Le deuxième concert de la nouvelle saison des Schubertiades laissera une trace dans les cœurs et dans les mémoires. Samedi 19 novembre, le concert du Geister Duo a réuni le talent de David Salmon et celui de Manuel Vieillard, côte à côte sur leur piano.
Comme Pierre-Kaloyann Atanassov (Directeur artistique des Schubertiades) le fit remarquer dans son propos introductif, il ne s’agit pas là de l’habituel croisement conjoncturel de deux solistes le temps d’un concert mais d’une formation née de la volonté commune des deux artistes de faire vivre dans la durée une formation de musique de chambre se produisant à quatre mains (ou à deux pianos, chaque fois que possible).
En effet, ce qui est admirable à deux mains ne peut qu’être plus riche et plus dense à quatre mains … Mais le piano à quatre mains est généralement considéré comme un exercice réservé au cercle familial ou amical, mais pas au concert… Il y a bien quelques exceptions célèbres, comme les sœurs Labèque, les sœurs Walachowski ou, parmi la jeune génération, Lucas et Arthur Jussen. Presque toujours des frères et sœurs.
Nos deux pianistes ont créé le Geister duo il y a 10 ans (leur nom vient des Geistervariationen de Schumann, l’une des dernières œuvres du compositeur). Ils ont remporté en septembre 2021 le premier prix du prestigieux Concours International de l’ARD de Munich. Leur premier disque est sorti en 2021 sur le label Mirare, un programme romantique avec des œuvres peu connues de Schumann (Images d’Orient), Brahms (Variations sur un thème de Robert Schumann) et Dvorak (Des forêts de Bohême).
Le programme de la schubertiade du 19 novembre comprenait des danses hongroises de Johannes Brahms, une fantaisie en Fa mineur D940 de Franz Schubert et, après l’entracte, Petrouchka, d’Igor Stravinski.
Les 21 danses hongroises de Brahms ouvrent le concert sur des rythmes endiablés, inspirées pour la plupart d’airs populaires de danse hongroise traditionnelle et de chants folkloriques tziganes et slaves. L’alternance de brusques ralentissements avec des emportements du tempo était du plus bel effet .
C’est par ce biais que Brahms découvre en direct et de manière sensible la musique hongroise. Il expérimente la joie de jouer des musiques traditionnelles, notamment à la manière tzigane, étant en contact direct avec le style et l’esprit de cette musique. Toute cette expérience inspirera Brahms pour composer, quelques années plus tard, ses propres et fameuses Danses hongroises qui nous ont ravi ce samedi soir, à Sceaux.
Cette première partie du programme était particulièrement impressionnante par le velouté du toucher des deux pianistes et par leur jeu aérien, sans compter -c’est tellement évident qu’on en oublierait presque de le souligner- leur parfaite et totale symbiose.
Lorsqu’on passe à Schubert, on prend de plein fouet le lyrisme du jeu, l’alternance des phases fortes et douces, une remarquable finesse du jeu…bref, le duo dispose de toute la palette qui lui permet de faire passer l’émotion de l’œuvre au public.
Après un bref entracte, nous nous sommes régalés d’une magnifique transcription de Petrouchka qui a constitué le bouquet final du concert, une apothéose magique et habitée dans laquelle les deux pianistes nous ont montré toute l’étendue de leur jeu pour partager leurs émotions : quel talent !
Le tonnerre d’applaudissements de la salle a conduit le Geister duo à nous gratifier, à titre de bonus, de la mère l’oie de Maurice Ravel, petite gourmandise finale qui a enchanté l’auditoire et dont l’effet s’est prolongé longtemps après le concert….
Le duo Geister marquera à n’en pas douter l’histoire du duo de pianos et c’est tout le talent des Atanassov, mère et fils, que de savoir sélectionner les artistes pour les Schubertiades avec autant de pertinence.