On a vu lors de précédents entretiens avec Nathaniel Dahan comment la gestion de la santé publique s’est adaptée à mesure que la connaissance de la Covid s’approfondissait. Le planning de vaccination de la DGS et le ciblage de la population qui le sous-tend se révèlent pertinents. La France n’a rien à envier à l’Espagne, le Portugal ou l’Italie souvent cités en exemple. Les directives changent, les conditions de conservation du vaccin aussi, les tests anti-covid* (PCR ou antigénique) s’imposent au quotidien, les pharmacies se modifient. De nouvelles têtes se présentent… pour d’autres raisons que les raisons habituelles.
Octobre 2021
De longues files se forment devant les labos. Les vaccinations en pharmacie se généralisent, car les règles de conservation des vaccins sont devenues plus souples. « On obtient des flacons de 6 doses avec 5 heures de validité. Le Pfizer, une fois reconstitué, a 6 heures de validité. Pour le Moderna, des études ont montré que le flacon ouvert, on avait 12 heures pour l’utiliser. Pour les pharmaciens, cela changeait tout. On ne gère plus le temps de la même manière. Avec le Moderna, on n’avait pas besoin de fixer des rendez-vous. Maintenant, les gens pouvaient venir quand ils voulaient. »
« Dans ma pharmacie, on passe de 200/250 clients jour à 400. Avec un très gros changement de rythme. Le client de test et le client lambda ne comportent pas de la même façon. Le premier n’attend pas une aide du pharmacien, il attend un QR code, il est pressé. C’est juste pour prendre l’avion ou le train. »
Cette capacité accrue s’avère importante à un moment où la crainte de ne pas avoir de « pass vaccinal » se répand. L’obligation d’un rendez-vous était un frein. D’autant que des compagnies aériennes (pour ne citer qu’elles) imposent 24h de validité des tests, plus tard cette durée de 24h sera imposée par les autorités sanitaires. Incidemment Nathaniel Dahan précise que « la réduction de la validité de tests à 24h est intéressante du point de vue médical, mais elle visait surtout à pousser à la vaccination. »
Et pendant 3 semaines, on a eu du Moderna, on vaccinait à tout va. Récemment, pendant la période de la 3e dose, le questionnaire qu’on faisait remplir avec les tests montrait souvent que la demande était de confort. On en a profité pour proposer la vaccination, et ça marchait très souvent.
Gérer la pénurie de compétences
Avec le gros surcroît de travail, les officines sont confrontées à des pénuries de personnel. Les remplacements deviennent impossibles à assurer. A cela, s’est ajouté des refus de vaccination de certains personnels qu’il faut alors soustraire du contact client (cela n’a pas été le cas dans ma pharmacie). « Les professionnels de santé qui refusaient d’être vaccinés ont été assez protégés en France. D’autres pays ont été très expéditifs et ont renvoyé les réfractaires sans délai. »
Une autre raison de la pénurie est liée aux centres de vaccination. A leur ouverture, ils recrutent les personnels qui vaccinent dans le système libéral (médecin, infirmière, pharmacien… ). Les prestations sont bien payées, de sorte que les pharmacies se sont retrouvées presque du jour au lendemain encore un peu plus démunies de personnels.
« Des confrères vont en centre de vaccination. A 300 euros la matinée, c’est plutôt rentable. Personne ne touche ça en officine. Des médecins généralistes ont aussi rejoint les centres. Il faut dire que vacciner en cabinet, c’était compliqué. Ça prend un quart d’heure et c’est du boulot administratif. Des médecins ont donc trouvé leur avantage en centre de vaccination où vous aviez trois personnes pour une vaccination, l’accueil, l’infirmière, le médecin. En cabinet, une seule personne. La rémunération faite pour les personnels des centres de santé a été exagérée par rapport à ce qu’elle aurait été par un professionnel seul. Mais si on n’avait pas procédé comme ça, il n’y aurait eu personne pour faire fonctionner les centres de vaccination. »
Cela dit, la situation a changé. « Cette rétribution vient de diminuer (environ 150-200€, selon le type de professionnel de santé : médecin, infirmier, pharmacien). Et à l’heure actuelle, très peu de centres de vaccinations sont encore en activité. Ils n’ouvrent plus qu’un jour ou deux par semaine. La demande et le besoin de vaccinations ont fortement diminués. Maintenant, l’offre par la pharmacie devrait suffire aux besoins de vaccinations. »
Une demande explosive de tests
Mais revenons à l’année dernière. De juin 2021 à décembre, janvier, deux périodes se superposent : une période de vaccination en pharmacie. Elle accueillera entre 30 et 40% des vaccinations en France. Donc apport très important. Pour éviter que l’été ne soit un moment de forte contamination, Emmanuel Macron fait une déclaration le 12 juillet, dans laquelle il confirme l’obligation vaccinale pour les soignants et les aidants, il annonce l’extension du « pass sanitaire » aux bars, restaurants et trains dès le mois d’août et la fin de la gratuité des tests anti-covid à l’automne.
Le président veut inciter à la vaccination. Mais le moment des vacances, avec les voyages, provoque un afflux de demandes de tests. Mais on n’est pas encore au sommet. À partir de la mi-novembre, avec l’apparition du variant Omicron et son fort taux de diffusion, c’est littéralement une explosion. On voit fleurir les barnums dans les rues. Ça testait partout.
Les pharmaciens ont géré la situation de façon différenciée. Il y a ceux qui n’ont pas modifié les dispositions qu’ils avaient déjà eu du mal à mettre en place ; il y a ceux qui ont trouvé que les 36 euros par test (pour un coût de 10) étaient « un bon plan ». Ce leur fut en tout cas une bouffée d’oxygène sur le plan financier. En décembre ou janvier, la part des tests dans le chiffre d’affaires était souvent autour de 50%.
Là encore, la situation a changé. Le prix des tests antigéniques vient juste de baisser sévèrement à 16,50 euros avec, en prime, une rétribution des pharmaciens inférieures à celle des autres professionnels de santé. D’après le Journal international de Médecine, ça rue dans les brancards. « Si certains pharmaciens n’offrent plus ce service, en qui nous concerne, à la pharmacie, nous continuons à les pratiquer. »
Technologies sous tension
Pendant toute la période, les tâches administratives auront pris une part de plus en plus importante. Le pharmacien est censé tout connaître sur la sécu, les mutuelles. « On est devenus des annexes administratives, des hubs. Combien de fois, on a été confronté à des patients qui ne savaient pas comment s’y prendre. » Combien de fois aussi les dossiers étaient fragmentaires et il fallait tenter de les compléter.
Dans les centres éphémères, le travail administratif n’a pas toujours été bien assuré. De sorte qu’il y a eu des vaccinés qui n’étaient pas déclarés, ou mal enregistrés dans la base de données, avec des difficultés à se faire reconnaître. En particulier, c’était le cas de vaccinés l’étranger. Je me souviens aussi des « pass portugais » renseignés sur des papiers remplis à la main (ce qui ne les a pas empêchés de bien protéger leurs personnes âgées).
La génération du fameux QR code attestant des tests été techniquement difficile à mettre en place. Le serveur plantait souvent. Il y eut par ailleurs des problèmes de connexions saturées, l’ergonomie douteuse du SIDEP plateforme qui recueille tous les résultats de tests.
Il y eut en revanche de belles réussites : le serveur des vaccinations Vaccin Covid n’a jamais planté malgré la multitude de connexions par jour. D’une façon générale, l’informatique de la sécu a remarquablement fonctionné. Avec les serveurs du ministère des Finances dit-il en plaisantant, on a de très belles performances informatiques en France. »
La vitrine
Nathaniel Dahan fait valoir ses droits à la retraite pour le 1er janvier 2021. Il souhaite conserver une part d’activité pour ne pas se couper de but en blanc de son milieu professionnel. D’autant qu’il a alors le sentiment de vivre une période exceptionnelle. On n’était pas dans le train-train. Les collègues étaient saturés de travail, il y avait des besoins partout. Il veut rejoindre un centre de vaccination.
Quand germe l’idée d’un centre à Sceaux, il envoie une candidature à Philippe Laurent. Il n’aura en retour qu’une réponse banale du genre : « j’ai bien pris en en compte votre demande. » Point barre. Quand il apprend que le centre s’installe finalement à Antony, il candidate à nouveau. Pas de réponse. En février mars de 2021, je reçois un courrier de la mairie de Sceaux m’invitant à me faire vacciner…. 😉
Finalement il rejoint sa pharmacie. C’est plus loin, il aurait préféré travailler à proximité de son domicile. Mais ça ne s’est pas fait. Et puis, « à la pharmacie… ils ont besoin de moi. »
La période est compliquée, mais unique : beaucoup de précipitation, mais de l’ardeur aussi. On a l’impression que l’inquiétude sociale, l’incertitude quant aux transformations de la pandémie, l’évolution des réglementations, tout cela a été un stress, mais aussi un stimulant pour les quelque 20.000 pharmacies de France, un stimulant pour encaisser la pression, pour s’adapter dans l’urgence. « Si la pharmacie est un commerce, vous n’avez pas idée à quel point il est particulier, dit-il. »
D’ordinaire, on franchit la porte quand on a mal. On s’est mis à la franchir par obligation, parfois en colère contre les décisions gouvernementales, parfois sans trop savoir où on en est, le tout dans un espace ouvert rempli de mille produits qu’il faut continuer à vendre. Une distinction que Nathaniel Dahan fait avec la médecine de ville qui exerce dans un endroit fermé, est qu’« en pharmacie, on est en vitrine. » L’expression est belle. Être en vitrine, en effet, vitrine sociale sans doute, pendant deux ans d’inquiétude collective à laquelle la profession a su faire face. .