Le 19 novembre, l’Insee a publié une note titrée « Au troisième trimestre 2021, le taux d’emploi est au plus haut (67,5 %) et le taux chômage est quasi stable (8,1 %) ». Il faut comprendre que le terme « au plus haut » signifie le plus haut depuis que l’Insee mesure ce taux sous cette forme (celle du BIT), c’est-à-dire depuis 1975. Il s’agit d’un résultat positif pour l’économie : une forte proportion de personnes contribuant à la création de richesses facilite le financement des services publics et de la sécurité sociale. C’est d’autant plus utile quand la proportion des 65 ans et plus ne fait qu’augmenter avec le papy-boom.
Les principales évolutions depuis 1975
Pour comprendre ce résultat, le plus simple est d’analyser ceux qui, ayant entre 15 et 64 ans, ne sont pas en emploi : ce sont d’abord ceux qui poursuivent leurs études au-delà de 15 ans, puis ceux qui ne prennent pas d’activité par choix ou par inaptitude, et enfin ceux qui quittent la vie professionnelle avant leurs 65 ans. Et, bien entendu, tous les chômeurs, quel que soit leur âge. Une remarque à ce propos : les chômeurs ne sont pas pris en compte dans le taux d’emploi, mais ils le sont dans le taux d’activité. Ce qu’on appelle les actifs, par opposition aux non actifs, comprend bien les chômeurs. Dans l’analyse ci-dessous, le taux d’activité sera souvent utilisé, parce que les données mises à disposition par l’Insee sont souvent liées à cet indice.
La distinction du taux d’emploi par les classes d’âge 15/24 ans, 25/49 ans et 50/64 ans, la distinction par sexe, permettent de mieux approcher le poids des différentes causes.
Notons tout d’abord que les évolutions depuis 1975 du taux d’activité de ces trois classes d’âge sont très différentes :
Commençons donc par la situation des 15/24 ans. La prolongation des études est un phénomène déjà ancien. Pour la génération née en 1920, l’âge moyen de fin d’études se situait très légèrement au-dessus de 14 ans pour les filles et à près de 15 ans pour les garçons. Cet âge de fin d’études a progressé en moyenne chez les filles d’un an par décennie, pour arriver à 20 ans pour la génération née en 1980, pour les filles comme pour les garçons. Il s’est depuis à peu près stabilisé. Il a donc eu un effet sur l’évolution du taux d’emploi entre 1975 et 2000, mais guère depuis.
La distinction par sexe pour les 25/49 ans met en évidence qu’on est parti d’une situation où le taux d’emploi des femmes était nettement inférieur à celui des hommes. L’Insee fournit obligeamment des informations sur le taux d’activité (supérieur au taux d’emploi puisqu’il prend en compte les chercheurs d’emplois) des 15/64 ans et son évolution depuis 1975 avec le graphique ci-contre.
En 1975 le taux d’activité des femmes de15 à 64 ans est de 52,7 % alors que celui des hommes est de 83,6%. Cet important écart, de plus de 30 %, ne cesse de se réduire par la suite : il n’est plus que de 7,9 % en 2020. On notera que l’augmentation de l’activité féminine a commencé avant 1975 : de 1968 à 1975, les femmes contribuent pour ¾ à l’accroissement du nombre d’actifs (1,0 sur 1,4 million)
Chez les 25/49 ans, l’augmentation du taux d’activité global entre 1975 et 1995 est essentiellement due à l’augmentation de celui des femmes (celui des hommes a même baissé un peu). Le taux global maximum a été atteint en 2010 (88,9%). Il a légèrement baissé depuis.
Si on observe maintenant le taux d’activité des 50/64 ans, on constate deux temps successifs opposés : baisse entre 1980 et 1995 et hausse depuis. La principale raison de ces mouvements est politique : les décisions successives modifiant les conditions de départ en retraite (conditions d’âge et de durée de cotisation), en 1982 puis en 1997, 2003, 2011 et 2012. Des éléments démographiques ont joué à la marge : augmentation de l’âge de fin d’études, arrivée du papy-boom résultant du baby-boom de l’après-guerre. Et bien sûr aussi, augmentation du taux d’activité féminin.
Les évolutions récentes
Regardons maintenant le graphique publié dans la dernière note de l’Insee. Il porte cette fois sur le taux d’emploi et ne comprend donc pas les chômeurs (mais il comprend les salariés à temps partiel). Les données commencent en 2003 et comprennent trois trimestres de 2021. Attention, il y a deux échelles, celle de droite concernant les 15/24 ans, dont le taux d’emploi est assez faible, d’une part à cause de la part importante d’étudiants, d’autre part à cause du taux de chômage important parmi les jeunes sortis jeunes et peu qualifiés de la formation initiale.
Les trois courbes n’ont pas du tout le même type d’évolution : les deux courbes en haut du graphique connaissent des variations par rapport à une tendance à peu près stable. Les variations sont liées à la conjoncture économique. Celle-ci a des effets plus marqués pour les jeunes.
La troisième courbe, celle des 50/64 ans en bas, est marquée par une hausse assez régulière depuis 2009. Une hausse qui a permis de passer, pour cette classe d’âge, d’un taux d’emploi inférieur à 55 % à un taux supérieur à 65 %.
Le taux d’emploi des 15/64 ans est bien entendu la résultante de ces trois courbes. Il a connu un maximum à 64,4 % en 2008, avant la crise financière. Il a repassé ce maximum en 2017 et a continué sa hausse depuis, sauf bien entendu en 2020 avec la Covid. Il a donc connu un nouveau record au 3e trimestre.
On notera que le taux d’emploi à temps complet progresse de 0,6 point sur le trimestre et excède de 1,2 point son niveau d’avant crise. Le taux d’emploi à temps partiel est quant à lui quasi stable (–0,1 point) par rapport au trimestre précédent : il est inférieur de 0,6 point par rapport à son niveau d’avant crise. Dit autrement, le taux d’emploi augmente, mais sa « qualité « augmente aussi, si l’on se souvient qu’une partie de l’emploi partiel est un temps partiel subi. En 2019, une note de la Dares[1] avait déjà pointé un record du taux d’emploi couplé avec une hausse de la part des CDI et une baisse du sous-emploi.
Si l’augmentation globale du taux d’emploi depuis 1995 s’explique en grande partie par les différentes réformes des retraites, sa hausse depuis 2014 s’explique avant tout par la baisse du taux de chômage, comme on le voit à travers le graphique ci-contre :
De ces résultats, on peut tirer deux enseignements importants, à propos de deux points de discours entendus. Le premier concerne la réforme des retraites : contrairement à ce que certains affirmaient, le report de l’âge de la retraite se traduit par une augmentation du taux d’emploi et non par une hausse du taux de chômage. Le second concerne la loi El Khomri puis celle sur le code du travail : ces réformes n’ont pas dégradé la qualité de l’emploi, au contraire.
[1] Dares : Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques. Elle dépend du ministère du Travail.