CONFÉRENCE Les Rencontres Littéraires et Artistiques de Sceaux se sont tenues à l’ancienne mairie ce 11 janvier. Patrick Maunand réalisait à cette occasion sa première prestation de conférencier à Sceaux.
Patrick Maunand, ingénieur passionné de littérature, a créé fin 2000, l’Association Lire et Partir. Il anime depuis des promenades littéraires dans différents quartiers de Paris, ou ailleurs, pour le plus grand bonheur des amoureux de Molière, La Fontaine, Baudelaire, Sand, Alain-Fournier, Balzac, Hugo, Simenon, Cocteau, Colette ou Zola.
Au travers d’une vingtaine d’auteurs, notre conférencier va d’un extrait à l’autre pour nous imprégner de la glorieuse cité russe.
La Palmyre du Nord changea souvent de nom et de vocation
Pierre le Grand veut faire de sa nouvelle capitale une cité résolument tournée vers l’Europe et fait appel à des architectes occidentaux pour la construire à partir de rien sur des marécages.
Sous Catherine 1 re de Russie, Saint-Pétersbourg devient ville impériale à la renommée planétaire.
Après la Première Guerre mondiale, la ville perd sa vocation européenne au moment du changement de nom, lorsqu’elle devient Petrograd.
Après la révolution russe, la ville prend le nom du leader du moment en devenant Leningrad.
Ce nom est définitivement associé au combat héroïque des Soviétiques contre les nazis, après 872 jours de siège, résistance qui a constitué un tournant victorieux contre les armées d’Hitler.
C’est en 1991 que la cité reprend son nom originel et retrouve sa vocation européenne.
Saint-Pétersbourg est une ville fascinante qui a su conserver son patrimoine architectural et culturel malgré les bouleversements historiques qu’elle a traversés.
Nos guides la plume à la main
Voltaire, Pouchkine, Gogol, Diderot, Dumas, Custine, Dostoïevski, Tolstoï, Gautier, Blok, Biely, Cendrars, Leroux, Larbaud, Gide, Céline, Brodsky sont certains des hommes de lettres qui nous ont guidés pour mieux connaitre la cité. Si celle-ci reçoit avec plus d’une centaine de villes au monde le surnom de Venise du Nord, Saint-Pétersbourg est en revanche et sans conteste la seule qualifiée de Palmyre du Nord, en référence à l’antique cité Syrienne. Les deux cités sont en effet toutes deux caractérisées par de multiples colonnades et par un grand rayonnement culturel. Plus récemment, il a en outre été observé qu’elles présentent également des similitudes dans l’ordonnancement des perspectives, des palais, des bâtiments, des parcs et des avenues. Saint-Pétersbourg est aussi et surtout la plus grande métropole septentrionale du monde.
Alexandre Pouchkine, l’écrivain russe, reviendra sur la fondation en 1703 de Saint-Pétersbourg, pari fou du Tsar Pierre le Grand qui prend le risque d’établir une anti-Moscou sur des marécages.
Alexandre Soljenitsyne manifestera a posteriori son opposition ferme contre la folie de ce projet, alors que Vissarion Belinski, célèbre critique littéraire du XIXe Siècle, défendra des décennies plus tard cette prise de risque, au nom de la beauté et du caractère unique de la cité.
La légion de plumes françaises
Dans son Histoire de l’Empire de Russie sous Pierre le Grand (1759), Voltaire consacre de nombreuses pages à Saint-Pétersbourg, s’attardant notamment sur la maison de Pierre le Grand, relativement humble et petite (un seul étage) pour un monarque. Il en tire enseignement sur le caractère du monarque.
Voltaire fut un véritable russophile, exprimant un sincère intérêt pour la Russie qui ne fut ni feint ni superficiel. Pierre le Grand exerça sur le philosophe une véritable fascination tant pour le personnage que pour son œuvre, un Tsar qui aurait fait de la Russie un pays moderne, définitivement européen et éclairé. En 1771, il proclame dans une lettre à Catherine II : « Si j’étais plus jeune, je me ferais russe ».
Dans ses Mémoires (1789-1798), le Vénitien Casanova, de plume française, évoque longuement les fastes d’un bal auquel il a participé en 1765 à Saint-Pétersbourg, sous le règne de Catherine II. Il a plusieurs longues entrevues à Saint-Pétersbourg avec Catherine II.
Diderot séjourne à Saint-Pétersbourg de 1773 à 1774 et est surtout marqué par l’hiver dans la Venise du Nord. Le 6 juillet 1762, neuf jours après le coup d’état qui l’a mise sur le trône, Catherine II invite Denis Diderot à venir en Russie pour y publier L’encyclopédie, qui a été interdite à Paris. Diderot arrive à Saint-Pétersbourg en octobre 1773, où il demeure cinq mois. Catherine II traite Diderot en invité de marque et a de longues discussions quotidiennes avec lui. Diderot aborde les questions politiques, économiques, sociales, juridiques et artistiques. Cependant, c’est une période pendant laquelle Catherine est fort peu disposée à accepter les idéaux démocratiques, étant préoccupée par une révolte paysanne et par la guerre contre la Turquie. Rien ne suggère donc que le séjour de Diderot à Saint-Pétersbourg ait été particulièrement réjouissant ou satisfaisant. Mais une fois rentré en France, Diderot veut que ses correspondants et la plupart de ses amis croient exactement le contraire. Il décrit son séjour en Russie sous le meilleur jour et reste généreux en compliments pour Catherine II.
Joseph de Maistre en 1802 dans Les soirées de Saint-Pétersbourg , un des plus grands textes métaphysiques français, puis Madame de Staël en 1812 relatent, eux-aussi, leur séjour à Saint-Pétersbourg dans leurs écrits, pour en souligner le charme extraordinaire. Madame de Staël prend des notes pour le futur De la Russie et des royaumes du Nord — les futures Dix années d’exil.
Le marquis de Custine, né Astolphe Louis Léonor, dans son ouvrage La Russie en 1839 [ouvrage souvent considéré comme l’équivalent sur la Russie du De la démocratie en Amérique, de Tocqueville], dénonce, la dureté du Tsar Nicolas 1er, formulant une véritable critique des institutions autocratiques russes.
En 1843, Honoré de Balzac narre son premier voyage en Russie où il rend visite à sa bien-aimée et célèbre Madame Hanska, chez elle, dans sa propriété en Ukraine, puis à Saint-Pétersbourg.
Il y reçoit un accueil glacial dont il aurait dit : « J’ai reçu le soufflet qui était destiné à Custine ! », Balzac recueillant les fruits des critiques de Custine contre le régime politique. Il avait pourtant écrit à sa belle Mme Hanska, le 1er juillet 1843, à la veille de son départ pour la Russie : « La France m’ennuie. Je me suis pris d’une belle passion pour la Russie ; je suis amoureux du pouvoir absolu. Je vais voir si c’est aussi beau que je le crois. De Maistre est resté pendant longtemps à Saint-Pétersbourg ; j’y resterai peut-être aussi. »
Gérard de Nerval évoque son séjour à Saint-Pétersbourg dans son roman Aurélia qu’il n’aura pas achevé lorsqu’il se donne la mort en 1855 : « Les nuages devinrent transparents, et je vis se creuser devant moi un abîme profond où s’engouffraient tumultueusement les flots de la Baltique glacée. Il semblait que le fleuve entier de la Néwa, aux eaux bleues, dût s’engloutir dans cette fissure du globe. Les vaisseaux de Cronstadt et de Saint-Pétersbourg s’agitaient sur leurs ancres, prêts à se détacher et à disparaître dans le gouffre, quand une lumière divine éclaira d’en haut cette scène de désolation. Sous le vif rayon qui perçait la brume, je vis apparaître aussitôt le rocher qui supporte la Statue de Pierre le Grand. Au-dessus de ce solide piédestal vinrent se grouper des nuages qui s’élevaient jusqu’au zénith. Ils étaient chargés de figures radieuses et divines, parmi lesquelles on distinguait les deux Catherine et l’impératrice Sainte-Hélène[mère de l’empereur Constantin], accompagnées des plus belles princesses de Moscovie et de Pologne ».
L’hiver 1858-1859, Alexandre Dumas et Théophile Gautier visitent la Russie. Ils font ce voyage pour des raisons différentes mais néanmoins littéraires. Dumas est déjà une gloire, c’est l’homme des Mousquetaires, la plume d’action. Gautier est un homme influent du monde des lettres, un poète et un critique d’art de renom.
En 1858, Alexandre Dumas publie son de Paris à Astrakan ou Voyage en Russie qui plonge au cœur de la Russie profonde. Il décrit Saint-Pétersbourg et ses nuits blanches. Il est en effet immédiatement admis dans la haute société pétersbourgeoise où il devint la coqueluche des salons. Dans ces milieux aristocratiques, on apprécie beaucoup ses qualités littéraires et son prodigieux talent de conteur. On lui savait gré de divertir plutôt que de le plonger dans l’examen sévère des problèmes sociaux. L’enthousiasme provoqué par Dumas eut son écho dans toute la presse européenne. Le voyage « littéraire » de Dumas fut en définitive une promenade à travers les salons de Saint-Pétersbourg.
En 1867, Théophile Gautier publie son Voyage en Russie dans lequel il laisse de belles pages sur Saint-Pétersbourg sous le règne d’Alexandre II. Le « fils du soleil », s’émerveille devant les prestiges de la capitale des neiges qu’il appelle « l’Athènes du Nord ». Ébloui par les palais et les cathédrales aux teintes pastel, il glisse en traîneau sur la Perspective Nevski, pénètre dans le Palais d’Hiver et assiste à la bénédiction de la Néva en présence du tsar.
Céline, Gaston Leroux, Joseph Kessel et Blaise Cendrars parachèveront les liens que tous les écrits français lus ou évoqués sur Saint-Pétersbourg sont parvenus à créer entre les auditeurs et le conférencier.
Les auteurs et artistes russes
Patrick Maunand poursuit son parcours initiatique sur Saint-Pétersbourg en évoquant les écrits d’artistes russes tels que Nicolas Gogol, Fiodor Dostoïevski, Piotr Ilitch Tchaïkovski et Anton Tchékhov.
Il évoque le Saint-Pétersbourg d’Anna Akhmatova, poétesse russe du XXe siècle renommée pour son combat anticommuniste. Elle témoigne en particulier du siège de Leningrad. Son poème Courage est publié en 1942 à la une de la Pravda, durant sa parenthèse de notoriété soviétique pendant la Grande Guerre patriotique. Notons que ce poème fait partie du recueil Requiem, dédié aux victimes de la terreur stalinienne.
C’est enfin avec Ossip Mandelstam, poète et essayiste russe du XXe siècle, et avec Joseph Brodsky, Nobel de littérature 1987, exilé aux États-Unis, dont les destins littéraires et politiques sont intimement liés à la Venise du Nord, que notre conférencier termine son tour d’horizon littéraire.
Parmi tous les beaux textes lus par Patrick Maunand, Pétersbourg, roman d’Andreï Biely, …vaut vraiment le voyage immobile et pourtant si évocateur. Dans ce chef-d’œuvre du modernisme russe publié en 1916, l’auteur met en scène un jeune révolutionnaire russe chargé d’assassiner son propre père. On y voit surgir de la brume la ville la plus fantastique du monde, héros véritable du livre, durant la révolution de 1905….