Léa-Iris Poggi est juriste, elle fut avocate après avoir été militaire. Elle parle du droit immobilier, domaine compliqué s’il en est, avec la volubilité des passionnés. Le droit de la construction, des affaires, les règles d’urbanisme, aucun détail ne la rebute. « Une expérience bien utile pour anticiper les problèmes » dit-elle en parlant de sa fonction d’élue. Car, en plus, elle est conseillère municipale à Fontenay-aux-Roses. A 37 ans, l’itinéraire peut surprendre.
Au cœur du millefeuille
Dans le grand groupe de la non moins grande distribution où elle travaille, le parc immobilier est considérable. 1600 magasins, 25 directions régionales et dans chacune d’elles au moins une plateforme logistique . Et il a tendance à s’étendre. De quoi justifier des compétences juridiques aiguisées. Léa-Iris Poggi ne regrette pas la spécialisation : « J’aime ce qui est très technique. Et puis on ne peut pas maîtriser la totalité des 300.000 articles de loi ! » En matière de technique, il y a de quoi faire.
Entre analyses des risques, études de conformité, élaboration et négociation des contrats, les sujets d’expertises ne manquent pas. Parce qu’un bâtiment, un supermarché particulièrement, doit se conformer à une multitude de règles. En proportion du millefeuille administratif : le PLU (communal) ou PLUi (intercommunal), le SCOT (Schéma de cohérence territoriale), le Sraddet (Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’éligibilité des territoires). C’est copieux.
Ajoutons-y l’autorisation d’exploitation commerciale auprès de la commission départementale d’aménagement commercial à la préfecture, le PPRI (Plan de prévention des risques d’inondation). Manquerait plus qu’on oublie le code du commerce ou le code de la consommation (le L752-6 qu’elle cite à toute vitesse, comme une évidence).
Même en résumé, les preuves de conformité ressemblent à un sport de haut niveau.
Un contrat, c’est penser les risques
N’en restons pas à ces hors-d’œuvre. Qui dit acquisition, dit négociation avec le vendeur. La situation particulière de magasins impose une série de conditions suspensives auquel le simple acheteur d’un logement n’est pas habitué : résiliation des baux, plafond d’indemnités aux locataires, gestion des recours des concurrents dans la même zone de chalandise, aménagement des accès, fiscalité, etc. En creux sont l’identification et la gestion des risques. Lesquels sont nombreux. Ils vont de la caducité de la promesse de vente à l’annulation de l’autorisation de construire ou encore de l’autorisation d’exploitation commerciale ; ou bien des retards sur le calendrier de lancement du projet; des contentieux coûteux avec les riverains et la concurrence. « Les risques s’envisagent à 5, 10, ou même 20 ans pour les centres logistiques ». Rien que d’y penser… C’est à devenir insomniaque.
Mieux. « L’urbanisme des années 1960, c’est fini. Depuis la loi Climat et résilience d’août 2021, une nouvelle exploitation commerciale doit être conforme au ZAN. » Rien à voir avec les plaquettes de réglisse qui vous décapent la bouche. Ça veut dire Zéro Artificialisation Nette. Dans toute transformation des sols, il faut compenser le bâti en renaturalisant d’autres parties. Bien que le sujet soit très rigoureux, Léa-Iris Poggi y trouve de l’imaginaire : « C’est fascinant, le sol. Il a plein de fonctions. Carbone (il en stocke), hydrologique, biologique, agricole. » Surprenante, cette pensée de la diversité, de la fragilité de la terre, au cœur de considérations aussi inflexibles.
Son entreprise a noué des partenariats avec l’OPIE (Office pour les insectes et leur environnement), avec une filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations en charge de la biodiversité, avec la FCEN (Fédération des conservatoires d’espaces naturels). Les esprits hostiles y verront du greenwashing, les autres une contribution à l’effort commun. Pour la juriste, ce sont en tout cas des engagements à respecter et à matérialiser dans les projets.
Les pesanteurs du contentieux
Avocate pendant 5 ans après un master 2 qu’elle finance de bout en bout. Economies faites pendant ses années d’armée. Une bourse. Des travaux (nombreux) pendant les vacances. A commencer par celui de sacristain dans le diocèse de la Rochelle. Un remplacement pendant les mois d’été. Elle sourit. Ses ex-collègues de l’armée l’ont charriée quand elle a pris le job. « Mais ça m’a beaucoup appris. La préparation d‘une messe, c’est tout un protocole… » Mondial Assistance, des ménages, des extras en restauration… Puis il y aura le stage de master qu’elle poursuit de front avec l’Ecole de formation des avocats : un mi-temps en cabinet. « Difficile de travailler tout en étudiant. On risque de décrocher ou de rester moyen. Il faut gagner des sous pendant les vacances. » Elle n’en a pas pris pendant 3 ans.
Avocate en cabinets spécialisés dans l’immobilier, c’est du conseil et du contentieux. Pour le second, quelques classiques : une entreprise de construction n’est pas payée par la maîtrise d’ouvrage, un locataire en désaccord avec les conditions de renouvellement de son bail commercial ; un voisin empiète sur une parcelle. Elle plaide.
Pour le premier, ce sera du conseil dans la négociation des contrats : de maîtrise d’ouvrage déléguée; de maîtrise d’œuvre; de fourniture d’équipements; de sous-traitance; de renouvellement de bail. On est loin des affaires qui font la Une. « Le pénal ne m’aurait pas plu. J’aime ce qui est technique. » On n’en doute pas.
Elle n’est pas restée avocate. « C’est un métier qui apprend beaucoup, c’est aussi un métier qui enferme. On a peu d’autonomie… Je n’avais pas envie de devenir associée. Beaucoup de pertes de temps en procédure, en audience… J’aime que ça aille plus vite. »
« Quand j’ai rejoint l’entreprise où je travaille, ça a changé ma vie, confie-t-elle spontanément. C’est agile, mobile, pas de hiérarchie, ça va vite. Les contacts en interne sont nombreux. Il y a un esprit collectif. On a une culture positive de l’erreur. Le contraire de celle des cabinets d’avocats. » Vu comme ça.
Mécanicienne de l’armement
Elle avait quitté l’école à 16 ans. Elle s’y ennuyait, voulait bouger (déjà, ado), mais pas n’importe comment. Elle est reçue à l’Ecole d’enseignement technique de l’Armée de l’air de Saintes. Elle devient arpète. Attention au possible contresens. Dans le langage courant, l’arpète est le débutant qui arrive dans l’atelier et à qui on donne les tâches les plus simples. Rien à voir chez les mécaniciens de l’armée de l’air. C’est un « titre » qu’on conserve, quelle que soit l’ancienneté. On est fiers de son école.
A 18 ans, elle rejoint un escadron d’alphajet. Elle est à la maintenance de l’armement (pas des avions) et de l’approvisionnement en munitions pendant les campagnes de tir. Métier très physique. Imaginez le poids d’un canon ! Il faut armer les avions pour les campagnes de tir. Quand ils reviennent, il faut les désarmer, nettoyer les canons, les lance-bombes, « ça prend du temps ! », vérifier le siège éjectable. Le siège est une arme … de défense pour le moins.
Un métier féminin ? La preuve. « Les militaires ont le respect des femmes, dit-elle pour ajouter sans plaisanter, ce n’est pas comme certains politiques qui se croient souvent obligés de faire des remarques sur la tenue, l’allure. ».
Expérience forte. Forte solidarité. « Au bout de 7 ans. J’avais fait mon temps à l’armée. J’avais besoin de changer. J’aime ça. Et puis, j’avais envie de faire des études. » Ce sera des études de droit. Elle est sûre de sa capacité de travail. Elle a la rigueur et l’investissement.
L’entrée en politique
C’est une amie qui, en 2019, la présente à Gilles Mergy qui est en campagne pour les municipales. L’échange la convainc. « Je partageais sa conception de la ville telle qu’il l’envisageait dans sa campagne de 2020. Par exemple, il voit les logements sociaux comme une richesse et voulait valoriser les quartiers concernés. Il préfère que la ville gère elle-même les services plutôt que de les déléguer à des sociétés publiques locales (SPL)[1] comme pour l’aménagement, les parkings, la cuisine centrale. » Un urbanisme plus végétalisé aussi. Elle le suit, le soutient, se retrouve dans sa liste. Elle sera parmi les élus. Dans l’opposition, puisque la liste de Laurent Vastel obtient la majorité.
La politique ne lui est pas tombée soudainement sur la tête. Elle n’est pas de celles qui « se laissent porter par les autres et utilisent les services rendus par des bénévoles (clubs sportifs, parents d’élèves, conseil syndical… peu importe), sans rien donner en échange. » Sa volonté d’être présente dans la vie de la cité est ancienne. Elle trouve à se réaliser là. A sa manière à elle, très indépendante. Un an après les élections, elle s’inscrit comme élue indépendante, ce qui lui donne une parole personnelle. « Je voulais sortir de l’influence des partis politiques nationaux sur la vie municipale. Pour moi, elle est néfaste. »
Les oppositions systématiques (quasi automatiques) entre majorité et opposition municipales l’ennuient. Elle veut soutenir qui elle le souhaite, quand elle le souhaite, au cas par cas. « Mesure et équilibre », c’est sa définition du centre dans lequel elle se reconnaît. Elle veut croire dans le dialogue entre majorité et opposition pour apporter les meilleures solutions aux Fontenaisiens. A l’écouter, ce n’est pas gagné.
Le partage du temps
La charge d’une élue d’opposition, pour moindre qu’elle soit de celle d’adjointe, n’est pas indifférente. Les conseils municipaux demandent préparation et participation. Il y a le suivi de commissions et de comités. Les rencontres avec des habitants ou des responsables associatifs. Les événements organisés par les associations ou par la ville.
Elle publie régulièrement des articles dans les Nouvelles de Fontenay ou dans Osez Fontenay. Elle les travaille, les argumente, l’écriture prend du temps. Répondre aux questions. Elle écrit aussi une tribune par mois dans le Mag de la ville.
Quand on travaille à plein temps, il faut trouver la combinaison gagnante pour conjuguer le tout. La sienne, c’est l’usage sans modération de ses congés, ses RTT, ses weekends et pas mal de ses soirées. C’est aussi assumer sans regret les priorités et les sacrifices nécessaires par rapport à ses vies familiale et associative. Priorité ne signifie pas exclusion. Sa famille et ses amis ne sont pas négligés. Elle reste très investie dans l’association des Anciens de l’école militaire. Elle y a été structurée, elle y a connu un sentiment de camaraderie très fort et des amitiés qui durent encore comme des énergies renouvelables.
Elle dit de sa vie d’élue qu’elle est heureuse. Ce qu’elle résume d’un trait simple : « J’aime les gens. » Et puis : « Je ne suis pas dans la majorité, mais n’en éprouve aucune souffrance. » Souffrance ! à ce point-là ? Elle insiste sur le mot. « Je sais que, dans des communes, des élus d’opposition souffrent littéralement de la place qui leur est faite. » Elle, non.
Un désir l’anime, celui d’un projet autour de l’hydrologie des sols. Réouvrir les sources, retrouver les ruisseaux. Sous le CEA, il y a une nappe perchée. Rue Ferdinand Lot, au bout d’une rue avec des trottoirs de pleine terre, une résurgence de source. Elle en parle chaleureusement, comme d’une promesse. Il est vrai qu’en ces temps de sécheresses menaçantes, la promesse de l’eau n’est pas un vain espoir.
[1] Les sociétés publiques locales (SPL) sont créées par les collectivités territoriales qui en détiennent la totalité du capital.
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