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Patrick Boren, Roland Garros et la saisie de l’instant

Qui est Patrick Boren ? Aujourd’hui, aucun doute, un photographe. Qu’a-t-il été ? Informaticien et prof de tennis. Est-il une synthèse vivante « du cerveau et du muscle » ? peut-être, mais il résulte surtout de la rencontre fortuite entre le cobol et le sport.

Saisir le mouvement, l’effort, l’émotion.

La photo de sport demande anticipation, technique, connaissance du sujet et réactivité. Elle vise à rendre visibles l’intensité, la beauté et l’émotion du mouvement sportif, souvent en une fraction de seconde. Les mouvements sont rapides, ils peuvent se dérouler de jour comme de nuit, il faut donc une grande adaptabilité technique, et des réglages rapides (vitesse d’obturation élevée, autofocus performant).

Pour saisir le vif d’un mouvement, il faut d’abord connaître son sujet. Même si son appareil déclenche « jusqu’à 30 images par seconde », la quantité ne remplace pas la qualité du regard. Il ne suffit pas de « filmer » pour avoir la bonne photo. Il faut savoir quand déclencher, et d’ailleurs « les professionnels en général déclenchent en même temps ».

Il faut savoir bouger, surtout pour des vues d’ensemble, la nuit en particulier. Du banc, on est à ras du sol. Il faut chercher l’angle, ajuster ses objectifs. Si l’ambiance dans le public est souvent joyeuse ou survoltée, sur le banc elle est concentrée. La compétition entre photographes est rude. Ils sont environ 130 ! Et « on n’est pas censé regarder le match, mais réellement travailler.. »

La rencontre fortuite du cobol et du tennis

Comment en est-il arrivé là ? Les études n’étaient pas son fort. Plus exactement, elles étaient son ennui. Au désespoir de son père, il s’y met à trois fois pour avoir le bac… et pour ne pas en faire grand-chose. En fait, rien du tout. Pendant sa souffrance sur les bancs des écoles publiques puis privées quand il est viré du public, pendant ce temps donc, il joue au tennis, y prend goût au point d’y mettre toute sa volonté, tous ses espoirs professionnels : devenir prof.

Enfant, inscrit au Femina Sport de la porte d’Orléans, il passe trois ans à apprendre les rudiments. Il se souvient de jouer alors avec Jean-Marie Queffelec, plus connu sous le prénom de Yann. Il a seize ans quand il poursuit au Tennis club de Sceaux où il reste de nombreuses années. Il évolue rapidement en haut de 3e série qui désigne un niveau intermédiaire mais avancé, solide, compétitif, avec des résultats réguliers. C’est le niveau de nombreux enseignants, joueurs de club expérimentés.

Il veut bosser. Un ami lui apprend que l’informatique a besoin de bras. On est au milieu des années 1970. Il n’y connaît rien, bien sûr, mais il entend parler d’une formation chez CII Honeywell Bull. Elle est payante et trop chère pour sa famille. Tant pis. Mais le hasard est une fée imprévisible. La responsable de la formation, pour une raison que la science élucidera peut-être un jour, lui offre cette formation. Elle dure un mois et demi, il apprend le cobol. S’il ne brille pas dans la matière, il y survit. Il trouve des places, dans lesquelles il ne dure pas faute d’un appétit vrai pour la programmation.

Jusqu’au jour où, après maintes sociétés de services informatiques, il tombe sur le GRISS, le groupement des institutions sociales du spectacle. Le monde des sunlights lui ouvre-t-il les yeux ? Toujours est-il qu’il y restera quinze ans à programmer toutes les nuances de collectes et de prestations. Et pendant le weekend, il donne des cours de tennis à Sceaux et à Châtillon.

Double carrière. Il se marie, a des enfants…. Et réserve une partie de son amour à la photographie. Il a un Canon. Il s’en sert à qui mieux mieux, au fond c’est un manuel. Mais pas que, puisqu’il gagne un concours photo de Kodak et un peu plus tard un concours photo de Tennis magazine.

Le renouveau dans le licenciement

De sorte que quand la tuile lui tombe dessus, il n’est isolé ni affectivement ni dans ses pratiques. La tuile, c’est le licenciement du GRISS qui ferme ses portes et dont les activités sont externalisées vers le groupe Magdebourg. On apprend au cours de la conversation que Jean Marais et Paul Préboist (dont les noms parleront aux plus anciens des lecteurs) étaient à la direction administrative. Sa méfiance vis-à-vis de l’informatique interne a beaucoup dû à une intervention de consultants d’Arthur Andersen. Souvenirs acides.

L’an 2000 approche. Le fameux bug informatique hante le monde entier. Les lignes de cobol se comptent en millions (si ce n’est pas plus). Il faut y débusquer les années codées sur les deux derniers chiffres (qui passeraient à double zéro avec le millénaire). Avec la mobilisation générale, il devient commercial chez un prestataire de cobol en tout genre. Évidemment en janvier 2000, quand les frayeurs sont passées, le business s’écroule. Licenciement à nouveau. « J’ai déprimé pendant six mois. » Que faire ? Ses neurones sont intacts. Il pense à un projet sport et enfant (devinez quel sport), en parle à la ville de Fontenay-aux-Roses où il habite qui trouve l’idée « novatrice ». Un effet immédiat, il rencontre du monde. Il connaissait déjà des présidents de club, il en rencontre d’autres. Il dispose d’un atout. Il sait photographier le mouvement. Des enfants qui bougent, c’est mieux que des enfants qui essaient de sourire, figés, en attendant que le petit oiseau sorte de l’appareil.

Ici intervient à nouveau le hasard. On dit qu’il faut le provoquer, en tout cas, il le cherche. Il traine ses guêtres au stade Jean-Bouin, à Paris, dans le XVIe. Sur ses courts de tennis jouent des jeunes dont il tire des portraits sans équivalent. Celui-là, du haut de ses dix ans, se lance sur la balle comme un artiste, celle-là à peine plus âgée, de même. Photos impeccables. Or, c’est l’époque où, se souvient-il, le stade est dans le viseur d’Arnaud Lagardère qui cherche à l’acquérir.

L’homme d’affaires fréquente le lieu avec ses enfants. Patrick Boren les photographie, ils sont dans l’action. Les photos plaisent au père qui l’associe à sa « team ». Cela ne durera pas. Lagardère a des projets énormes autour du stade et il s’adressera ensuite à une grande agence. Mais pendant quelque deux ans, Patrick Boren bénéficie de l’image de la « team Lagardère », d’autant qu’il photographie des sportifs connus et de toutes disciplines.

Les portes s’ouvrent, pas celles des châteaux, mais de la Fédération française de tennis, de directeurs de tournois. On le sollicite lors de compétitions, lors de remises de trophée ou lors d’événements d’entreprises. Et c’est ainsi qu’il connaîtra « le banc » de Roland Garros.

Lakanal ….

Roland Garros ou l’Arena, c’est bien pour l’ambiance, pour les stars, mais ça n’arrive pas souvent. Pas de quoi nourrir son homme. D’autant que la photo de presse, ça eût payé, mais ça ne paie plus. Patrick Boren montre une grille tarifaire qui laisse pantois. Les prix vont de quelques centimes à quelques centaines d’euros pour la presse papier (encore faut-il que la photo soit exceptionnelle). L’essentiel est du côté des centimes.

Donc, si on n’est pas grand reporter sur les champs de bataille ou spécialiste des défilés de mode, il faut trouver du business ailleurs. Il faut garder le moral, ouvrir de bonnes pistes. « Je n’ai jamais été seul. Ma femme m’a toujours soutenu. Sans elle, d’ailleurs, j’aurais abandonné. Elle a du jugement et a compris bien en avance que la photo de presse n’aurait pas été le bon choix. » Il lui fallait gagner sa vie. Et il y parvient en ajoutant à son activité photo de classe, d’événements de toutes sortes pour des entreprises ou des municipalités, celle de Sceaux en particulier qui est pour lui une ville de référence. Il y habite ou pas bien loin depuis 30 ans.

Une des raisons aussi est que le lycée Lakanal a chez lui une valeur symbolique sans équivalent, « bien plus forte que Roland Garros ». Quand il y met les pieds, son émotion est décuple de celle des hourras ! après un échange serré. C’est que l’établissement a une charge, une résonance profonde. C’est là que sa mère aurait tant voulu qu’il suive ses études. « Elle en parlait tout le temps. » Une maladie foudroyante l’a emportée à l’âge de 36 ans. Il en avait 13.


Quelques photos

  • Jannik Sinner. Crédit photo (c) Patrick Roben

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