Le large portrait de Joseph Lakanal inscrit le bureau de madame le proviseur dans une histoire assumée. Il donne aux propos de Corinne Raguideau une solennité qui vient du sentiment que l’établissement poursuit aujourd’hui ce qu’il a commencé hier. A Lakanal, on est dans la longue durée. Et cette dimension se perçoit quand elle défend tout à la fois la tradition de réussite de la Cité scolaire et son ancrage dans la réalité de générations qui vont en quasi-totalité jusqu’au bac. La démonstration mériterait d’être fort longue, taille de l’établissement oblige. Avec son proviseur, Corinne Raguideau, on s’est contenté de quelques points.
Reconnaître les mérites
Que dire d’un lieu qu’on ne présente plus. On se le dispute, ses résultats au bac et aux concours le situent parmi les premiers de France. Mais il n’est pas isolé de la société ni du discours général sur la crise de l’enseignement et la baisse des savoirs jusqu’aux abysses de l’ignorance. On voulait savoir.
Corinne Raguideau vit dans cette ambiance et elle ne peut que rappeler combien Lakanal est incontestablement préservé. Les élèves sont acquis à la chose scolaire et tous iront dans le supérieur sauf s’ils font un autre choix. Même si la mémorisation et la concentration ont tendance à baisser. Elle met aussi l’accent sur des domaines où les jeunes sont plutôt en avance sur les générations précédentes. Elle voit des réelles capacités à monter des projets ou à mener de front des choses différentes. L’aisance à l’oral a manifestement progressé, en lien avec son rôle social croissant et une épreuve au bac. L’erreur est de mieux en mieux gérée et apparaît comme un axe d’amélioration plutôt que comme une simple sanction. Et bien sûr, la sensibilité au numérique !
Elle trouve aussi chez les écodélégués, qu’ils soient du collège, du lycée ou des classes préparatoires, un engagement fort dans le développement durable. « Souvent, ils m’épatent, dit-elle avec une spontanéité amusée. » On comprend qu’ils vibrent et on croit deviner qu’elle les perçoit comme des sources d’espoir. Des jeunes gens ont envie, s’accrochent, s’investissent. Des jeunes de cette sorte, chacun sait qu’ils sont nombreux, ils sont autour de nous. Mais les gens heureux n’ont pas d’histoire. Ce doit être la raison pour laquelle on en parle si peu.
Une angoisse dans l’esprit du temps
L’entretien avec madame le proviseur s’est déroulé dans un optimisme nourri d’une certitude : « Les familles ont confiance en les enseignants de Lakanal. » N’est-ce pas en effet l’essentiel ?
Elle sait pourtant que la pression est générale, les élèves la supportant plus ou moins bien. « L’anxiété,dit-elle, n’est pas nouvelle. Elle a toujours existé, mais l’affectif prend de plus en plus de place au détriment de la rationalité. »
Quelques décennies en arrière, les élèves craignaient évidemment les mauvaises notes et la réprimande à la maison. Mais l’enjeu était de s’améliorer, de « se ressaisir ». Aujourd’hui la crainte du décrochage a pris le pas. Cela se constate déjà en 6e où les notes, pour certains, ont un effet anxiogène qui peut se creuser avec un isolement par rapport à la classe. La plupart des élèves suivent bien, comprennent vite et c’est dur pour les quelques camaradesqui sont plus lents.
Et parmi les réponses que Corinne Raguideau soutient, il y a le tutorat, y compris entre élèves d’une même classe. Les résultats sont bons ; ils développent un esprit de solidarité.
L’angoisse de plus en plus forte vis-à-vis des résultats agit surtout en 1re et en Terminale. Les réformes du bac ont changé la donne. Avec l’importance prise par le contrôle continu et Parcoursup qui s’appuie sur tous les résultats de 1re et les 2 premiers trimestres de Terminale, l’orientation se joue jusqu’à mars, donc avant le bac.
Elle souligne non sans malice l’effet délétère des « légendes urbaines sur l’algorithme de Parcoursup. » Car la plateforme est chargée de bien des maux quand elle n’assure que la transmission des candidatures. Elle n’examine ni ne classe les dossiers. Ce sont les commissions de sélection des établissements du supérieur qui examinent les vœux et choisissent les candidats ; ces dernières peuvent certes s’appuyer sur un algorithme si elles le souhaitent mais, pour toutes les formations sélectives, les dossiers sont lus en détail.
Evolution sociétale
L’évolution du bac accentue aux yeux du proviseur une évolution profonde. « Dans la société d’aujourd’hui, l’attente des parents est de plus en plus forte. » Et cette attente se manifeste dans un contexte d’horizontalité des relations parents enfants. Elle entend par là une empathie des parents avec les enfants, on est ami de son enfant. De sorte que la mauvaise note d’autrefois qui était comprise comme un signal d’effort à produire peut être aujourd’hui perçue comme un stress pour l’enfant, stress que les parents partagent.
Ici Corinne Raguideau parle plus d’un ressenti global que du cas particulier de Lakanal. Certains parents devraient prendre plus de recul plutôt que d’être en symbiose avec les émotions de leur enfant. Aller au-delà des « c’est foutu » ou « c’est trop injuste », c’est l’aider à passer à « il y a eu un échec, comment faire pour qu’il ne se renouvelle pas ».
Poursuivant la réflexion sur des causes globales, la question arrive sur l’orientation générale. Est-elle vraiment toujours la meilleure ? Pour Corinne Raguideau les filières professionnelles sont en France assez déconsidérées. On la suit volontiers, il y a des exceptions comme Les compagnons du devoir lesquelles ne sont pas à la portée de tous. Gage de leur attractivité, les filières d’excellence professionnelle sont sélectives dans leur recrutement. Mais elles sont peu nombreuses et leur renom est faible. Comment ne pas s’émouvoir lorsque quantité de métiers techniques sont « en tension », c’est-à-dire ne recrutent pas.
Mais, pour revenir à son propos, les familles sont fières d’avoir leur enfant à Lakanal et elles ne cherchent pas à l’en faire partir même en cas d’échec. D’autant que les réussites professionnelles dans l’artisanat ou les usines d’aujourd’hui, dans les centres de maintenance manquent d’écho, c’est le moins qu’on puisse dire. Comment les élèves en auraient-ils entendu parler ? « Le collège, dit-elle, n’enseigne que des matières « académiques », où l’abstraction a une place de choix – et même la technologie a évolué dans ce sens. Il n’y a guère d’espace pour réussir hors l’« académique ». »
En écoutant, on se prend à rêver d’une connexion entre Lakanal et quelque chambre de métier qui orienterait des élèves pour leurs talents et non pour leurs échecs. L’excellence de Lakanal diffusant vers des enseignements professionnels. Mais foin de remarque personnelle, revenons à la Cité scolaire qui conserve un fonds ancien d’instruments de physique, de chimie, des sciences naturelles, aux couloirs montrant des collections anciennes dans des présentoirs d’acajou, comme pour rappeler que la science se construit dans la durée.
Ouvrir, s’ouvrir et partager
Madame le proviseur aime à s’attarder sur les actions d’ouverture. Ainsi la Cordée de la réussite, dont l’objectif est de susciter le goût pour des études ambitieuses auprès de collégiens et de collégiennes. Il s’agit de leur donner « les clefs qui peuvent venir à leur manquer [… pour] susciter ambition et confiance en soi… » et les amener vers à des études ambitieuses. ». Lakanal est « tête de Cordée » auprès des trois collèges publics de Bagneux : Henri Barbusse, Joliot-Curie et Romain Rolland.
Elle évoque des initiatives d’enseignants. Dont celle que prennent certains en ménageant en début de cours une transition avec le cours précédent. Ce sont quelques minutes qui forment une sorte de sas. On se vide et on se chauffe pour la matière qui arrive. Eviter la succession de disciplines sans lien. Cela semblait normal autrefois, de nos jours on questionne. Tout le monde entre au lycée et ce monde change constamment. « Une génération d’élèves, c’est aujourd’hui cinq ans. » Les comportements, les attentes changent à cette vitesse. La démarche pédagogique doit suivre.
Il existe à Lakanal comme ailleurs, pour les élèves de Seconde, la possibilité d’utiliser le « droit à l’erreur ». « Autrement dit, précise le proviseur, un élève qui se rend compte très vite après la rentrée de septembre que le lycée général et technologique ne lui convient pas, est alors accompagné (professeur principal, proviseur adjoint, psychologue de l’Education Nationale, CPE), en accord avec la famille bien sûr, au travers d’entretiens et de mini-stages, afin qu’une place vacante puisse lui être trouvée, dans une filière professionnelle dans laquelle il pourra davantage s’épanouir. » En résumé « c’est du cousu main. »
Le pôle Espoir Rugby offre à de jeunes sportifs la possibilité de suivre leur scolarité tout en bénéficiant d’un entrainement sportif de haut niveau, en club et d’un suivi (médical, de préparation mentale et physique, …). Ces jeunes sont sélectionnés en amont par la FFR.
Ouverture aussi avec un projet du lycée et des prépas en partenariat avec le Muséum d’histoire naturelle. « Il s’agit de la mise en valeur des extraordinaires collections naturalistes anciennes (squelettes, animaux empaillés, herbiers, …) dont dispose le lycée Lakanal. » Un projet du côté collège et lycée est en cours, en partenariat avec le musée du Grand siècle. « Il mêle arts plastiques, histoire des arts et musique. Le projet associe des élèves de la cité scolaire aux pilotes de la Mission préfiguration du futur musée. Les élèves, véritables « passeurs de culture », vont découvrir les collections au moyen de médiations conçues et restituées par eux, devant les œuvres. »
Enfin, une autre singularité. Le lycée possède une annexe pédagogique au sein de la clinique Dupré. Elle permet à des élèves souffrant de pathologies psychologiques ou psychiatriques nécessitant une hospitalisation longue de poursuivre leurs études. De cette originalité, le proviseur s’est saisi pour demander au Dr Pinel, psychiatre à la clinique, d’intervenir auprès des professeurs pour échanger sur le mal être adolescent. « La conférence, intitulée Scolarité et santé mentale adolescente, analyse les causes du mal être adolescent ainsi que ses manifestations et donne des pistes sur comment le déceler et comment contribuer à y répondre en tant que professeur. Elle s’attelle à montrer en quoi le milieu scolaire peut être une des causes de ce mal être, dans le contexte actuel. » Pour celle qui aime à rappeler que « l’école est un des lieux où la verticalité est nécessaire », un tel débat s’inscrivait dans une réflexion importante avec les professeurs.
Pilotage d’équipe
Ces quelques exemples n’ont qu’une visée : montrer que la Cité Lakanal est à la fois très classique et pleine d’imprévus. Pour celle qui en assume la responsabilité depuis septembre 2019, après avoir été proviseur du lycée Clemenceau à Nantes, c’est un motif de fierté. La Cité est une grosse machine de plus de 2500 élèves dont presque 900 étudiants en classes préparatoires, la tâche est d’importance, mais elle est entourée de Manuel Jack, principal adjoint du collège, de Nathalie Holas, proviseur adjoint de l’annexe à la clinique Dupré ; Sandra Pinaud, proviseur adjoint du lycée et Annie Horvath, proviseur adjoint des CPGE.
Les esprits chagrins trouveront dans la réussite de Lakanal un entre-soi de privilégiés. Outre que le recrutement s’étend à des quartiers comme les Bas-Coudrais à Sceaux dont on ne sache pas qu’ils soient favorisés, les esprits positifs y verront la preuve que la « catastrophe éducative » n’est pas fatale et que deux circonstances permettent de la déjouer : la confiance dans l’enseignement et le respect des enseignants. Régler les différends dans la courtoisie et en assumant la verticalité de la relation adulte/enfant. Rien de nouveau sous le soleil qui descend sur les murs de pierre, de briques et de métal, sur les toitures d’ardoise comme inaltérables, sur les façades et le parc immense, pour réussir il faut y croire et le vouloir. Collectivement.
[…] les entretiens que nous avons eus avec divers responsables : les proviseurs de Marie-Curie et Lakanal, une représentante d’association de parents d’élèves, la directrice d’un club de […]
Evidemment que c’est moins bien d’aller dans une filière professionnelle que dans une filière générale… Il suffit de voir à quel point c’est facile de décrocher un CAP à distance (par exemple avec l’Atelier des Chefs) pour comprendre que c’est mieux d’aller en générale puisqu’on aura beaucoup plus de portes ouvertes après et on pourra toujours faire un CAP à distance pendant les études supérieures ou après…
Bravo madame le proviseur..
On regrette de ne plus etre eleve….