Je reprends mon histoire commencée ici. La première partie se terminait quand il apparaît que la petite aide qu’on me demandait se complique de plus en plus. Mais tout se tient. Ma carte semble avoir été avalée dans l’horodateur. Au bout du fil, un « technicien » m’assure que le problème est identifié et qu’il est en cours de traitement. Je joue les affranchis.
— Ce ne serait pas une arnaque, des fois, votre truc ? lui dis-je avec un petit rire gêné.
— Comment ? » répond-il offusqué. « Je suis derrière mon écran à essayer de dépanner les clients et… Et comment j’aurais eu votre nom et celui de votre Banque ?
— Évidemment ! Où ai-je la tête ? J’en serai presque à m’excuser de lui avoir posé cette question.
— Vous avez de la chance, ça avance vite… 65 %… 85 %… 95%. Voilà, c’est terminé. Je vais maintenant vous demander de rentrer des chiffres et des lettres au clavier principal. Un instant je vais vous les dicter. » Il me dicte lentement et posément une suite de chiffres et de lettres.
— OK. Vous avez fait les bonnes commandes.
— Mais la borne n’a pas rendu la carte, lui dis-je.
— Ah, bon ? Alors c’est une autre panne… Il va falloir intervenir sur le petit clavier de saisie du code de la carte.
Il me dicte 4 chiffres… Silence.
— Non, ça ne marche pas.
— C’est bien ce clavier qui est en panne. On va tenter une dernière fois avec le code de votre carte… Un instant… Voilà, vous pouvez y aller…
Je frappe mon code.
— Ah, vous allez trop vite, monsieur. Et puis il faut appuyer bien fort sur les touches. Nouvel essai.
— Encore une fois, monsieur. Appuyez lentement et bien fort sur les touches… Voilà, c’est bon. Vous avez récupéré votre carte ?
— Non.
— Alors là, c’est bien ce clavier qui est en panne… Il va falloir demander l’intervention d’un technicien… Juste une dernière vérification… Le premier chiffre de votre code est bien dans les 1-4-7 ?
— Quoi ?
— Oui, sur le clavier, la colonne de gauche, celle des 1-4-7, votre code commence bien par un chiffre de cette colonne ?
— Ah, oui. En effet.
— Bon, alors je vous confirme, il va falloir l’intervention d’un technicien. Il va vous rappeler dans quelques minutes pour prendre rendez-vous.
— Mais alors, ma carte ?
— C’est le technicien qui vous la rendra. Voilà, il vous rappellera rapidement. Au revoir monsieur ».
Clic. Fin de conversation. Elle aura duré plus d’une demi-heure.
Bon… Alors… Je réfléchis. Quoi faire ? Faire opposition ? Mais alors il va falloir que je renouvelle ma carte. Ça peut durer plus d’une semaine. Elle ne va pas sortir de la machine maintenant. Je vais attendre que le technicien me rappelle, il va pouvoir me conseiller.
J’en suis là, arrêté sur le bord du trottoir quand une dame m’interpelle.
— Pardon Monsieur, vous avez eu un problème avec la borne ?
— Oui, elle ne m’a pas rendu ma carte ».
La dame est bien aimable. La soixantaine, dans une robe d’été légère, à motifs bleu et blanc, un sac à provisions au bout du bras. Bien propre et digne.
— À votre place, monsieur, je ferais opposition. Il y a déjà eu des arnaques dans le quartier avec ces bornes. Ce n’est pas la première fois… Ils doivent être dans le coup avec ceux qui s’occupent des bornes… À votre place, répète-t-elle, je ferais opposition.
Évidemment, c’est la prudence même. Au moins je serais sûr de ne pas risquer que de voir ma carte soit récupérée et utilisée de manière frauduleuse. Dans mon téléphone, il y a le n° de ma banque. Appel. Reconnaissance. Opposition. Me voilà soulagé. Je n’ai plus qu’à attendre l’appel du technicien. Et justement, mon téléphone sonne, c’est lui. Voix jeune, assurée. Rendez-vous pour lundi matin 9 heures à la borne. J’essaie de négocier… « Un peu plus tard ? » – « Non, lundi matin 9 heures, Monsieur. » Bon. Je n’ai pas le choix.
Je vais retrouver ma voiture. Sur le chemin, je pense que je suis à côté de ma banque et que ce serait bien d’aller vérifier que l’opposition que je viens de faire est enregistrée. En plus, ils pourront me conseiller. Faut-il aller porter plainte à la police ? Je pourrais aussi commander tout de suite une nouvelle carte, et aussi retirer du liquide pour faire mes courses tranquillement pendant quelques jours.
L’action qui suit la décision est toujours un remède au stress. Me voilà plus léger.
Arrivé à la banque, j’expose mon cas à la personne de l’accueil. Très vite une autre jeune femme apparaît, écoute et semble au courant. En fait, c’est ma conseillère que j’ai eue au bout du fil il y a quelques instants et qui a enregistré ma demande d’opposition. Elle me demande quelques précisions et, sur ma demande, me dit qu’il ne semble pas nécessaire d’aller faire une déclaration à la police. Pendant ce temps, la jeune femme de l’accueil qui consulte mon compte sur son écran me demande : Vous avez bien fait un retrait de 700€ ce matin ?
— Ben… Non.
— Dans ce cas, dit-elle en changeant de ton, il va falloir faire un dépôt de plainte à la police. ous avons besoin de votre déclaration enregistrée à la police sinon nous ne pourrons pas vous rembourser.
— Ah ! Me voilà bien ! Je me suis fait arnaquer. En beauté. Et pour avoir une nouvelle carte ?
— Pas de problème, j’ai déjà lancé la procédure de renouvellement. Ça va prendre quelques jours.
Je sors pensif, profondément remué, pris entre un sentiment de frustration (comment ai-je pu me faire avoir ainsi ?) et une soif de vengeance. Je commence à imaginer les pires solutions pour châtier ces filous qui, je dois le reconnaître, ont fait preuve d’une habileté redoutable. Je repasse dans ma tête toute l’histoire depuis le début pour tenter de comprendre comment ils sont arrivés à escamoter ma carte puis à me soutirer mon code puis, dans un laps de temps très court, à retirer 700€ à un distributeur proche ! Celui de la Société Générale aux Quatre-Chemins, sans doute.
J’ai essayé de comprendre ma mésaventure. Je tente une analyse de cette histoire finalement bien banale. Raconter me permet de mettre de l’ordre dans mes neurones. Je me dis aussi cela me sert de leçon et pourrait bien faire réfléchir d’autres.
Selon moi, la grille de lecture de ce qui m’est arrivé est celle du magicien. En l’occurrence, il s’agit bien de magiciens de la même veine que ceux qui se produisent dans les music-halls et font sortir des lapins de chapeaux ou découpent en morceaux des jeunes femmes en paillettes. La seule différence, c’est que vous acceptez de payer pour les voir se jouer de votre attention et de votre crédulité, alors que vous n’avez généralement que peu d’admiration pour ceux qui, utilisant les mêmes ressorts, vous délestent de vos sous à votre insu.
Donc, les magiciens de la deuxième espèce, dans le cas qui nous occupe, ont deux problèmes à régler : subtiliser une carte bancaire et se procurer le code qui va permettre de l’utiliser dans un distributeur de cash. Comme cela doit se faire aux dépens d’un pigeon, il faut trouver le bon profil à embringuer dans une histoire dont il deviendra inconsciemment l’acteur principal.
Première technique, l’hameçonnage puis, dès qu’il y a une touche claire, ferrer le poisson. Il vous suffira de relire le début de l’aventure pour comprendre ces techniques et leur mise en œuvre. Évidemment, ça ne marche pas à tous les coups, les pêcheurs le savent bien. Mais quand le poisson a bien mordu, la suite n’est plus qu’une question de toucher. C’est alors qu’intervient la partie délicate de la prise, car le pêcheur doit abuser le poisson, prendre le temps de « fatiguer l’animal », l’endormir progressivement, l’attirer petit à petit dans la nasse d’où il ne pourra plus sortir. En quelque sorte, faire croire au poisson qu’il reste maître de la situation, alors qu’il ne fait que s’enferrer dans une histoire dont il devient le héros. Chacune de ses initiatives ne fait que renforcer la solidité de la prise du pêcheur. Dans le cas présent, le Brésilien remplace la jeune femme pailletée. Tout le reste n’est que technique à la portée d’un manipulateur un peu habile. L’art du pêcheur, à la ligne ou au téléphone, est d’enjoliver la tromperie avec des fioritures qui détournent l’attention, et aussi peut-être pour la satisfaction perverse de son plaisir personnel. C’est ainsi que j’interprète une bonne partie du dialogue auquel j’ai participé avec bonne grâce, et peut-être même la complicité supposée de la vieille dame prévenante bien placée pour lire la manipulation des touches du clavier de la borne, livrant ainsi mon code avec une niaiserie impardonnable.
Enfin, la manipulation réside quand même dans la capacité du magicien à faire perdre tout esprit critique et toute lucidité à sa victime. Car, enfin, je sais bien que les bornes de stationnement ne peuvent pas avaler la carte bancaire. Ce ne sont point des distributeurs de billets. La carte reste bloquée en butée au fond de la fente prévue à cet effet et il est même parfois assez difficile de l’en extraire.
Par ailleurs, il est bien improbable que celles-ci, les bornes, soient raccordées à un central de contrôle, surveillées 24h/24, et permettant un contact avec un opérateur. Ce service serait signalé comme c’est le cas sur les bornes de paiement de parking. Certes, la confusion est possible et c’est bien là-dessus que mise le magicien. Enfin, et ce n’est pas faute d’avoir été prévenu, il ne faut pas sortir sa carte bancaire devant un inconnu et composer son code de manière trop visible. Pourtant, c’est bien cela que nous faisons tous les jours, moi le premier, en payant chez un commerçant. Il suffit donc que le magicien, par la magie du verbe, induise l’idée qu’il est un « commerçant » comme un autre… et même un peu plus.
Dernière remarque : je crois que j’ai été réellement hypnotisé. Pourquoi ? Voilà bien une question à laquelle je n’ai pas de réponse. Le naturel de la situation n’explique pas tout.
La suite est banale. Je suis allé au commissariat de Châtenay-Malabry le lundi suivant, fait ma une déclaration que j’ai portée à ma banque dans la foulée. Quelques jours plus tard, j’ai reçu ma nouvelle carte et deux jours après mon nouveau code (frais d’établissement 50€) ainsi que le remboursement des 700€. Je n’aurais pas tout perdu !
Et même rien du tout puisque trois jours plus tard, j’ai reçu une lettre de l’assureur de la carte m’informant du remboursement des 50€.
À bon lecteur, salut…
Moralité : être bon samaritain c’est bien mais avant de l’être proposer au malheureux d’appeler les autorités pour voir comment il réagit c’est mieux.
En général au mot « police » les malandrins fuient.