naturelle. Dans les grands centres, on trouvera des robots chargés de déplacer, insérer ou retirer automatiquement des bandes magnétiques dans les lecteurs. Eh oui, on utilise toujours des bandes. Mieux, si besoin, « je les fais mettre en conteneurs et les envoie vers des centres ignifugés. »

Le confort sans costume

Son métier est technique, exigeant, aussi mouvant que les systèmes en mutation continuelle. L’expérience est primordiale. Du terrain, du terrain. Que demander de plus que d’être un maillon rare, une référence dans des services que l’explosion des données rend essentiels. Les jours de télétravail lui permettent d’être proche des siens, de son épouse qui bosse aussi, de ses deux enfants, un garçon de 9 ans et une fille de 12 ans. Il gagne correctement sa vie. Il fait ce qu’il aime faire. Il sait ce qu’il vaut.

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