Le récit continue pour les 21, 22 et 23 août.
Lundi 21 août 1944
La matinée s’annonce calme. En se levant, on regarde si les sentinelles sont toujours là, mais, à chaque fois, une petite déception amenant de nombreuses questions ou suppositions : ils vont être faits prisonniers ; comment cela va-t-il se passer ? Vont-ils se défendre ?
Paris est ville ouverte, donc ils ne doivent pas se défendre ??? et les bobards vont leur train ! « Les Allemands veulent se laisser prendre plutôt que de continuer de se battre ou de rentrer en Allemagne. » Dans la matinée, un coup de téléphone : le bruit court, me dit-on, que cette trêve du dimanche a été rompue par les Allemands, et qu’ils ont recommencé à tirer dans certains quartiers de Paris. En effet, vers midi, la fusillade et la canonnade recommencent. On dit dans Paris que les Allemands voulaient bien se rendre aux Américains mais pas aux Français. Dans les Tuileries, de nombreux tanks, voitures, camions de munitions et de ravitaillement vont et viennent, faisant un bruit infernal. Quelques personnes qui se sont aventurées jusqu’à la rue de Rivoli, disent que les Tuileries sont pleins de tanks… Il y en a aussi rue de Rivoli, le canon dirigé vers le Louvre, qui font une barrière.
Dans l’après-midi, c’est relativement calme. Nos voisins de palier nous invitent à goûter avec eux, ils habitent sur la cour. Au bout d’un moment, nous n’y tenons plus, car on entend des coups de feu et du bruit et nous avons l’impression d’être enfermés. Nous traversons le palier et rentrons tous à la maison, d’où nous pourrons voir ce qui se passe au moindre bruit… enfin, rien de spécial… La soirée se passe comme toutes les autres, mais tout de même, on allume une bougie car le jour baisse et l’on ne peut se coucher si tôt. On ne peut plus travailler sur le balcon, car, avant 21h, les sentinelles passent dans la rue en criant d’un ton guttural : « Fermez vos fenêtres ! » Aussi ne voit-on plus rien dans les appartements. D’ailleurs, on n’a aucun cœur à travailler ; nous faisons une vague partie de bridge ou de dominos…mais nous en avons vite assez. Enfin, encore une journée de passée ! … calme ici…moins ailleurs… agitée en d’autres endroits.
Mardi 22 août 1944
La journée est assez semblable à celle d’hier. Le matin, j’ai pu descendre chercher le pain que l’on trouve bien difficilement (certaines boulangeries n’ont pas de bois, d’autres pas de farine), enfin j’en ai eu un peu. Heureusement j’en ai toujours un jour d’avance (avant pour en manger moins car il était rassis, maintenant, on en mange si peu ! on n’a pas faim) j’arrive à en avoir deux jours d’avance… cela me servira peut-être… Enfin la journée s’achève, nos voisins sont venus dans l’après-midi.
Après le dîner, coups de feu dans la rue près des pompiers. Je cours au balcon, un Allemand lançait des grenades et tirait des coups de feu. Immédiatement, sortant des quatre coins de la place du marché, six F.F.I. l’ont cerné et abattu ; il avait tiré sur les pompiers, en avait blessé un, ainsi qu’une jeune fille. II était ivre ! Des officiers allemands sont arrivés pour constater. Aussitôt, ils font descendre le drapeau des pompiers (ceux-ci le font mais la rage au cœur. Celui du commissariat est resté puisqu’il n’y avait plus personne, plus d’agents … ils faisaient tous partie de la Résistance. La trêve prend vraiment fin et, dans certains quartiers, on se bat dur.
Mercredi 23 août 1944
Pour notre rue, la journée est calme dans l’ensemble, mais, partout dans Paris, les F.F.I. et le peuple se battent en attendant les Alliés. On construit des barricades un peu partout, rue de l’Échelle, rue de Rohan face aux guichets, rue de Richelieu, rue des Petits-Champs, enfin partout dans Paris. Nos rues sont en somme un peu zone interdite car il y a tous les hôtels et, là, il serait difficile de faire une vraie bataille de rue, car les Allemands sont encore nombreux. Mais que se passera-t-il quand les armées alliées rentreront ? C’est à cela que l’on songe et c’est cette heure-là qui nous inquiète… Le Grand Palais est incendié par les Allemands et par les nombreux coups de canon. Les F.F.I. ont pu sauver les objets de l’exposition des prisonniers, L’âme des camps.