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Évaluation économique des programmes électoraux

Le citoyen est invité à choisir par son vote en fonction des programmes présentés par les candidats. Assez classiquement, ces programmes sont composés de diverses promesses censées être attrayantes pour les électeurs. Sont-elles réalistes pour autant ? Chaque camp tente de montrer que le programme de ses adversaires est irréaliste ou dangereux (pour l’économie, les libertés, les valeurs…). Comment apprécier la validité économique de ces programmes ? Quelques pistes.

Des programmes plus ou moins précis

Le camp présidentiel n’a pas chiffré particulièrement son programme. Mais globalement, il propose de continuer sa politique.

Côté RN, on ne sait plus très bien où l’on en est. Des promesses ont été supprimées. Plus globalement, Jordan Bardella a prévu de réaliser un audit sur l’état des finances. Ce qui lui  permettrait de repousser une partie des réformes prévues sous le prétexte d’avoir découvert que les caisses étaient vides. En réalité, il n’y a rien à découvrir : tout est dans cette note extrêmement récente du Sénat.

Côté Nouveau Front Populaire, c’est nettement plus précis, au moins sur les dépenses. Sur les recettes, il reste des points à préciser. Par exemple sur l’impôt sur le revenu, il prévoit 14 tranches d’imposition, mais lesquelles, et à partir de quels niveaux ? De même pour les modifications envisagées de l’impôt sur l’héritage. Pas anormal en soi bien sûr.

Impact des mesures

La caractéristique majeure en économie, c’est que l’initiative d’un acteur engendre souvent des réactions d’autres acteurs : ne voir que les résultats de la première initiative sans anticiper les suivantes, c’est généralement se tromper. Et trop souvent lourdement. Quelques exemples.

En 1914, au moment de la guerre, il a été décidé un contrôle des loyers. Cette mesure a été maintenue après la guerre, et jusqu’en 1948 avec sa fameuse loi. Au point, qu’à cette date, les locataires français ne versaient en moyenne que 2 % de leurs revenus en loyers, contre 15 % à 20 % en 1914. Une bonne nouvelle pour les locataires en place. Avec un inconvénient : la dégradation de leur logement, faute d’entretien. Mais dans le même temps, la construction a été très faible : entre 1919 et 1940, entre 1,5 et 1,9 million de logements seulement ont été construits, soit moins de 100 000 par an (contre environ 400 000 par an depuis 1948). L’effondrement de la construction était la conséquence du contrôle des loyers.

La politique d’augmentation rapide du prix du tabac à partir de 2003 s’est traduite par une baisse des ventes : c’était l’objectif. Avec une conséquence : la colère des buralistes qui ont vu leur chiffre d’affaires baisser. En particulier dans les régions frontalières , où cette baisse a été plus forte. A contrario, lors du confinement, on a signalé une augmentation du volume de ventes de plus de 20% dans les mêmes zones frontalières. Sans parler du développement du trafic au noir.

Aux U.S.A., la prohibition est à l’origine des affaires d’Al Capone.

Importance du contexte

Autre difficulté : les impacts d’une mesure dépendent du contexte. Prenons l’exemple du SMIC. L’impact immédiat, c’est l’augmentation du pouvoir d’achat de ceux qui sont payés au SMIC. Mais il y en a d’autres. Généralement, la mesure augmente le nombre de « smicards » (le salaire de ceux qui gagnaient un peu plus est rattrapé). C’est déjà le cas de plus de 17% des salariés, un plus haut historique. Elle risque aussi d’écraser la hiérarchie des salaires et d’entretenir l’inflation. Enfin de pénaliser les entreprises, en particulier celles qui ont des bas salaires. Et éventuellement l’emploi des moins qualifiés.

Mais l’importance de ces différents impacts dépend, non seulement du taux d’augmentation, mais aussi de la situation de départ. L’augmentation massive du SMIG en 1968 (+35%) a eu un impact beaucoup moins important que ce qu’elle aurait aujourd’hui. Parce que le niveau du SMIG était très faible avant les accords de Grenelle (il avait très peu augmenté entre 1960 et 1968).

En 1970, après l’augmentation massive de 1968 et celles élevées des deux années suivantes (16,7% entre le 1er juin 1968 et le 1er juillet 1970), le salaire minimum n’était encore que de 41% du salaire net moyen. En 2004 (devenu le SMIC entretemps), il représentait 54% du salaire net.

L’écrasement de la hiérarchie salariale observé dans les années 2000 et surtout le chômage très important qui touchait les moins qualifiés a conduit les gouvernements suivants à fortement limiter (voire abandonner) les « coups de pouce » qui augmentaient le SMIC plus vite que les prix et que le salaire médian.

Un élément de contexte est devenu de plus en plus important au fil des décennies : la part du commerce extérieur dans l’économie. On se souvient qu’en 1983, le déficit extérieur avait été une raison importante du tournant de la rigueur. Les difficultés rencontrées par les entreprises françaises (Renault perd 10 milliards en 1984) avaient favorisé les importations (celles d’automobiles avaient doublé).

En 1983, la part des importations était d’environ 25% du PIB. Aujourd’hui elle est de 37%.

Redistribution

La question du pouvoir d’achat est très souvent au cœur des campagnes électorales. Avec en particulier la question de la redistribution (faut-il prendre aux riches pour donner aux pauvres, pour simplifier). En réalité, une redistribution importante existe déjà en France et plus généralement en Europe. La question réelle est donc de savoir s’il faut l’augmenter ou pas (voire la diminuer).

Un article récent de l’Observatoire des inégalités expliquait :

À la base, les 10.% les plus aisés ont en moyenne un revenu 20 fois plus élevé que les 10 % les plus modestes, 6.600 euros par mois contre 340 euros, pour une personne seule selon l’Insee en 2021. Une fois les impôts retirés et les prestations sociales versées, les premiers ne touchent plus que 5.000 euros tandis que le niveau de vie des seconds s’élève à 900 euros. Le rapport entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres se réduit de 19,6 à 5,5.

Le même article soulignait que les services publics réduisaient aussi les inégalités (notamment l’école et la santé). L’Insee calcule une « redistribution élargie » qui montre une réduction plus importante des inégalités.

On observe que la France se situe dans la moyenne européenne pour ce qui est des inégalités. Les inégalités ont diminué assez fortement entre la fin de la guerre et la fin des années 70, puis elles se sont stabilisées (avec des fluctuations annuelles assez faibles). C’est globalement la situation connue dans toute l’Europe de l’Ouest. On notera que le continent européen est de très loin le moins inégalitaire.

Il y a quelques jours, Olivier Blanchard, un des économistes français les plus connus, spécialiste de macro-économie, expliquait sur Twitter :

En tant que social-démocrate, je crois à l’égalisation des chances, à l’amélioration de l’éducation et à la redistribution des revenus des riches vers les pauvres. En tant qu’économiste et parfois impliqué dans l’élaboration des politiques, je sais également qu’il existe un équilibre délicat entre la réduction des inégalités et le maintien d’une forte croissance. Le programme NFP ignore tout simplement cet équilibre et ne peut, comme nombre de ses prédécesseurs, conduire qu’à une catastrophe économique.

François Ecalle, économiste spécialiste des finances publiques, a analysé la proposition de LFI sur l’héritage (les montants au-dessus de 12 millions seraient taxés à 100%). Il en déduit que cela conduirait à une nationalisation rampante de beaucoup d’entreprises françaises. Réaction en commentaire sur Twitter d’Henri Sterdiniak, cofondateur des Économistes Atterrés : « Oui, c’est l’objectif. » Un commentaire applaudi par Gilles Raveaud, professeur d’économie à Paris et fervent supporter du NFP.

Un impact qui semble ignoré de ceux qui ont élaboré cette proposition : un effondrement des créations d’entreprise.

Soutenir la demande, soutenir l’offre ?

Dans son éditorial du 24 juin, Séverin Husson, pour La Croix, observe une absence de débat sur la politique économique. Il explique que, depuis l’élection de François Hollande, la France suit une politique de soutien à l’offre. Mais que les programmes du RN et du NFP correspondent à une politique de demande. Il pense que ce changement de stratégie économique mériterait un débat. Il regrette qu’il n’ait pas lieu.

La politique de la demande renvoie aux travaux de Keynes. Celui-ci explique qu’en période de récession, il y a des capacités de production inutilisées. Donner aux citoyens du pouvoir d’achat supplémentaire augmente la demande et permet d’utiliser ces capacités de production, sans provoquer d’inflation. Malheureusement, beaucoup de politiques ont compris qu’on pouvait donner du pouvoir d’achat en oubliant « en période de récession ».

La situation justifiant la solution inverse est celle d’une crise d’offre. Dans ce cas, il existe une demande solvable, mais l’appareil de production n’arrive pas à répondre à la demande. Il faut donc aider les entreprises à investir pour accroitre leurs capacités de production. Attention, l’insuffisante utilisation des capacités de production peut être liée à un manque de personnel compétent ou à des difficultés d’approvisionnements. Ou à des prix trop élevés, ou des produits ne correspondant pas à la demande. Le déficit extérieur peut être un signe de crise d’offre, les entreprises du pays n’arrivant pas à répondre à la demande interne.

On l’a compris, les politiques d’offre ou de demande ne sont pas par définition bonnes ou mauvaises. Il faut savoir si la situation du pays les justifie, et cela peut varier dans le temps. Les résultats du commerce extérieur depuis des décennies laissent à penser que la France a un problème de manque d’offre et l’Allemagne un problème de demande. Mais ce n’est qu’un des indicateurs à observer.

A partir de 2021, la France (comme toute l’économie mondiale) a subi une hausse des difficultés d’approvisionnement (surtout à cause des confinements) à un niveau jamais connu (voir graphique). On était en pleine crise d’offre. Cela a largement participé à la reprise de l’inflation. Dans ce contexte particulier, le programme économique proposé par la NUPES, reposant sur un choc de demande était particulièrement inadapté : il n’aurait pas produit de la croissance mais encore plus d’inflation.

Aujourd’hui, il y a une crise du bâtiment liée à la hausse des taux d’intérêt par la BCE. Une hausse du pouvoir d’achat des ménages les moins aisés n’aura aucune incidence sur cette crise, qui se résorbera (au moins en partie) avec la baisse des taux d’intérêt.

Évaluer la pertinence économique d’un programme, c’est d’abord estimer les réactions des différents acteurs à la mise en œuvre du programme. C’est aussi évaluer si ce programme est adapté au contexte. Difficile analyse bien loin des formules simplissimes qui ne manquent ces temps-ci.

Pour aller plus loin , voir ici un bon résumé. Et un point de vue

Sur le sujet particulier des retraites, analyse des programmes par une économiste spécialiste du sujet

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