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Kandy Guira : invitation à la danse

Kandy Guira a défini son style : il est faso-electropop. Faso, parce que sa voix (puissante) est portée, se donne, s’engage en mooré ou en dioula (langues du Burnkina Faso). Electropop, parce que guitare rythmique, basse, batterie, clavier(s), sont les corps et âmes de la culture pop. Afrique dans les rythmes et les mots ; Occident des instruments.

Les chansons de Kandy Guira racontent des histoires, qu’elles soient d’amour, d’espoir ou de défis de la vie (pour les femmes). Sa voix est la chose de ses témoignages. En même temps, son groove enflammé de danses traditionnelles est pulsé par des basses synthétiques en arrière-plan, créant un entraînement qu’elle danse. Elle bouge et partage ses vibrations.

Ses costumes de scène ont des imprimés frappants avec des détails géométriques marqués. Souvent, des épaulettes pointues et angulaires donnent à sa silhouette un côté futuriste. On voit sur ses vidéos, des teintes vives et saturées comme le rouge, jaune, bleu royal, vert émeraude et orange. Mais aussi, comme pour ne pas se résumer, des teintes plus terreuses avec des bruns, des ocres, des terracotta.

Pendant l’entretien dans un café de Sceaux, tout à côté de Fontenay, elle évoque les symboles qui nourrissent ses textes : vitalité, amour, paix, spiritualité. On croit en retrouver les marques sur ses toilettes. On imagine sur ses robes des sortes d’emblèmes. Sur RFI, à propos de son album Tek la Runda (Je prends les rênes), elle parle de son horizon : dire le bien le bon et le juste. Vaste programme !

Composer

« Je compose en marchant. Je préfère être dehors, l’inspiration est dehors. » Il faut la croire. Le mouvement est en elle, même attablée à la terrasse devant son thé. Mais, pas trop, car elle dit aussi qu’elle ne compose pas, qu’elle prend ce qui lui vient. « Ce que la nature me donne. » Les oiseaux, le vent. Ce qui est tout autour d’elle.

La veille, elle répétait en studio (la Fugitive) et une chanson s’est imposée à elle, comme ça, naturellement. Une autre fois, alors qu’elle attendait son fils à la sortie de l’école, c’est le battement des essuie-glaces qui lui a donné un rythme. Et le rythme chez elle, c’est l’essentiel. Le rythme est dans ses pieds. C’est pour cela qu’elle danse.

Au moment de composer, si les mots lui viennent, elle les note sur un carnet. Si un rythme lui vient, elle s’enregistre. Les mots sont en mooré, sa langue maternelle, sa langue spontanée, celle qui vibre d’instinct. Elle bat la mesure avec sa main, ses pieds, le froissement sur un tissu, une ligne mélodique, une scansion.

Ensuite « je rafistole ». Et, si ça lui plaît, elle appelle un musicien avec qui « je pense que ça va matcher. » Il traduit, transcrit, forme les accords. Il faut la comprendre, elle n’explique pas ce qu’elle voudrait. C’est trop intuitif. Elle connaît les gens qui la comprennent.

Elle peut chanter dans bien des langues, en anglais ou en français. Mais composer, c’est différent. Il faut que les mots « swinguent » sur-le-champ. La musique est un battement et les sentiments qu’elle provoque passent au-delà de la langue. « Je suis vraie en mooré. Je veux qu’on m’aime pour ce que je suis. » Les retours de ses fans la rassurent. Ce qu’elle veut dire passe. Car elle veut dire. Elle se dit « engagée ». Elle se veut « en digne fille de Sankara » défendre « les droits des femmes en Afrique et dans le monde à vivre dans la dignité et l’égalité. » Référence à Thomas Sankara qui dirigea et révolutionna le pays de 1983 à 1987, année de son assassinat. La Haute-Volta lui doit d’être devenue Burkina Faso, « pays des hommes intègres ».

L’apprentissage dans les chœurs

Ado, Kandy Guira apprend le chant sur le tas (ou plutôt sur scène), comme choriste. Elle accompagne Manu Dibango, saxophoniste et chanteur camerounais, pionnier de la musique afro-jazz et afro-funk. Elle fait des tournées aux Etats-Unis, au Canada, au Brésil, en Europe avec Oumou Sangaré, chanteuse malienne afro-pop, Elle chante avec Amadou & Mariam, le duo malien qui mélange blues, rock, et musique traditionnelle africaine.

Cheick Tidiane Seck est pour elle une sorte de guide et d’inspirateur. Elle rencontre le virtuose du piano à Ouagadougou (Ouaga, dans sa bouche), au Ouaga Loudun, le jardin de l’amitié. Un lieu de spectacles, de mariages, de dîners de gala, à côté du rond-point des Nations-Unies, près de l’aéroport.

C’est grâce à eux, ceux qu’elle a accompagnés, qu’elle a appris à chanter. « Je leur dois tout. » Mais pour elle l’heure vint un jour de passer au solo. Même si elle continue à se produire avec les Amazones d’Afrique, un collectif de douze femmes, dont Angélique Kidjo et Mamani Keita, formé en 2015 au Mali.

Itinéraire d’une enfant obstinée

Elle naît en 1984 à Yamoussoukro en Côte d’Ivoire où son père est maçon sur le chantier de la cathédrale. Ensuite, il part à Ouaga sur celui de la BCEAO (Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest). La famille le rejoint. Sept frères et sœurs et trois demi-sœurs. Ils sont burkinabés. Aujourd’hui, elle est la seule en France avec un de ses frères, sourd, dont elle a pris l’éducation en main.

En fait, avant même d’être choriste, Kandy Guira avait appris à chanter dans les cabarets. « Je m’exerçais en solo après les spectacles. » Très jeune, au grand dam de ses parents, la musique l’attire. Il faut dire qu’entre chez elle et l’école, au milieu quasiment, elle passe tous les jours devant une école de danse et de musique. Déjà en 5e, elle commence à sécher les cours, ceux du collège, pas de l’école de musique. En 4e elle arrête carrément le collège pour entrer dans une école de couture. L’emploi du temps est compatible avec la danse.

Les stages de l’école de couture l’amènent au mannequinat. Elle sait marcher, elle est bien faite, élancée. Las, les tenues sont rares. Elle fait du 34 quand la mode burkinabé tire plutôt vers le 38/40. « Je ne pouvais défiler qu’à l’international ».

Et c’est là où les circonstances s’enchaînent et donnent crédit à l’idée que la vie est faire d’aléas. En 2008, elle réussit un casting pour Via Intolleranza de Christoph Schlingensief. Le metteur en scène allemand (décédé en 2010) est une célébrité qui en 2008, raconte Joëlle Stolz dans le Monde (27 août 2010) « … s’est rendu au Cameroun, puis au Burkina Faso, afin de créer un village-opéra pour les jeunes artistes africains, en chantier près de Ouagadougou. Il en a fait un spectacle frénétique, Via Intolleranza II, présenté en juin à Vienne… »

En 2009, elle commence deux ans de tournées. Trois mois au Burkina Faso, trois mois en Europe. Chez elle, elle loge dans sa famille (rien d’autre n’est socialement concevable), en Europe, ce sont des hôtels au gré des villes où le spectacle se donne. Elle se dédouble. « Mon style de vie a changé » radicalement, elle gagne très correctement sa vie. Elle se découvre très loin de sa famille.

Après des années d’hostilité, son père accepte son choix. Sa mère en revanche ne digère pas de savoir sa fille sur scène, en spectacle. Elle rumine une colère permanente et chaque retour à la maison est une lourde épreuve. Cela dure des années, en fait, jusqu’à ce Kandy Guira écrive M’Ba une chanson adressée à sa mère et qui la touche. « Nous nous sommes réconciliées. »

Elle vit un temps en Normandie, et fait sa vie en spectacles et tournées dans le monde, elle dit sur son site YouTube, conserver en elle un double lien : son Burkina Faso, sa source et sa ressource « et Paris, où je peux vivre mon statut d’artiste en toute normalité. »

Et de ce lien, son album Nagtaba, « ensemble » en langue mooré, suggère la nature. Sa thématique, dit-elle, est celle de la « femme guerrière », guerre égalitaire, sans doute. Il est cuisiné avec des ingrédients d’Afrique, des ingrédients d’Europe, dont elle a ajusté le mélange, comme on ajuste une recette. Bon appétit. En guise d’apéro, l’epk Nagtaba (electronic press kit pour les puristes ou dossier de presse numérique, pour les autres), décrit l’esprit de la mixture. Des plans venus de répétitions, de visuels, d’entretiens avec ses musiciens, avec elle, donnent une belle idée de la saveur.

Un troisième album est en préparation pour la fin de l’année. Elle croise les doigts. « Il sera plus intimiste. Plus de moi. » De ses insurrections ? Du retour son de ses empathies fusionnelles ? « J’aime le son dans les églises. Il me prend, me renvoie quelque chose d’autre. » Mais aussi dans les cages d’escaliers. Quand elle y chante, elle adore comme ça résonne. Une voisine d’immeuble, confie-t-elle en riant, le lui reproche assez. Mais elle ne peut pas s’en empêcher. Elle prend l’écho dans la figure. « L’écho dit le sacré. »


Pour en savoir plus

La chaine YouTube de Kandy Guira

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