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Libération 1944 : souvenirs d’une Parisienne (3/5)

Suite du récit : le 24 août

Jeudi 24 août 1944

Premiers regards sur les sentinelles allemandes. Elles sont toujours là…  je descends comme tous les matins, et même, voyant un peu de calme, je me hasarde prudemment sous une pluie battante jusqu’à la rue de Richelieu où je suis obligée d’escalader une barricade pour aller prendre mes cartes de pommes de terre. Enfin, je rentre sans encombre. En général, les matinées amènent une certaine accalmie dans la bataille. Les bruits courent dans Paris que les Américains sont aux portes de Paris… attente fébrile… certains disent qu’ils sont porte d’Orléans ; d’autres, porte de Châtillon.

On croit toujours qu’ils vont arriver… enfin on sent une grande agitation… mais la bataille continue dans Paris où, malgré son infériorité en matériel, en nombre, la Résistance est maîtresse puisque, depuis deux jours, on vend des journaux au nez des Allemands. La radio de Paris est aux mains de la Résistance ; malheureusement pas de courant pour écouter les informations ; on s’en tient aux informations téléphoniques, I.N.F.1… combien de fois a-t-on fait ce numéro ?

Notre quartier, au début de l’après-midi, paraît suffisamment calme. M. et Mme Prévost viennent de bonne heure, on fait une partie de bridge… Quand, au moment de goûter, une amie de Jacqueline qui habite rue du Mont-Thabor face à l’hôtel Continental, nous téléphone : les Allemands des hôtels Meurice et Continental se préparent de plus en plus. Ils vont se rendre, mais on craint qu’ils fassent sauter leurs munitions. Il faut se préparer à descendre peut-être à la cave. M. et Mme Prévost nous quittent en toute hâte afin d’être à temps chez eux. Mais, rien ! L’après-midi se termine sans autres émotions.

Après le dîner, coups de feu très nourris du côté des Tuileries. Immédiatement nous sommes sur le balcon. Pendant une heure, ce ne sont que coups de canon, mitrailleuses, coups de fusil qui se répondent. C’est du côté des quais et dans les Tuileries les tanks tirent. Les balles traçantes vont et viennent. Avec la Seine et le terrain vide des Tuileries, tout cela résonne et fait un vacarme du diable… Enfin le calme revient petit à petit, mais on est dans une grande anxiété. Vers 21h30, Ginette nous téléphone « Le général Leclerc est à I ’Hôtel de Ville. Ordre à tous les curés des paroisses de faire sonner toutes les cloches des églises. » Nous ne voulons pas le croire, nous sommes malheureusement dans le noir, nous n’avons pas encore le courant électrique, donc pas de T.S.F… Nous nous pendons au téléphone pour avoir des nouvelles, mais plus rien…il y a certainement quelque chose.

Enfin voilà le courant et nous apprenons la grande nouvelle… Nous n’osons en croire nos oreilles, nous sommes là, dans le salon, à écouter, le cœur battant, craignant de ne pas bien comprendre… Heures inoubliables, une émission à bâtons rompus, les nouvelles arrivent, diffusées immédiatement sans préparation, telle que, toutes fraîches, heures de joie, heures d’angoisse aussi, car ce sont les premiers vrais combats acharnés pour libérer Paris. Les F.F.I. se défendent partout.

À la mairie du 11ème, ils n’ont plus de munitions. On fait un appel puis deux, puis un troisième de toute urgence, demandant qu’on se porte à leur secours (quelques jours plus tard, j’ai appris qu’une jeune fille courait dans les rues en criant « F.F.I. au secours, F.F.I. au secours »). Enfin, depuis 5 jours qu’ils tenaient, ils ont tenu jusqu’au bout. Pendant que nous étions suspendus aux paroles de cette émission, on commence à entendre partout des explosions. Les Allemands font sauter leurs munitions.

Ces jours qu’on appréhendait depuis si longtemps, craignant qu’ils ne fassent sauter tout Paris, nous les vivons minutes par minutes. À la T.S.F., on nous dit qu’il y a du danger et qu’on craint que le Sénat ne saute, puis le quartier des Tuileries. Nos voisins sont près de nous. Tout dans l’entrée est prêt pour descendre à la cave. On ne peut imaginer ces mêlées de joie et d’anxiété, les jeunes qui nous parlaient à la T.S.F. s’excusent de cette émission décousue, mais l’émotion, la joie, enfin tout, les étreignaient… Ils n’avaient pas dormi depuis cinq jours ! On nous annonce que le courant sera donné toute la nuit pour nous permettre de suivre tous les événements, et avoir les nouvelles.

les autres articles de cette série : le 1, le 2

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