Amélie a vingt ans, elle est élève ingénieur à l’EPF. Ce n’est pas ce qui la distingue des 36% de filles que compte l’école. Mais quand on sait que la présence féminine dans les écoles d’ingénieur est en moyenne de 17%, il faut bien constater qu’elle ne partage un goût pour la technologie qu’avec une minorité. Voici un profil qui mérite pour cette seule raison d’être exposé.
D’autres aspects la rendent inattendue. En première, son professeur de latin la propose à un concours international qui se déroule en Italie dans la ville natale de Cicéron. En terminale, elle est proposée au concours général de philosophie. On aurait pu imaginer un penchant marqué pour la chose littéraire. L’inscription à ces deux épreuves suppose l’avis du professeur, ce qui signifie qu’elle a été « repérée » et jugée digne de participer à des compositions d’une difficulté certaine. Elle n’en parle pourtant pas en ces termes. Le latin fut une sorte d’expérience, la philosophie aussi. Des objets mis sur sa route par la grâce de l’Education nationale. Cela aurait pu être autre chose, c’est tombé là-dessus. De sa capacité à écrire, à traduire, elle ne retient que les opportunités qui lui ont été offertes. « Je suis curieuse, j’aime découvrir » C’est dit ingénument. « Ces épreuves m’ont permis de connaître quelque chose de nouveau. » Elle n’avait pas de stratégie particulière ni d’ambition marquée pour ces disciplines. « Cela ne venait pas de moi. »
« Mon but, depuis de la seconde, c’est de faire des sciences. » En suivant les cours de l’EPF, elle ne s’est donc pas trompé d’adresse. Mais c’est alors que l’itinéraire d’Amélie prend un tour remarquable. Il se trouve qu’elle n’est pas matheuse (c’est elle qui le dit) et ses professeurs l’alertent des difficultés qu’elle rencontrerait à s’inscrire en S. L’intéressant est qu’ils n’ont pas réussi à la dissuader. D’autres, on le devine, auraient capitulé sans condition devant d’aussi sombres augures. Non, l’avertissement déclenche chez elle la volonté farouche de relever le défi. Elle travaillera et persévère dans son choix de S.
Ses qualités dans les disciplines littéraires, elle les considère comme des « facilités ». Le qualificatif de « facilités » associé à la version latine ou à la dissertation philosophique a quelque chose de baroque dans notre temps où jeux vidéo et réseaux sociaux dominent parmi les jeunes gens. Une jolie désuétude, un parfum ancien. Elle voit dans cette aisance un atout, au sens scolaire, qui cependant ne doit pas la détourner de l’objectif qu’elle se fixe déjà : devenir ingénieur. Cet objectif a lui aussi quelque chose de décalé par rapport au grand nombre.
Elle se souvient : en terminale, le jeu des options travaille comme un filtre profond, les ambitions des filles se séparent de celles des garçons. Tous sont dans une filière scientifique, la classe est profondément mixte avec une répartition en deux moitiés égales. Et pourtant, elles ne sont que deux filles à choisir maths et informatique. Elle utilise le mot « gouffre ». Comme si les filles étaient aspirées dans un tourbillon de destins fixés à l’avance.
Elle n’a pas plus d’explication sur le phénomène que vous et moi. Les filles de sa terminale vont très majoritairement vers la biologie ; un magnétisme inverse semble les éloigner des sciences dites dures, bien que la dureté de ces sciences ne soit pas plus avérée que la tendreté des sciences qui ne le sont pas. Amélie ne souffre pas vraiment de son orientation et elle n’est, heureusement, pas la seule. Le nombre de femmes dans les filières technologiques, même à le considérer insuffisant, est croissant.
On s’est bien essayés à des explications, genre influence sociétale. L’éducation. Le manque de figures féminines fortes dans les sciences. Pas convaincus. Ni elle ni moi. Les choix d’orientation professionnelle des filles restent assez mystérieux.
La mécanique Parcours Sup l’envoie dans une classe préparatoire à une école de Chimie. Elle perd la vision polytechnique, celle qu’elle souhaite. Elle se spécialiserait déjà. Et dans une voie qui n’est pas ce qu’elle imagine. Elle sait très vite qu’elle ne continuera pas, mais elle ira au bout de la première année et la réussit. C’est une condition d’inscription en 2e année à l’EPF qu’elle a choisie pour la suite. Amélie est obstinée. Elle sait ce qu’elle veut et l’exprime avec une détermination persuasive.
La voilà qui arrive à Sceaux. « Une jolie ville », dit-elle quand je lui demande comment elle la voit. Très verte, très vélo. Elle trouve efficace la signalisation sur les chaussées et surtout sur la Coulée verte. Pas de grand centre commercial. Elle préfère. Calme. Trop ? Elle a jusqu’encore quelques années pour découvrir tout à fait la ville. Même le départ de l’école pour Cachan en 2022 ne devrait pas la contraindre à déménager. C’est dix minutes en RER.
Elle rejoint l’EPF en pleine pandémie. Un premier trimestre se passe avec trois semaines de cours en présence et un TP par semaine. Le second trimestre est en « comodal », néologisme exprimant un rapport plus égal entre présence et distance. Les contacts n’ont pas été inexistants, mais en situation normale ils auraient été deux fois plus nombreux. On comprend qu’elle en aurait bénéficié. Son caractère n’est pas au repli solitaire ; l’entretien est de ce côté sans équivoque.
Elle se lie à l’association EPF Eloquence que des étudiants ont créée il y a quelques années. Si l’école a intégré cette année dans le cursus quelques heures consacrées à la communication, l’association a quant à elle lancé des pratiques, épaulée en cela par la Fédération française de débat et d’éloquence.
Elle participe au concours de « pitch » que l’école organise et elle se place 2e. Le thème qu’elle choisit est « L’homme est-il un investissement pour l’homme ? », thème qu’elle a trois minutes pour développer. Le but ? Faire passer une idée. Pourquoi 3 minutes ? C’est le temps d’un parcours fictif en ascenseur avec le « manager » à convaincre de l’intérêt de l’idée en question. Les qualités requises ? « Trouver les mots pour être pertinent, impactant, éloquent ».
D’éloquence, elle en est pourvue, non pas au sens du concours (dans un esprit de compétition) mais de la simple clarté du propos. Elle exprime avec concision son parcours et ses défis ; elle résume avec franchise ses impressions et ses aspirations. Le jour où les humanités retrouveront toute leur place dans les écoles d’ingénieurs, nul doute qu’elle tirera parti de ses « facilités ».
Sur Twitter, le compte 366 femmes de sciences ( https://twitter.com/366portraits?lang=fr ) a publié chaque jour de 2020 le portait d’une femme de sciences (dans le monde entier)
il ne s’est pas arrêté en 2021 et en a donc déjà publié plus de 500 à ce jour
Ses sources ici : https://aninfinityofhypotheses.wordpress.com/2021/01/03/366womeninstem-2/
Voici un joli portrait. Au delà de ses évidentes qualités, Amélie ne doit pas manquer de charme. La Gazette nous fait décidément partager de bien joli moments. Merci.
J’ai croisé la route d’une autre jeune fille Juliette qui faisait une école d’ingénieur aéronautique et qui cherchait un stage, ayant discuté avec la demoiselle pour connaitre ses aspirations, elle m’ a appris qu’en fait elle voulait conduire des projets dans une ONG .
Décidément les Sciences restent la voie royale de la formation supérieure, ce qui n’empêchent pas certains et certaines de ressortir du moule dans lequel les Ecoles tentént de les modeler selon leur critères et accessoirement ce qui peut poser des questions sur l’enseignement des Sciences molles….