Elle habite les Bas-Coudrais depuis 2000. Ses deux enfants, un garçon et une fille, ont fait leur scolarité élémentaire à l’école juste à côté, ce haut lieu, dit-elle, de socialisation. Elle est graphiste et femme de spectacle, ou plus précisément actrice, metteuse en scène, administratrice de troupe et de lieu, designer.
Elle voulait s’installer aux Blagis. Elle connaissait par sa famille et elle s’y sentait bien. Rien, pendant l’entretien, n’a montré que le sentiment ait changé. Je n’ai entendu qu’un reproche : le prix des places aux Gémeaux : « c’est plus cher qu’à l’Odéon ! » Plaisanterie mise à part, son arrivée correspond à un moment où elle eut une décision importante à prendre. Son itinéraire n’est pas banal ; il explique sans doute la variété de ses vies professionnelles.
Bac à 16 ans, prépa HEC, elle tente à une école de design, l’ENSCI (École Nationale Supérieure de Création Industrielle), échoue la première fois, réussit la seconde, en sort diplômée et le jour de sa soutenance, elle emmène son jury au théâtre des 50, juste en face de l’école, voir une pièce de Ionesco, Le nouveau locataire, dont elle a conçu les décors et qu’elle a mise en scène. Pendant ses études, elle a fait du théâtre, en amateur, au Campagnol, Châtenay-Malabry, avec Jean-Claude Penchenat, qui lui a laissé un souvenir très fort. Ce fut avec lui le premier contact avec des professionnels qui faisaient également partie de la troupe.
Quand on sort d’une école comme l’ENSCI, on n’a d’ordinaire aucun problème d’embauche. Elle entre chez Habitat comme designer. Elle voyage, apprend, invente, elle est dans la déco, les luminaires, les arts de la table, les salles de bain. Plus tard, elle passera aux meubles. Pas grand-chose de la maison qui échappe à ses crayons.
Six ans, puis patatras. Ikea, actionnaire principal d’Habitat, décide de concentrer ses activités de support (design, finances, achats) au Royaume-Uni et de se défaire des compétences en France. Coup de tonnerre dans un ciel serein. Émotions dans les services. Tentatives de déjouer la manœuvre. Elle est du genre extraverti, théâtre oblige, devient déléguée du personnel, se lance dans le droit du travail, monte une équipe de combat pour négocier les conditions, elle entre dans le monde étrange pour elle de batailles juridiques et sociales. Cela lui fut difficile, mais elle le fit. Et négocier avec son employeur ne fut pas un rôle de composition.
La concentration des services ne sera pas enrayée. Déléguée du personnel, elle n’est pas licenciée, mais elle est mise dans un placard. Elle ne supporte pas longtemps. Transaction puis tchao !
Elle commence sa trentaine. Elle en fait un moment de rupture, un commencement de ce qu’elle voit comme un accomplissement de soi. Une fidélité à soi peut-être. Ce sera le théâtre. Stages d’abord, puis le cycle professionnel au conservatoire régional de Noisel.
Au bout d’un an ; la vraie vie recommence. Le monde du spectacle ne manque pas de prétendants. Elle ne rompt pas avec le design qui la fait vivre. Ce qu’elle voulait laisser reste un puissant atout. Celui de l’indépendance. Elle n’a pas choisi de vivre dans l’opulence, mais quand même… Il faut des sous. Elle trouve des rôles, accède au statut d’intermittente, créé la compagnie des Crayons. Aurélia Labayle la rejoindra plus tard ; elle est aussi actrice, conçoit des spectacles et met en scène ; elle vient des arts du cirque et de la danse. Elles travaillent ensemble depuis sept ans.
Vivre en scène
Aurélie Vilette est actrice dans l’âme. La preuve ? Entrer dans un personnage ne lui est pas difficile. Au contraire. Si c’est un travail dont elle souligne qu’il ne ressemble à aucun autre, c’est un travail qui lui est naturel. On soupçonne que c’est aussi un plaisir. Celui de la progressive entrée dans un personnage qui s’effectue à mesure de la construction du spectacle et plus graduellement qu’on pourrait le croire. Elle prend l’exemple du par cœur : il est inutile d’apprendre le texte trop vite, car cela fige la compréhension du rôle. Les personnages, avec les répétitions, se dégagent peu à peu ; les répliques prennent une forme sensible. Le travail mécanique de la mémoire, s’il est évidemment indispensable, ne doit pas prendre le pas sur la partie active qui se joue sur le plateau, celle qui rend le personnage vivant.
Avec Anatoli Vassiliev, elle apprend « l’autonomie sur un plateau ; le travail minutieux de décorticage d’un texte théâtral ; la compréhension des enjeux, des tensions dramatiques, de la structure d’un texte, de ce qu’il veut raconter ; le passage à l’improvisation pour trouver sa propre expression, trouver la singularité du rapport théâtral qui s’installe entre les acteurs, créer à partir de son propre rapport au monde, de ses propres mots, de son propre rapport au plateau et aux autres acteurs. »
Avec Pascal Decolland, elle saisit « l’importance de la fantaisie, de l’incongru, de la recherche de l’accident, qui permet à l’acteur et au public de naviguer avec l’inconnu, la face cachée, la rupture, la surprise. »
Mais son activité ne s’arrête pas à son métier d’actrice. Elle participe à l’administration de 6mettre qui accueille, au cœur de Fresnes, des compagnies le temps d’un travail. Destiné à favoriser la création dans les arts vivants, il offre une grande salle de répétition (encore bien mal chauffée), et une capacité d’hébergement qui, si elle plafonne modestement à 6 ou 7 personnes, permet néanmoins d’avoir un lieu en Ile-de-France où répéter, mettre au point un savoir-faire, développer une idée et présenter le résultat en fin de résidence, c’est-à-dire à la fin du temps d’accueil. C’est alors le moment de rencontre avec des professionnels, d’autres artistes ou simplement avec des amateurs de théâtre.
Pour comprendre l’intérêt d’un tel lieu, et sa place dans le processus de conception, il faut garder à l’esprit combien la création d’un spectacle est longue. Au début, explique Aurélie Vilette, on a une idée ou un texte ou encore une envie de travailler avec une personne. Il faut s’en imprégner, faire des essais en plateau, écrire, improviser, vérifier si l’idée est vraiment bonne, ajuster la mise en scène, le décor. Il y a les différents stades de la répétition dont on parlait plus haut. Un lieu adapté à la mise au point, même modeste, est essentiel. Un lieu important pour elle :
« Dans ce lieu, entrer à la rencontre des habitants, des voisins, me semble primordial. En septembre, nous avons organisé une fête des voisins. J’ai fait des portraits de personnes rencontrées dans la rue sur des bocaux, tout en prenant des notes sur la vie des gens. Lors de la fête, nous avons lu ces portraits en musique, avec Aurélia Labayle et Désiré Sankara. Avec Izabele Narecionyté, jeune scénographe en stage aux Crayons pour 6 mois, nous avons mis en scène l’exposition des bocaux. Une manière poétique de faire entendre les vies de nos voisins, à la fois modèles et spectateurs. C’est le travail d’une équipe de trois compagnies, avec Omproduck et Kmk, le travail d’une permanente, Marie-Julia Yzern, qui a mobilisé la DRAC sur ce projet, que des rencontres comme celles-ci sont possibles et que peuvent vivre ces lieux de création, que peuvent s’animer les quartiers.»
Un lieu précieux donc pour la compagnie des Crayons, essentiel à ses projets, auquel elle ajoute l’aide de la ville de Sceaux, et de son festival de lectures créé il y a trois ans. La deuxième partie de cet article abordera justement les spectacles qu’elle a montés dans la ville, et ce ne sera pas tout.