Tout a commencé avec le covid. « Nous étions souvent inoccupés, dit Manuela. Difficile de se mobiliser avec les cours en ligne. A distance, ils n’étaient pas vraiment passionnants. » Ils sont trois, Eléonore Edgar et elle, Manuela, qui se connaissent depuis toujours. Le toujours, c’est le lycée. Pendant le premier confinement, l’idée germe. Pendant le deuxième, elle prend forme. Ils se lancent, c’est du tout neuf, mais ils sont déjà très « opérationnels ». Les 12 et 13 mars, ils seront à Sceaux.
Ce sera un magasin éphémère. Quelque chose d’élégant, avec plein de vêtements accrochés consciencieusement, méthodiquement sur des portants alignés, agrémentés de couleurs et d’explications. Question organisation, ça ne sera pas du nougat. Edgar étudie à Paris, Eléonore à Lille et Manuela à Londres. Mais ils ont du répondant. Les deux premiers sont en écoles de commerce, la troisième suit un cursus de management. Merci les télécoms et merci surtout le sens de la programmation. Tout l’entretien avec Manuela, en visioconférence channel oblige, a montré que la coordination et le planning ne sont pas des mots vides.
Conviction
« A la mode de chez vous » est né d’une conviction. Il a grandi d’une volonté de méthode. La conviction : agir pour la planète. N’allons pas jusqu’à prétendre que ce n’est pas tendance. Hyper tendance même. Bon, mais les arguments lui viennent naturellement à la bouche. Elle y croit, elle s’anime : « La durée de vie des vêtements se réduit constamment. On est dans une course à la consommation absurde. » La seconde main est une des solutions, faut-il préciser qu’on parle de vêtements féminins. La mode est un cycle. Vidons l’armoire des grand-mères !
Vous l’aurez compris, l’équipe milite pour la Slow fashion, c’est-à-dire l’alternative à cette hyperconsommation des vêtements, couramment taxée de Fast fashion. Elle s’inscrit contre les « grandes enseignes de mode [qui] incitent perpétuellement les consommateurs à acheter et à racheter grâce à des offres marketing agressives, des sollicitations permanentes et des publicités de rêve. »[1]
La Slow fashion, c’est « repenser nos comportements d’achat. Plutôt que de changer, jeter et renouveler sans cesse nos vêtements, il appelle à désirer son vêtement, à s’assurer de son réel besoin et bien sûr, à favoriser un vêtement de qualité, durable et écoresponsable. « Consommer moins mais mieux » ! » [2]
Un très beau site développé par Maolab illustre des visuels bien conçus l’esprit de l’engagement.
Méthode
« A la mode de chez vous » se fixe deux grands objectifs : faciliter la vente et convaincre d’acheter des 2e main. Faciliter la vente, c’est d’abord collecter efficacement. La décision « Je vide mon armoire », le don à une association ne sont pas des actions simples. Il faut vouloir faire le vide, éventuellement laver, forcément se déplacer.
Il y a bien la mise en ligne par des sites comme Vinted, « mais ce n’est pas notre créneau. Nous préférons créer du contact réel et avoir la maîtrise des vêtements en vente ». Ils trient, car ils veulent trier, organiser par style, par taille. Leur concept n’est pas seulement de vendre, c’est de penser des tendances et de les montrer.
Le deuxième objectif, le convaincre, le « J’achète responsable », c’est pour eux transmuter la seconde main en vêtement joli, tendance, unique. Ils jouent sur le paradoxe de présenter le vêtement selon les critères d’exposition du neuf et de promouvoir en même son histoire, sa contribution à l’économie circulaire.
Magasins éphémères
Concrètement, comme ça se passe ? « Simplement, dit-elle en projetant dans la peau du vendeur. J’appelle alamodedechez vous, …. Je fais mon tri sur la base des critères : belles matières, made in France, belles marques. Et puis, nous venons chercher les vêtements et procédons éventuellement à un nouveau tri. Ce qui n’est pas vendable est donné à des associations comme la Croix rouge ou Refashion. Ce qui est retenu est étiqueté et entré en stock. »
Parfois, mais très marginalement, il y a du nettoyage à prévoir, un ourlet à refaire. Lorsque les transformations nécessaires sont importantes et que le vêtement en vaut le coup, il est donné à des upcyclers qui le modifient et le commercialise à leur convenance.
La vente est conçue sous forme de magasins éphémères. Ce sont des événements qu’ils organisent dans des villes en les espaçant assez pour pouvoir recréer une collection. Dans ces magasins, ils déploient des portants, accrochent des séries de chemisiers, de robes et de chapeaux. C’est profus, bien arrangé, étudié. On n‘est pas dans une friperie ; on est dans une belle boutique. On est conseillé. Toute l’équipe est mobilisée. Elle est à l’écoute. On se parle. Ce n’est pas une décrochez-moi-ça, on parle matière et coloris. On cherche ensemble ce qui peut convenir.
Sur chaque cintre un ruban de couleur indique la taille. Rouge, M ; vert S ; Violet XL. Si Rimbaud avait plus été porté sur l’habillement, il aurait sans doute écrit un sonnet sur les consonnes et les tailles.
Des kakémonos dispensent aux chalands des nouvelles du front de la consommation : comment être belle et responsable, le vêtement qui me va, les mérites du vintage. Des partenaires proposent des créations réalisées dans une démarche d’upcycling, c’est-à-dire basées sur des valorisations de vêtements existants et métamorphosés, sur des réutilisations de tissus, de laines ou de cuirs.
« La maîtrise des prix est un aspect essentiel du projet. Nous ne voulons pas brader les belles pièces qui nous sont confiées. Nous avons un calcul très précis des prix en fonction du prix d’origine estimé, de la marque, de la matière. Un vêtement est un achat réfléchi et non compulsif et nous voulons mettre cette valeur au cœur du projet. »
Choix associatif
Car c’est une association qui est à la manœuvre, et non un commerce stricto sensu. Elle est sans but lucratif. 50% de la vente est versé au propriétaire initial et le reste pourvoit aux besoins de fonctionnement. Pas de rétribution des membres. Une association fondamentalement étudiante et qui, actuellement du moins, souhaite le rester. Ses trois fondateurs : Eléonore s’occupe de la communication, Edgar de la logistique et des collectes, Manuela des partenaires et des salles. Autour d’eux : une dizaine de bénévoles qui participent à toutes les opérations nécessaires.
Pour l’instant, la présence est principalement en Ile-de-France. « L’idéal, ce serait de créer une structure pérenne mais étudiante. » Chimère ? Quadrature du cercle ? L’avenir dira si une activité peut rester pérenne tout en étant gérée par des étudiants au statut par définition éphémère. Ils creusent le sillon.
Des étudiants les rejoignent. Leur profil ? « Pas compliqué : être convaincu de la Slow fashion, être présents lors des trois ventes annuelles. Ce sont des moments très importants, c’est là que se crée notre collectif, qu’on se soude !) ? Nos visios toutes les deux semaines permettent de rester groupés et informés de l’avancement. Mais il nous faut aussi être ensemble. » Une dernière qualité qu’elle mentionne d’une voix appuyée : la bonne humeur ! Si elle, pas de convivialité et sans convivialité les ventes perdent de leur originalité.
En mars à Sceaux
Le prochain magasin éphémère est à Sceaux, à l’ancienne mairie, les samedi 12 et dimanche 13 mars. Il proposera en outre une formation d’une heure sur la création de vêtements. Vous trouverez des détails sur leur page Facebook : « Après plusieurs mois de collecte intense, nous vous avons déniché de très belles pièces et de très belles marques. Vous pourrez shopper de super pépites lors de cette vente exceptionnelle. 😎 » Dixit. On n’a pas changé un mot.
On ne changera rien non plus à leur devise, joliment trouvée : « La mode d’hier est d’aujourd’hui ».
Une présentation vidéo par ici, des témoignages par là et un reportage de France 2.
[1] Source : https://thelma-rose.com/blog/slow-fashion-definition-engagements-enjeux-n13
[2] Même source