1925 : Marie-Louise Paris fonde l’école polytechnique féminine, où les filles pourront prendre toute leur place. L’objectif est toujours le même cent ans plus tard, quand l’école, devenue mixte en 1994, vise la parité des effectifs.
Engagement pour l’égalité F/H
A l’occasion de ses 100 ans, l’EPF Engineering School a lancé un certain nombre d’actions en faveur de l’ingénierie. La Gazette a déjà évoqué les actions directement liées au centenaire.
Des actions concernent les élèves ou anciennes élèves : déploiement d’une fresque de l’équité pour tous les élèves de première année, mise en place d’un congé menstruel, incubateur paritaire (pour promouvoir l’entrepreneuriat au féminin), bourse Marie-Louise Paris (pour soutenir les jeunes filles talentueuses dans les parcours d’ingénierie).
Des actions concernent les lycéennes pour leur donner envie d’une formation scientifique et leur montrer qu’elles peuvent le faire. L’EPF Engineering School participe à l’opération Girls can code, avec, chaque année, un programme d’un week-end d’initiation à la programmation entièrement gratuit tous les ans sur ses quatre campus. En partenariat avec Vinci et Elles bougent, l’EPF Engineering School propose à 80 jeunes filles en classe de seconde un stage en immersion comprenant une semaine à l’EPF Engineering School et une semaine au sein du groupe Vinci.
Paritylab
Enfin, des actions ont été lancées cette année pour augmenter la proportion de filles au sein des promotions et la porter à 50%. L’école a augmenté de 50 le nombre de places par promotion. Ces places ne seront pas accessibles par le concours traditionnel (sous forme de QCM), mais par une voie spécifique réservée aux femmes, valorisant en particulier les compétences transversales, grâce à des tests adaptés. Au-delà de ce processus de sélection particulier, un programme de soutien (parcours ParityLab) est mis en place sur la durée du cursus (5ans).
Il vise à fournir aux futures ingénieures les clés pour comprendre l’environnement en entreprise, « déconstruire les stéréotypes de genre et décrypter les attentes des employeurs. » Le ParityLab ambitionne ainsi de doter les jeunes femmes des moyens pour atteindre leur plein potentiel professionnel et surmonter les obstacles spécifiques aux femmes.
L’EPF Engineering School ambitionne de faire de la recherche-action autour de cette opération, qui s’appuie au départ sur une analyse bibliographique et des entretiens avec des experts du sujet. L’objectif est d’identifier les leviers de la féminisation à partir d’une démarche scientifique.
Un combat centenaire
Marie-Louise Paris est diplômée ingénieure de l’École de mécanique et d’électricité de Paris en 1921. On en déduira qu’il était alors possible pour une fille de faire ce type d’études. De nombreuses écoles s’ouvrent aux filles pendant et après la Première Guerre mondiale : l’École Centrale de Paris en 1917, l’Institut national d’agronomie en 1919, l’École supérieure d’électricité en 1919, l’École supérieure d’aéronautique en 1924…). D’autre part, les écoles fondées à cette époque ont été toutes mixtes : l’École de chimie de Marseille (1917), l’École de chimie de Rouen (1918), l’École de chimie de Rennes (1919), l’École de chimie de Strasbourg (1919), l’Institut d’optique (1920) (source).
Elle fait partie des quatre jeunes filles diplômées de son école cette année. A côté de 600 garçons. Si Marie-Louise Paris a la vocation de l’enseignement, elle veut surtout éviter aux jeunes filles toute la difficulté qu’elle a ressentie lors de sa formation :
« Nous étions deux jeunes filles parmi douze cents garçons surpris de notre hardiesse, souvent goguenards, presque toujours condescendants. Pour nous maintenir au niveau des meilleurs, il fallait produire le même effort que les autres… et quelque chose de plus. Cette fatigue supplémentaire que nous imposait, par sa structure, l’ambiance de l’établissement constituait le handicap que nous avons dû remonter, parfois avec l’énergie du désespoir. Je ne sais si je me fais comprendre, mais imaginez le contraire : deux garçons perdus parmi douze cents jeunes filles, appelés à fournir un travail intellectuel intense dans une âpre, une impitoyable compétition . » (Source)
L’EPF est, jusqu’à l’introduction de la mixité en 1994, la seule école d’ingénieurs réservée aux filles. Véronique Raimbault, présidente des anciens élèves jusqu’une 2023 et diplômée en 1973 explique :
« L’avantage est qu’on n’était pas en concurrence avec les garçons. On pouvait exister en tant que telles. On a pu développer nos personnalités. »
Colette Kreder
Près de 70 ans plus tard, sous l’impulsion de Colette Kreder, l’EPF s’ouvre aux garçons. Celle qui a dirigé l’EPF de 1980 à 1994 milite pour la cause des femmes. Elle a été trésorière du Conseil national des femmes françaises (CNFF) et a fondé l’association Action pour la parité (en politique). Plus de détails sur sa page Wikipédia. Les archives de Colette Kreder sont conservées au Centre des archives du féminisme, à l’université d’Angers.
La mixité à l’EPF a fait l’objet d’une étude de Biljana Stevanovic et Nicole Mosconi, publiée début 2005 dans la Revue française de pédagogie. On y apprend que l’EPF a été très affectée par la crise économique du début des années 90 : diminution du nombre de candidates aux concours et difficultés de recrutement pour les élèves qui sortent de l’école. L’EPF dépend à 80% des frais de scolarité payés par les élèves. « Pour la direction de l’école, peut-on lire dans la revue, il n’était pas question de diminuer le niveau du concours d’entrée ni de diminuer le nombre des élèves. Ouvrir l’école aux garçons apparaissait alors comme la meilleure solution pour éviter la crise économique. »
La mixité vue 10 ans après
L’étude montre que la proportion de filles est passée très rapidement (dès 1996) en dessous de 50%. Les auteurs ont cherché à savoir si la mixité avait un impact sur les élèves. La question de l’esprit de compétition est abordée : « les élèves des deux sexes ont opté pour l’EPF dans le but d’éviter les classes préparatoires classiques et leur atmosphère de compétition. »
« Cependant les réponses concernant le travail sur projets en binôme révèlent que les anciens stéréotypes concernant le travail des filles et celui des garçons sont toujours vivaces. Les filles déclarent travailler régulièrement et les garçons au dernier moment. C’est pour cette raison, sans doute, qu’on trouve majoritairement des binômes non mixtes.
Les élèves, en intégrant l’EPF, ont retrouvé une atmosphère agréable pour travailler sans les rivalités et la compétition des classes préparatoires aux grandes écoles. Avec le passage à la mixité, l’école a réussi à garder un cadre où les filles sont bien intégrées.
Dans sa conclusion l’étude estime qu’il n’est ni réalisable ni utile de revenir sur la mixité de l’école, mais regrette que l’école n’ait pas pu garder la parité des effectifs (même si les filles y sont plus nombreuses que dans la moyenne des autres écoles d’ingénieur).
Il ne s’agit pas de revenir à la non-mixité. Mais, depuis un certain nombre d’années, les chercheurs montrent que la mixité n’a pas véritablement réalisé l’égalité filles/garçons et qu’elle continue à produire des inégalités entre les sexes.
Regard actuel sur la place des femmes
Lors d’une des tables rondes organisées pour le centenaire, l’EPF Engineering School a invité Emmanuelle Laroque, fondatrice de Social Builder, une association pionnière de l’accès des femmes « aux métiers d’avenir et du numérique ». Celle-ci a aussi publié le livre Tu seras scientifique, ma fille ! Elle a présenté son livre dans un entretien sur demaintv, à écouter intégralement. Elle y évoque les stéréotypes qui pèsent sur les filles (« elles sont nulles en math ») ou l’effet Matilda sur la manière dont des hommes s’approprient les découvertes des femmes.
On verra dans quelques années si la parité et l’effort d’accompagnement mis en place par l’EPF Engineering School ont permis de donner toutes leurs chances aux femmes dans un contexte de mixité.
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