CONFÉRENCE Christian Monjou le 8 mars, intitulée « de Pablo à Picasso ou les femmes d’un chemin ». Pari risqué à une telle date (journée des droits de la femme) pour un artiste qui a multiplié les conquêtes féminines et les souffrances induites…Conférence présentée toujours dans le cadre des rencontres littéraires et artistiques de Marie-Lou Schenkel à l’ancienne mairie de Sceaux.
Conférence exceptionnelle de pertinence et de sensibilité
Pour l’auditeur régulier de ces conférences, toujours passionnantes, celle-ci est à marquer d’une pierre blanche tant elle va au-delà de l’habituel : non seulement elle enrichit la connaissance et la compréhension du sujet traité mais elle révèle véritablement le pourquoi du comment de la thématique abordée. Christian Monjou s’est attaché à délier les liens entre Picasso et les femmes avec l’aisance et la clarté qu’on lui connaît. Les œuvres de Picasso apparaissaient de façon complètement différente. …, tant ce fil conducteur des présences féminines tout au long de sa vie explique l’homme, l’artiste et l’œuvre. La force de conviction de Christian Monjou est telle qu’on ne peut qu’adopter sa si convaincante grille de lecture : la négligence persistante et assumée de Maria a grandement déterminé la fuite en avant de Pablo avec la gent féminine et son abondance créatrice. D’aucuns diront avoir lu que la mère de Pablo s’intéressait à sa carrière artistique, certes, mais Christian Monjou, lui, parle de manque d’amour…Est donc totalement passé à côté de la conférence le couple de pisse-vinaigres qui commentait cette dernière à la sortie : « C’est sa vision de Picasso mais il ne prouve rien ! ». C’est en fait tout le contraire, puisque la cohérence d’ensemble de la conférence et l’abondance des détails et analyses valent largement preuve absolue, même et surtout si Christian Monjou a pris la précaution oratoire de déclarer n’exposer que sa lecture personnelle de la vie et de l’œuvre du maître !
Une mère dédaigneuse donc blessante
Tout est parti, comme souvent, de la relation avec sa mère, Maria Picasso Y Lopez (1855-1939). Cette dernière, n’apportera aucun amour à son fils. C’est pourquoi, peinte par Pablo, il la représente systématiquement le regard fuyant, ne regardant jamais l’artiste ou l’enfant dans les yeux.
C’est cette blessure profonde de l’enfance qui explique la fuite en avant que sera la vie du maître vis-à-vis des femmes et la frénésie avec laquelle il plonge dans son œuvre de toutes ses forces. « L’art lave notre âme de la poussière du quotidien », disait Picasso.
Christian Monjou évoque la première sculpture du buste de Maria dès l’âge de 11 ans, ses dessins avec sa mère pour sujet dès l’âge de 13 ans, sa première toile la concernant à l’âge de 15 ans (1896), portrait frappant par le regard posé nettement ailleurs que sur l’artiste, que sur son fils.
Quand il a 13 ans, sa sœur décède alors qu’elle n’a que 7 ans, ce qui contribue davantage encore à sa douleur.
Notre conférencier évoque les carnets de dessins consacrés à cette mère lointaine, et l’ultime portrait de 1923.
Selon notre conférencier, cette blessure originelle fondera le rapport aux femmes du génie aux 50 000 œuvres qui écrivait : « Quand j’étais enfant, je dessinais comme Raphaël mais il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant ».
Dès qu’une femme qu’il a mise sur un piédestal est reconnue, il casse le modèle et passe à la suivante…
…nous dira Christian Monjou qui ajoute que chaque nouvelle fidélité érotique installe une nouvelle esthétique. Passant en revue les conquêtes féminines de l’artiste, Christian Monjou souligne que pour toute nouvelle compagne, Picasso définit une nouvelle esthétique et, à peine celle-ci devient-elle connue et reconnue, à peine l’artiste part-il déjà à la recherche de la suivante et d’une nouvelle étape de sa recherche perpétuelle, fidèle à sa maxime : « Je ne peins pas ce que je vois, je peins ce que je pense », motivé par sa confiance en son art : « Chercher ne signifie rien en peinture. Ce qui compte, c’est trouver ».
Pas Ruiz, mais Picasso
Le certificat de naissance fait état de la naissance de Pablo, Diego, José, Francisco de Paula, Juan Nepomuceno, Maria de los Remedios, Crispin Cipriano de la Santísima Trinidad, Mártir Patricio, Ruiz y Picasso ! C’est dire si l’artiste avait le choix pour son nom d’artiste. Mais après une période de recherche durant laquelle il signera « Pablo Ruiz », du nom de son père, il choisira définitivement le nom de sa mère en signant : « Pablo Picasso ». Il revendique le nom et donc l’affection d’une mère qui l’aura ignoré toute sa vie.
Le guidon et la selle de Picasso : humour et âme d’enfant
Si le Picasso des femmes est un sujet d’attaques virulentes récurrentes qu’on ne peut ignorer, il ne faut pas oublier la face naïve et généreuse de l’artiste qui disait : « J’ai mis toute ma vie à savoir dessiner comme un enfant ». Ainsi, avec un vieux guidon de vélo et une selle de cuir antédiluvienne, il fabrique une formidable sculpture représentant une évidente et magnifique tête de taureau ! C’est déjà la preuve d’un véritable artiste hors du commun, espiègle et créatif, mais il devient unique lorsqu’il déclare à propos de cette sculpture : « Ce n’est pas mal hein ? ça me plaît. Voilà ce qu’il faudrait : je jetterais le taureau par la fenêtre. Les gosses qui jouent en bas le ramasseraient. Un gosse n’aurait pas de selle, pas de guidon. Il compléterait son vélo. Quand je descendrais, le taureau serait redevenu un vélo. » [Citation de Picasso in André Malraux, La Tête d’obsidienne, Paris, Gallimard, 1974]. Comment ne pas ressentir de sympathie, ou au moins d’admiration pour autant de créativité, de naïf décalage par rapport au commun ?
Une frénésie créatrice
Dès lors que l’on accepte l’idée que nouvelle compagne et nouvelle recherche esthétique sont indissociablement liées chez Picasso et que l’on suit Christian Monjou dans sa visite guidée des œuvres projetées, l’évidence saute aux yeux : chaque amante est le déclencheur d’une nouvelle page de l’œuvre.
Compagne après compagne, la visite par toiles interposées ne fait que confirmer cette évidence : sentiment et recherche artistique vont de pair et, chez cet acharné du travail, dès qu’un palier créatif est atteint, il faut reprendre son bâton de pèlerin et repartir à la recherche d’une nouvelle compagne, d’une nouvelle peinture…. Picasso a passé sa vie à réparer Pablo.
En cette période de célébration du cinquantenaire de son décès (8 avril 1973), Picasso a été beaucoup décrié ces jours-ci pour son attitude vis-à-vis des femmes. Sans chercher à l’excuser -qui sommes-nous pour le faire ? -, la conférence de Christian Monjou, en montrant l’homme à partir de sa douleur fondatrice par rapport à sa mère distante, permet de mieux comprendre l’artiste. La plus forte conférence sur la peinture depuis bien longtemps !