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Eloquence et plaidoirie : la finale à Jean-Monnet

Les étudiants en droit ont le sens du protocole. La finale du concours d’éloquence de Jean-Monnet se tenait dans la grande et haute salle de l’ancienne mairie. Le jury s’appelait « La cour ! » et on y ajoute un point d’exclamation pour rappeler qu’on élève la voix quand on la nomme. Les candidats avaient tous revêtu la robe d’avocat. Des membres du bureau de Lysias, le grand ordonnateur de la compétition, présentent un à un les membres du jury. Humour, impertinences et remerciements de rigueur. On est en belle robe ou en costume cravate. Pas d’affectation ni de crânerie, au contraire, rien que du protocole. On sait, pour recevoir, mettre les petits plats dans les grands.

Photo Lysias

La « cour » donc, puisque cour il y a, est composé de quatre jurés. Ambroise Vienet-Légué, avocat, est chargé de la communication au barreau de Paris qui participa au concours Lysias ; Dylan Slama, avocat pénaliste, a créé Lysias il y a 10 ans et apporte son expertise judiciaire auprès de chaines d’infos. Boris Bernabé (président) est professeur de droit et doyen de la faculté Jean-Monnet. Enfin, Chantal Brault, élue et première adjointe de la ville de Sceaux, suit et soutient l’association avec une constance saluée (mieux, applaudie) par Lysias qui y voit une présence rassurante.

Six candidats : cinq femmes et un homme. Discrimination évidente. 😉

Boris Bernadé, dans son introduction, souligne l’ambiance électrique de la salle. C’est la plus grande de l’ancienne mairie, à l’étage. Elle est pleine et ça s’entend. En particulier quand William Hage, président de Lysias salue les membres du jury et présente avec humour les dix ans de la compétition. Il se fend d’un aphorisme : « Toutes les bonnes choses ont une fin… sauf Lysias ».

Pas avare d’emphase empathique de bon aloi (elle est largement présente dans toutes les interventions des membres du bureau) : « Croiser un orateur scéen… fait peur, fait-il mine de s’enorgueillir. » Et pour passer la parole aux 4 membres du bureau qui feront la présentation (apologétique forcément) des 4 membres du jury, il ne recule pas devant la double ration : « un leader, un chef, un président [lui, NDLR] sait s’entourer des meilleurs que lui : le bureau de Lysias. La voix a monté, elle a pris le volume des tribuns qui ne peuvent plus cacher leur émotion. On rit. Tonnerre d’applaudissements.

Epreuve de plaidoirie civile

La première épreuve concerne les L1, autrement dit la première année de fac. Sujet pas simple. Il est pourtant très réaliste. Alan et Eva Foiret[1] vivent en couple depuis plus de 20 ans. Ils s’aiment passionnément, ont 3 filles et filent une existence heureuse. Il y a un an, Alan, atteint d’une tumeur devient violent, n’est plus le même, et se met à frapper femme et enfants. Depuis il a été opéré et la tumeur a disparu. Eva a demandé une ordonnance de protection qui peut se traduire par une interdiction pour son mari d’entrer en contact avec elle et ses filles.

Les plaidoiries commencent avec Sidonie Barge qui défend l’épouse et plaide pour la demande. Elle évoque (en y mettant le ton) la violence verbale puis psychologique puis physique. Et ce jour où Alan saisit sa femme par les cheveux. Il ne s’arrête plus, la gifle une première fois puis une deuxième, elle le supplie d’arrêter. Il a sorti une lame. Alan s’en prend aussi à Antonia, l’aînée. Oui, clame-t-elle, Alan a été opéré, mais la tumeur ne répare pas le cœur (voilà qui est envoyé). Sidonie dans une envolée lyrique demande : « pourquoi lui soustraire les enfants ? Parce qu’ils garderont le traumatisme ». La juge aux affaires familiales a confirmé que l’attitude d’Alan les a mises en danger. Le taux de récidive est attesté par plusieurs études. Le Code civil est largement cité (l’épreuve y invite).

Eléonore Mariani assure la défense. Elle commence par proclamer son client « indéfendable ». L’habilité consiste par la suite à montrer en quoi il est particulièrement défendable. Eva veut effacer Alan de sa vie et de celles de ses enfants. Or les événements remontent à un an au moment de la plaidoirie. Elle décrit longuement le rôle destructeur de la maladie qui a réussi à ronger et détruire la « maladie d’amour » qui unissait le couple. Aujourd’hui il n’y a plus de tumeur et il n’est pas plus violent qu’avant. La plaidoirie revendique de « classer » le passé et de considérer le présent. La maladie d’Alan n’effacera pas les maux qu’elle a pu créer, mais elle ne doit pas le condamner à une privation de ses enfants au moment où elles ont besoin d’un père.

Le jury félicite la bonne tenue des plaidoiries et la variété des arguments mobilisés. Des observations sur la gestuelle de Sidonie qui n’est pas OK ni sa voix. Pour un autre, le regard est bien maintenu. Éléonore a eu raison de personnaliser la tumeur en la racontant comme un personnage maléfique. Elle est plus juridique que sa concurrente. On salue le sens de la métaphore de Sidonie, mais on la retoque d’avoir anticipé une position de sa concurrente, position qu’elle lui prête, mais qui n’a pas été exprimée. Pas un détail n’échappe au regard du jury.

Epreuve de droit pénal pour les L2

On ne joue plus dans la même cour. Il y a mort d’homme, de femme en l’occurrence. On comprend d’emblée qu’on est loin des féminicides domestiques et que le drame a quelque chose d’exceptionnel. Un homme emmène d’urgence à l’hôpital sa femme sur le point d’accoucher. Ils sont en voiture. En route, ils se retrouvent dans une rue bloquée par une manifestation. La femme a ses douleurs. Le couple panique. L’homme tente de négocier le passage. Sa voiture est prise à partie. Sa femme crie. Il remonte dans sa voiture et démarre. Une manifestante s’est enchaînée et allongée par terre pour mettre en relief sa protestation. Elle est écrasée. L’homme ne s’est pas arrêté.

Julien Simoes, pour le ministère public, voit dans la voiture une arme par intention. En faisant partir la voiture brusquement, le conducteur manifeste une volonté. Si on accepte l’accident, c’est nier cette volonté. Voix très ferme, parole abrupte, un membre du jury dira, plaisantant à moitié, les procureurs sont comme ça. Il a le rôle du méchant. Pas de place pour l’indulgence, tapis rouge pour l’accusation. Des jurisprudences sont évoquées. Il réclame 3 ans de réclusion criminelle.

Charlotte Bouyahia assure la défense. Comment contextualiser le drame ? Comment en faire autre chose qu’un simple meurtre ? Elle attaque d’un éclat vocal. Levez-vous s’écrie-t-elle en direction de jury. Elle interpelle, elle conjure, évoque la mythologie grecque. Lors de l’évaluation, l’effet de manche sera jugé un peu surjoué. lls ont attendu 10 ans cet enfant ! Il a attendu une demi-heure les pompiers. Il demandait aux manifestants de s’écarter. Ils lui répondaient : « Vous ne passerez pas. » Quand il arrive à vitesse lente, les manifestants ne s’écartent pas. Le conducteur ne pouvait pas voir la victime. Comme son compétiteur, elle fait assaut de références juridiques. Mais l’esprit de l’épreuve, tel qu’on le comprend, semble pousser à l’entrelacement entre technique et sensibilité. Et tous font de leur mieux. Elle plaide la relaxe.

Cas très réaliste comme le premier. On est projeté dans les subtilités des souffrances humaines telles que refaçonnées et rapportées par les hommes de loi. Les raisonnements opposés sont riches en ce qu’ils expriment la complexité des réalités humaines.

Eloquence

La troisième et dernière épreuve est destinée aux étudiants de L3. On quitte le domaine judiciaire pour celui de la seule et pure argumentation. L’éloquence à l’état brut. Accrochons-nous. Sujet : « La dernière ligne est-elle toujours droite ? »

Les trois épreuves ont une semaine de préparation. Ici, tout particulièrement, ce n’est pas de trop. Victoria Perrissin-Fabert a le rôle de l’approche positive. En d’autres termes : oui, la dernière ligne est toujours droite. Elle part sur une métaphore routière. « Je suis votre GPS, débite-t-elle en imitant la voix de l’appareil. » Puis, glissements successifs sur la victoire qui nous guide ou bien sur l’endroit où le chronomètre s’arrête. Les figures s’enchaînent. Elle parle tout à coup comme un commentateur sportif. On est dans une course avec un outsider. On regarde l’arrivée avec le sprint final. Il franchit la ligne d’arrivée en premier ! Analogie avec la vitesse. Avec le moment ultime.

Puis on s’attarde sur la dernière ligne qui est toujours droite après le temps de travail, comme la dernière ligne de la copie, comme encore celle de l’électro cardiogramme au moment final. Êtes-vous prêt à tout pour gagner ? Gagner droitement, bien sûr. Chantal Brault dira (en souriant) que « terminer les discours au cimetière, ce n’est pas vraiment joyeux.» La remarque vaudra pour les deux compétitrices.

Laura Hayek, en charge de l’approche négative, attaque par la profondeur de l’âme. La vie, ma vie, votre vie : la dernière ligne sera tout sauf droite. Une ligne droite est infinie. Il n’en existe pas de dernière. Pourquoi la dernière ligne serait-elle droite ? Si on est de gauche. Elle ironise. Au-delà d’un parcours droit on rencontrera toujours un mur un obstacle. Il faudra le contourner. Une ligne droite est ennuyeuse. L’arrivée d’une ligne droite est insipide. On transpire, on rebrousse chemin, bref on contourne. La dernière ligne n’était pas droite, mais pleine de bosses. Tout à coup sa voix s’élève, elle se refait sportive. Elle glisse le long des sens. Dylan Slama dira qu’elle fait dans l’absurde à la Raymond Devos. Ce qui était bien, mais qu’elle aurait dû plus assumer. Manière de saluer l’inspiration.

Prendre de la hauteur

En bon président, Boris Bernabé prend du champ. « Pourquoi démarrer sur la bagnole ? C’est cela votre meilleur ? Il faut élever le niveau pour conquérir au niveau national. » On peut être plus profond, ce qui n’empêche pas d’être drôle. Il propose un autre regard. Les deux ont privilégié le qualificatif de droite. Elles ont cherché à le traduire à travers la route, le trait, le graphique, la hâte, l’intensité. Il montre une alternative. La dernière ligne droite, c’est avant tout la dernière. L’important est l’ultime. Il précise. « Vous pouviez partir sur Dante qui était mieux que la Formule 1. » Il cite la première phase de l’Enfer : « Au milieu du chemin de notre vie / je me retrouvai dans une forêt obscure, / car la voie droite était perdue. »

Il interroge aussi le sens. Pourquoi dit-on qu’elle est droite ? Parce qu’on pense à Euclide. Mais dans la géométrie de Riemann c’est complètement différent. On se demande comment les géométries non euclidiennes pourraient atteindre les oreilles des étudiantes en droit. Le président précise (fait atterrir) sa pensée : c’est le cadre géographique qu’il a en tête et qu’il propose d’interroger. L’idée peut-être du plus court chemin entre deux points.

Avec les efforts talentueux des étudiants et les commentaires aigus du jury, c’est un cours d’expression et de composition qu’offrait ce soir-là Lysias. Un herbier de formules et de synthèses. On recommande à tous au titre des leçons de choses.


[1] Le jeu de mots entre le prénom et le nom du mari l’accusait déjà. Mais qui s’en rendit compte ?

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