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Le tour du monde en simulateur

Michel a vendu sa pharmacie en 2019. L’hyperactif, déjà féru de restauration automobile et de simulateurs de vol, une fois à la retraite, a passé une vitesse supérieure. A Sceaux, dans le sous-sol de sa maison, il installe un cockpit de Boeing 737 grandeur nature. Il a dû récemment le démonter à cause de travaux en cours. Mais les gros morceaux entreposés çà et là donnent une bonne idée de l’engin et du travail pour l’assembler. Une bonne idée de ce que peut être une passion.

De lourds antécédents

Il y a longtemps, sa femme lui offre un baptême de l’air pour un anniversaire. Ça lui plaît. Il commence une formation pour passer une Licence de Pilote d’avion léger (PPL en anglais).

Il a fait 25 heures de vol sur un Piper dont 5 heures en solo. Avec le travail, la pharmacie à gérer, l’obligation d’actualiser les connaissances tous les ans, il abandonne le PPL. Mais il garde le goût de l’aéronautique. Une autre raison que l’on croit deviner est qu’entre l’aviation sur de petits aéronefs et un avion de ligne, c’est le jour et la nuit. Or ce qu’il aime, c’est le défi de la profusion. On sait (du moins ceux qui ont déjà pris l’avion) combien le cockpit est profus en écrans, boutons, manettes. Il y en a devant, à gauche, à droite, en haut et on comprend que les maîtriser demande une certaine science et une non moins certaine assurance.

Pour comprendre l’installation que Michel a mise en place, il n’est pas indifférent de savoir qu’il répare ses voitures anciennes. Il a une Ami 8, une DS 23 Pallas, une R5 GTL. Évidemment, les révisions, les entretiens, c’est lui. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait une imprimante 3D. Il manquera toujours un petit truc dans le cockpit. Autant le faire soi-même.

Simulateur et simulateur : ne pas confondre !

Il y a simulateur et simulateur. Ceux qui ne le savaient pas, dont moi, maintenant le savent. Le simulateur de vol purement logiciel tourne sur un ordinateur. Il affiche tout sur l’écran, à la fois le cockpit, les instruments, le monde extérieur (météo, paysage, navigation, trafic aérien…). Le « pilote » interagit avec le clavier et le joystick comme dans un jeu vidéo.

Photo MD

L’abréviation standard de ces simulateurs logiciels est FS because of Flight simulator. Ce petit effort linguistique est utile pour mémoriser ce que Michel déjà au tournant du siècle connaissait le (à ce qu’il paraît) célébrissime FS 98, puis le FS 2000, puis FS 2004 etc… Qui simulaient quoi ? le Boeing 737, un avion de ligne monocouloir biréacteur court à moyen-courrier. La version 800 (celle de Michel) peut accueillir environ 170 passagers avec un rayon d’action de quelque 5600km.

La plateforme qu’il a installée chez lui est d’un tout autre gabarit. Elle est certes logicielle mais surtout matérielle. En prenant sa retraite, il s’est lancé dans une reproduction complète des équipements d’un cockpit de 737-800, donc en double (pilote et copilote). On ne joue plus dans la même cour.

Rien ne manque, les écrans, les boutons, le panneau overhead (au plafond), le paysage à travers les fenêtres du cockpit. Un écran affiche des informations de navigation, l’horizon artificiel, la vitesse, l’altitude, les taux de montée et descente et on en passe. Un autre donne la cartographie du plan de vol, les balises de navigation, les aéroports environnants, le trafic radar et les conditions météorologiques. On aura les informations sur les moteurs, avec leurs vitesses de rotation, leurs températures. On suit la consommation de carburant.

Pas du gâteau à installer

On avait tout ça avec les FS, sauf que ça a une autre allure. On est dedans. Michel a tout prévu, même la cabine en alu. Il a fabriqué lui-même un fauteuil de pilote, interconnecté les équipements, son ordinateur, les différents logiciels, les matériels de pilotage, les projecteurs pour afficher le paysage dans à travers les fenêtres du cockpit.

Il détaille avec gourmandise les systèmes de contrôle de la pressurisation cabine, des circuits électriques, de l’hydraulique et des dispositifs antigivrage. Il joue sur les manettes de gaz qui régulent la poussée des moteurs. Toujours au centre du poste de pilotage, il montre les commandes pour armer ou déployer les aérofreins, celles qui pilotent les parties mobiles de la voilure ou de l’empennage. Et voilà les panneaux radio qui gèrent les communications et la réception des signaux de navigation.

Il a acheté le matos sur le Bon coin. Neuf, ça coûte les yeux de la tête.  Il a passé des mois à installer et interconnecter tous les équipements, le PC équipé de cartes mémoire, graphique, processeur haut de gamme (il en faut sous le capot !), les logiciels, les matériels, les projecteurs et l’écran. Il a dû se coller au langage de programmation (SIOC) du fabricant OpenCockpits. A cœur vaillant, rien d’impossible. On ne peut pas dire que ses études de pharmacie lui avaient préparé le terrain. Chez lui, la patience relève du sport.

La « communauté » en vol

Passons aux choses sérieuses. Il fait un Marseille-Orly. Bon. Il fait une demande de clearance Marseille. Quelqu’un prend la demande, répond pour la tour de contrôle, donne une autorisation de décollage et attribue un numéro de piste. Qui est ce quelqu’un ? C’est là que le monde merveilleux des communautés commence. On fait tout en ligne. Il y a des gens, dans le monde, qui jouent le rôle de contrôleur aérien. Ce miracle de simulation s’appuie sur un logiciel, Vpilot.

Michel passe les vitesses réglementaires du 737, à commencer par la V1 à 130 nœuds (environ 240km/h). C’est la vitesse de décision, à partir de laquelle il faut absolument décoller, même en cas de problème, car la piste serait trop courte pour arrêter l’avion.

Ensuite, à la VR, la vitesse de rotation (135 nœuds, donc 250km/h), l’avion lève le nez et à la V2 (145 nœuds, presque 270km/h), il décolle. « Je monte à 200 pieds, explique-t-il. Après, sur indication de la tour, je monte à l’altitude de transition, vers 5000 pieds. Puis à l’altitude standard à 1013 millibars. » Notons incidemment qu’il passe d’une altitude à une pression atmosphérique. Voilà bien une dualité au cœur de l’aéronautique. Et c’est du quasi réel, vu que via Internet, le simulateur dispose de la véritable pression à l’endroit voulu. On trouve tout sur Internet. Ensuite le contrôleur donne l’altitude de croisière.

Et le plan de vol, d’où vient-il ? SimBrief, un autre logiciel, l’a calculé pour lui. Il a entré les aéroports de départ et d’arrivée et, en fonction de la météo (captée en temps réel), le logiciel a défini une route.

L’intérêt, c’est la panne

Donc, on vole. On est en phase de croisière. Michel laisse le simulateur tourner. Il reprend la main pour gérer la descente qui commence environ 30 minutes avant l’atterrissage. « Il faut de la concentration : surveiller le taux de descente, la signalisation lumineuse de l’aéroport, la vitesse d’approche. » Si un vent de travers est puissant (et le simulateur « sait » en créer), il faut « atterrir en crabe et envoyer un coup de palonnier en sens opposé ».

Photo MD

L’intérêt d’un simulateur est de pouvoir créer toutes de sortes de situations. Même les plus angoissantes. C’est sans frais. Il raconte comment il gère une panne moteur, « je me situe sur la carte, j’évalue la distance à l’aéroport le plus proche, descends pour prendre de la vitesse et puis je vole en plané ». Il semble s’être entraîné. Une panne d’écran de navigation, c’est plus difficile. On n’a plus aucune donnée. On passe en visuel. On atterrit au manche. Là encore, autant s’exercer au simulateur.

Quand il dit qu’il saurait faire atterrir un 737, c’est sans prétention, il n’est pas hâbleur, au contraire même, très discret. Si, par impossible, les deux pilotes ont un malaise en même temps, ou s’ils se battent (dans un film, ce peut être à cause d’une femme, ou parce que le méchant vient d’être démasqué et qu’il veut faire la peau du gentil. Dans les deux cas, c’est terrible) Michel peut faire l’atterrissage (en vrai, cette fois). Il en est fier. C’est sécurisant pour ceux qui volent en 737. A condition que Michel soit à bord. Sinon, autant prendre un Airbus 320.

Le ciel virtuel reste un ciel

On peut regarder le monde des passionnés avec les yeux de Pierre Brochant et considérer les accros comme des François Pignon. On peut à l’inverse s’étonner des savoir-faire. Il y en a qui consacre une part d’eux-mêmes entre aviation réelle, informatique, modélisme, et ingénierie maison. Michel est de ceux qui installent carrément le cockpit à la maison. Enfin, quand les travaux seront finis.

Il est de ces aviateurs dans l’âme qui rêvent de voler, mais ne le peuvent pas dans la vie réelle. Ou alors, parce que voler sur un avion léger ne l’aurait pas satisfait, ce sont les avions de ligne qu’il aime. Il aime leur complexité. Il est heureux quand il a résolu un problème ou installé un nouveau module. « Aucun rapport avec la pharmacie » affirme-t-il. Mais tout avec l’incontournable nécessité du bidouillage.


Pour en savoir plus

https://www.opencockpits.com/en/boeing-737

Photo MD

  1. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 29 septembre 2025

    Crazy. Merveilleux. Et comme toujours Maurice à la plume est un émerveillé de ses prochains.

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