On est aux Félibres, il prend un diabolo grenadine et moi un express. De quoi délier les langues. C’est plus sûr que les détecteurs de mensonges de la CIA (version Jason Bourne). D’ailleurs, aucun secret ne résiste à un tel traitement. D’emblée, il lance du lourd : entre la danse et le textile, il n’y a qu’un pas, disons un entrechat. Explication.
Adel Haddad va sur ses 21 ans et se voit entrepreneur. Tout en poursuivant ses études, il s’est déjà lancé dans l’aventure. Il a choisi les fringues. Côté CV : Ecole maternelle puis primaire du Clos Saint-Marcel, IUT Sceaux. En ce moment, ne le cherchez pas, il est à Bruges. Il fait tout de même quelques sauts par ici pour retrouver les amis et embrasser sa famille.
Musique, danse et mode
Il a commencé la danse enfant, à l’âge de sept ans. Il suit 4 années les cours de la MJC et les 3 années suivantes ceux de la Maison de la Musique et de la danse du Plessis-Robinson. Ensuite, il passe au Lax Studio, à Belleville (Paris, France). Le niveau, à étape, a augmenté. « J’aime tout le moderne, la samba le hip-hop, tout… » Pour fixer les idées, c’est une activité hebdomadaire et même parfois quotidienne, et non pas de ces frénésies réservées aux mariages et aux anniversaires. D’autant que pour le hip-hop qui semble le brancher plus, il faut de la place. On aurait vite fait d’accrocher le pied d’une grand-mère paisiblement attablée à côté de la mariée.
Au lycée Marie-Curie, deux comparses et lui avaient créé H3RA, un groupe assez rap chauffé à la Caisse claire. La MJC est leur QG. Ils font mieux que des maquettes, des morceaux, des clips, des EP (Extended Play, en deux mots, plus qu’un single, moins qu’un album) se produisent au Trianon. Jetez un coup d’oreille par ici.
Voilà pour le fond de sauce. Pour le principal, sa création d’une autoentreprise qui commercialise des T-shirts et de sweats, il faut faire le liant. Son goût pour la mode est câblé quelque part (on supposera que c’est dans son cortex orbitofrontal). « Depuis toujours, j’aime observer les gens. Leur façon de marcher. Les allures. » Or, quand il se met aux shootings (entendez : à photographier ses produits), donc à solliciter des amis pour les porter, il leur demande de bouger, de bien bouger, plus coco, plus ! Et bouger, pour lui, c’est danser.
C’est ainsi que ses amis du Lax Studio vont se prêter au jeu, autrement dit, ils acceptent de la jouer mannequins.
Au commencement, le logo
« Rien ne me prédestinait à me lancer. J’avais envie, c’est tout. J’avais envie de créer quelque chose de commercial, d’imaginer des produits. Le T-shirt et le sweat ont été pour moi le plus simple, le plus direct. Je n’avais pas d’argent ni les partenaires pour investir des sommes importantes. Je ne voulais pas perdre d’argent. » Sain principe.
Adel Haddad s’inspire alors de son réseau de proches. De quoi ont-ils besoin ? Plus pragmatique, on meurt. Il s’inspire aussi de sa solidarité pour le durable, le labellisé bio. Il mélange les deux (au shaker et non à la cuiller, comme James) et l’olive qui parachève le cocktail, c’est sa propre capacité créatrice. Il dessine lui-même les vêtements. A l’ancienne, donc à la main.
Evidemment, une question se pose. Pourquoi diable se lancer dans un marché aussi saturé que celui des T-shirts et des sweats ? Deux raisons, semble-t-il. La première est que, s’il y a du monde sur le créneau, c’est qu’il y a des besoins. La seconde est la marque. On existe par la marque.
Dès le début, il pense logo. Il a imaginé des cœurs croisés, non en pensant à Playtex qu’il n’a aucune raison de connaître et encore moins de transcrire, mais à cause de la tendresse, de la simplicité, de la vitalité. Le cœur est un universel, « chacun peut se l’approprier. » Cette ingénuité rappellera aux fans des vinyles sixties bien labourés Rock my soul de « Peter Paul & Mary ».
Il va vite. L’idée de SOUL remonte à mai 2020 et sa création à juin qui suit. On ne peut pas dire qu’il ait chômé. Pour faire faire un bon T-shirt, faut chercher. Chercher quoi ? Un bon fournisseur, compétent et qui livre à temps ; un bon grammage, il faut que ce soit épais, que ça tienne (et il n’hésite pas) ; une bonne coupe. Il a fallu définir tout ça. Il est fier de sa matière, de ses cotons bios, de leur masse au toucher, du label international GOTS « Global Organic Textile Standards ».
Il n’est pas que rêveur. Sa formation à l’IUT de Sceaux lui apporte du contenu opérationnel : communication, gestion de projet, management, fonctionnement d’entreprise. Avec sa troisième année à l’université Vives de Bruges, il se frotte à l’international. Cours en anglais, population cosmopolite. Et creuse encore un peu plus le business management et le droit européen. C’est important quand on a des clients dans quatre pays européens (Belgique, Pays Bas, Allemagne, Suisse) et qu’on aspire clairement à angliciser la marque.
Le site Soulco.fr
SOUL vend sur Internet et le site est très sympa. Très complet, très parlant. Adel Haddad gère tout de la commande à la livraison. Il n’est pas seul. Cette mise place doit beaucoup à une équipe. Tous sont étudiants. Ses amis de la danse pour les photos (modèle féminin et modèle masculin), un photographe, un designer du site et de la communication sur les réseaux sociaux, un coach (il lui faut bien confronter ses idées, ses intentions).
Quant à lui, il est multidirectionnel, il gère le site, fait des shootings, mais aussi de la compta, des achats, de l’emballage, de l’expédition ; la relation avec les fournisseurs, la discussion de partenariats avec de gros influenceurs. Il ne recule devant rien.
Ajoutez à cela qu’il poursuit ses études qui impliquent des devoirs chaque semaine, qu’il a un mémoire universitaire à produire. Entre tous ces moments de concentration mentale, il danse. Il écoute de la musique.
Fin juin, il quittera Bruges. Sa double vie d’étudiant et d’entrepreneur n’est pas finie. Il veut suivre un master, tourné en quoi ? …vous avez deviné… en entrepreneuriat.
En attendant, ses fringues, en plus d’être en ligne, seront dans la boutique éphémère que ses amis de alamodedechezvous vont tenir à l’ancienne mairie de Sceaux samedi et dimanche qui viennent, les 12 et 13 mars. Mêmes valeurs : une génération, un style, du rythme, une conscience des lendemains qui déchantent et l’envie de vivre, de travailler autrement et d’être utile. La ville aussi l’a associé. « C’est un soutien, dont je la remercie, à la fois comme jeune entreprise et dans mon positionnement pour la mode durable. »
Nous nous séparons, chacun a faim. Des spaghettis à la bolognaise attendent Adel Haddad, tandis que je m’achemine vers un thon en papillote accompagné de pommes de terre vapeur. En chemin, une question surgit :
— Que voulez-vous apporter au marché ?
— Une approche alternative de la mode. Un esprit « Feel good ». SOUL est conçu par des jeunes pour des jeunes. S’il faut le dire en un mot, je dirai : authenticité.
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