Au 70e Salon du Groupe Artistique de Châtenay qui s’est tenu en janvier au Pavillon des Arts Christine Ladevèze, invitée d’honneur cette année, exposait ses céramiques. Ni assiettes, ni bols, ni quotidienneté, ni série, des pièces uniques sculptées dans l’argile, porteuses de symboliques, diverses dans leur texture et dans leur style.
Elle situe son travail dans l’histoire millénaire du modelage des terres et rappelle, d’entrée de jeu, ce que cet art doit à la Chine qui en fut le berceau. Avec ses « immenses fours dragons, où l’on cuisait pendant des jours. » Pourtant, c’est moins la forme qui l’intéresse (encore qu’elle y excelle) que l’émail qui la recouvre. Car c’est lui qui « finit » l’argile, « donne vie » par la couleur. Encore faut-il dominer les techniques, et cela demande, à écouter Christine Ladevèze, une synthèse subtile de science et d’esthétique.
C’est l’émail qu’elle préfère
L’émail ou glaçure « est un enduit vitrifiable posé à la surface d’une céramique afin de la durcir, de la rendre imperméable ou de la décorer. »[1] Il relève de la chimie autant que de la peinture. Recouvrir le grès, obtenir des coulées colorées, jouer avec elles, n’ont rien d’évident. Surtout dans un four électrique (pas question pour elle de mettre un four à gaz dans son appartement ; trop dangereux). « Pour faire du jaune, il faut de l’oxygène et de l’oxyde de carbone. » Dans un four électrique, il n’y a que de l’oxygène, ce qui restreint les couleurs. « Il me fallait le trouver autrement, je l’ai fait. »

L’émail, pour Christine Ladevèze, n’est pas que recouvrement. Terminaison. L’objectif de couleur peut précéder et conduire à la forme au-dessous qui le précède. « Je me souviens, je voulais travailler l’indigo. Je cherche l’origine de la couleur, la trouve au Japon. Je comprends qu’elle était utilisée pour les tissus. » L’association d’idées inspire alors la sculpture : ce sera du grès travaillé comme un tissu recouvert par cet émail bleu indigo.
Récemment, partant encore de la couleur voulue, le vert céladon l’emmène vers une série Terre des eaux qui entremêle glèbe, globe et onde. Comme si elle cherchait à ramasser quelque chose dans le fluide.
« Dans la cendre, il y a tous les acteurs de la fusion pour les émaux » ce sont les matières qui font baisser la température de vitrification. Elle déroule une suite de références, d’images techniques qu’on cherche à saisir en vol. L’ocre et la cendre. Dans les ocres, il y a du fer c’est lui qui donnera « l’émail fourrure de lièvre ». Des « émaux de cendres », « tenmoku[2], kudo-matto [3] »…. C’est son langage quotidien.
Céramique : faïence, grès. La porcelaine aussi. Elle cuit comme le grès, mais elle est « raide ». Quand elle pense à faïence, c’est pour citer immédiatement la température de cuisson : 1000°C… et puis « elle est fragile. » Avec Christine Ladevèze, on est très vite plongé dans la manip. « Le grès est riche en silice, il est solide »… Réflexe artisan : « il cuit à 1280°C ». Et puis : « Vous vous rendez compte de cette température ? » Sans attendre de réponse, elle précise : « la température de la lave est de 1200 ; celle d’un incendie autour de 900 ! » C’est pour dire que c’est énorme. Pendant qu’elle y est, elle envoie la cuisson des terres pauvres en réfractaire (celles des pots de fleur) : vers les 400°C.
Le beau le grès
Elle ne travaille que le grès (l’argile, pas la roche). « Il est souple. » Elle cuit deux fois. Une première fois pour le rigidifier. C’est une cuisson « de dégourdi ». Une deuxième fois avec l’émail à 1280°C, un émail « médium » qui lui servira pour recouvrir ses sculptures. Justement, « ma différence est que j’émaille mes sculptures ; les sculpteurs de terre cuite ne le font pas. »
Les émaux et les céramiques utilisent fondamentalement les mêmes matières. Mais les proportions sont radicalement différentes. Attendu qu’il faut réaliser une base avec des minéraux, feldspath, talc, craie, kaolin, quartz… Ils sont essentiels dans la fabrication de la céramique pour améliorer la plasticité de l’argile, contrôler la porosité, abaisser le point de fusion, augmenter la résistance mécanique et thermique, et ajuster les propriétés chimiques des émaux.
Représenter la nature
Sur son site, son travail est raconté par références, par allusions au monde tel qu’il se manifeste à elle. C’est le temps, la terre, l’eau, le vent, le feu qui pénètrent son imaginaire. Matériellement, elle trouve inspiration dans les reliefs de montagne, la mer écumeuse, le volcan fusionnel ou les mousses sylvestres. « Ces paysages, écrit-elle, viennent solliciter, par le contraste des émaux riches et soyeux et de la matière brute et mate du support minéral. » Et les émaux se font moyens d’exprimer la fable des jours. Son rapport fantasmé et bohème avec une nature repensée et dépensée par elle.
Jean Arp est parmi ses sources d’inspiration. L’artiste alsacien (1886-1966) est en effet une sorte de repère dans l’art contemporain avec des œuvres à la fois abstraites et évocatrices de la nature. Il croyait que l’art devait en suivre les lois. Mais le hasard de ses gestes le conduisait à des formes organiques, à la fois naturelles et inattendues. Christine Ladevèze en retient les contours « doux et ronds » dans ses sculptures.
Au-delà de Jean Arp, les références qu’elle évoque sont Gauguin, Van Gogh, Artus-Bertrand, photographe des hauteurs, Hundertwasser, architecte et poète, et plus encore sans doute à Zao Wou-Ki dont la peinture enchevêtre lyrisme, abstraction et surtout sens du mouvement. Qu’ont-ils de commun ? Rien. Sauf qu’elle s’y ressource pour dire la variation, la mobilité, le glissement.
Pyrénées

D’où tient-elle ce goût pour l’alchimie ? Le métier de chercheur de son mari l’a fortement influencée. C’est un spécialiste reconnu en mécanique des milieux continus, qui étudie en particulier la déformation des solides sous l’effet de contraintes de maintes espèces. Transmettre lui tient au corps. Christine Ladevèze voit chez lui l’origine de son goût pour l’expérimentation, la découverte, l’appropriation de techniques auxquelles elle ne connaissait rien : composition chimique, diagrammes de phase… Elle explique. Ça devient vite compliqué.
Ses origines sont dans les Hautes-Pyrénées. Elle naît à Saint-Sever-de-Rustan, à une vingtaine de km de Tarbes et 40 de Lourdes. La montagne y commence et où, Christine Ladevèze le raconte, « au IXe siècle, les Vikings sont arrivés de Bayonne en remontant l’Adour. » Avec un tel passé, la géologie culturelle ne peut être que dense.
D’ailleurs, elle y est institutrice. Pendant 5 ans, remplaçante, elle est envoyée dans les moindres villages pyrénéens. Elle en garde une mémoire puissante des reliefs et des routes sinueuses. Son futur mari est un cousin de sa meilleure amie. Il vient skier dans la région. Ils se marient.
Elle découvre la région parisienne où ils s’installent. Elle abandonne l’enseignement, et s’inscrit à la Sorbonne où elle obtient les maitrises d’anglais et d’allemand. Après, elle se découvre une passion pour la poterie quand elle tombe, fascinée, sur un bol céladon chinois au musée Guimet.[4]
Livre de recettes, livre d’heures
Elle décide de se former, de modeler, de tourner. Ce sera comme elle peut. D’abord à la MJC de Créteil où ils habitent, puis à Igny quand ils y emménagent, tout près d’ici, juste après Verrières. Elle fréquente la bibliothèque Forney, rue du Figuier à Paris, ce temple de la littérature sur les métiers d’art et leurs techniques. Elle dévore un bon nombre de livres, la plupart en anglais. Pas un souci grâce à ses études.
Elle achète un four électrique, se lance dans les essais, les expériences, les dosages. Elle se met à la chimie, à la géologie, comprend le rôle de la roche-mère, le feldspath aussi essentiel à la céramique que la farine à la pizza. Tout le rituel est d’apprendre, comprendre, essayer, réessayer, noter, les compositions, trouver « les recettes ». Celle qu’elle trouve, elle les partage, comme on partagerait un livre d’heures. « C’est très courant dans la littérature anglo-saxonne, mais pas du tout en France, où chacun garde pour soi. » Elle a écrit plusieurs articles dans la Revue de la céramique. En ce moment, elle met la dernière main à un livre de « recettes » à paraître bientôt. Qu’est qu’une recette ? Proportions, temps de cuisson, attention le temps est un pluriel, les températures doivent suivent des courbes, des diagrammes de phase.
Voyelles
Rouge : fer et phosphore (issu des cendres d’os). Blanc : talc. « Le sous-cuit donne du blanc aussi. » Noir : fer. Jaune : titane et fer. Le rouge sang-de-bœuf est impossible dans un four électrique. C’est l’alphabet de Rimbaud reconverti dans les émaux.
Elle expose en septembre 2025 à Orléans. Un événement est prévu cette année à la Maison de Corée ; il réunira des céramistes coréens et français. Pour l’instant dans son atelier, son capharnaüm de sculptures, de laves, de visages scrupuleusement représentés, d’éclats, d’accessoires, de spatules et de poudres, son grand four, la transporte dans sa galerie personnelle. Là, se promènent ses rêveries habitées de la nécessité d’engager ses mains et sa tête. Et ses yeux pour apprécier ce qu’elle désire vraiment : redécouvrir les variations des formes et des couleurs quand elle tourne autour de sa céramique. Ne sont-elles pas fascinantes les déformations des milieux continus ?

Pour en savoir plus
Voir le catalogue de la 7e biennale de céramique contemporaine, organisée par Artceram 2020. Signalons que Christine Ladevèze fait partie de son bureau depuis 2010. Elle est aussi Sociétaire de la Fondation TAYLOR depuis 2013 en tant que sculpteur et fait partie de la Maison des Artistes. (www.christineladeveze.com)
Voir aussi :
artistescontemporains.org
artcontemporainsevres.org

Notes
[1] Wikipedia
[2] « Le Tenmoku est une technique chinoise spécifiquement associée à la dynastie Song (960-1279). Elle est connue pour ses glaçures à haute température qui varient en couleur, généralement des bruns foncés, des noirs et parfois des touches de bleu ou de vert. »
[3] Le Kudo-Matto est le blanc au talc de la tradition japonaise.
[4] Le musée national des arts asiatiques ou musée Guimet, du nom de son fondateur, se trouve 6 place d’Iéna à Paris.