Ses enfants sont en moyenne section et en CE2 aux Blagis et ils parlent déjà quatre langues. Le français est la dernière qu’ils ont apprise. Leur mère a dû faire le même apprentissage. Elle y a mis beaucoup d’énergie et a bénéficié de l’aide des enseignantes de l’École Française des Femmes (EFF) de Châtenay-Malabry.
De Riga à Sceaux
Karina Maksimova est lettone, mais sa langue maternelle est le russe. Après un master en mathématiques et quelques emplois dans la high-tech et la banque, elle décide de partir à l’étranger. Plus précisément en Suède, pour la découverte, et pour perfectionner son anglais. Elle y commencera une nouvelle carrière.
Sur place, elle apprend aussi le suédois à l’Université de Stockholm et devient quelque temps guide touristique. Le suédois qu’elle épouse est originaire d’Inde et parle Tamoul. Il est ingénieur dans une grande entreprise des télécoms. Ils se parlent en anglais. Mais parlent chacun leur langue maternelle à leurs enfants. Avec la naissance d’une fille, elle interrompt quelque temps ses activités.
Elle se forme au marketing digital et le pratique dans deux entreprises successives. Avant la naissance d’un garçon. Elle suit son mari dans deux missions, de trois mois en Australie puis d’un mois aux U.S.A. Puis son mari accepte une mutation en France.
Une recherche en Ile-de-France lui fait choisir la ville de Sceaux pour ses établissements scolaires. La famille arrive en octobre 2020, en plein Covid. Son fils est encore petit, elle apprend le français en ligne. Mais elle veut entrer sur le marché du travail. Apprendre une nouvelle langue et un nouveau métier, elle l’a déjà fait en arrivant en Suède, elle est prête à recommencer.
En octobre 2021, un conseiller pôle emploi lui soumet une liste d’écoles pour apprendre le français. C’est ainsi qu’elle se retrouve peu après à l’École Française des Femmes (EFF) de Châtenay-Malabry.
École Française des Femmes
L’école dépend du département par l’intermédiaire de l’Institut des Hauts-de-Seine. Le prix d’inscription est dérisoire. Les horaires sont conçus pour des mères de famille qui doivent emmener et chercher leurs enfants à l’école. L’École prépare aux examens de français langue étrangère (FLE).
Elle propose des cours de français, en insistant sur la grammaire : il ne suffit pas de parler la langue, il faut l’écrire correctement. Elle propose aussi des cours de « français professionnel ». On y apprend notamment à construire un CV, écrire une lettre de motivation, présenter ses compétences. Des cours d’utilisation de l’informatique sont également proposés. Les professeures sont diplômées dans leur spécialité.
L’objectif est de permettre à celles qui le souhaitent d’entrer sur le marché du travail. Les écoles fonctionnent en 4 groupes de niveau, correspondants aux examens du DELF : A1, A2, B1 et B2. Il faut le B2 pour accéder à certaines formations supérieures en France, par exemple la formation d’infirmière. Pour des postes hautement qualifiés, les employeurs demandent souvent le niveau B2 au moins.
Il existe 6 écoles de ce type dans les Hauts-de-Seine, dont 3 dans le sud du département, à Antony, Châtenay-Malabry et Fontenay-aux-Roses. Les apprenantes de ces trois écoles sont très majoritairement diplômées du supérieur, généralement avec des bac +4 ou +5. On y trouve aussi des médecins ou des titulaires d’un doctorat.
Ces femmes viennent de partout : Russie, Ukraine, Maghreb, Moyen-Orient, Chine, Sud-est asiatique, Amérique du Nord ou du Sud. Parfois d’Espagne, du Portugal, de Pologne ou de Roumanie, d’Italie ou des Pays-Bas. Certaines ont épousé un Français. D’autres ont suivi leur mari muté en France. Certaines sont venues pour des études supérieures puis sont restées. D’autres ont fui leur pays (la Syrie par exemple).
Revenir à l’école pour apprendre des règles de grammaire quand on a 25 ou 50 ans n’est pas évident. Celles qui viennent ont de l’énergie et de la motivation, et cela se voit dans les groupes. C’est très intense. En plus des cours, chaque semaine il faut préparer un essai qui est corrigé lors de la séance suivante.
Une année studieuse
Karina est admise en octobre 2021 en A2. Son groupe se caractérise avant tout par sa diversité. Diversité des origines géographiques bien sûr. Mais aussi des âges, des histoires, des situations familiales, des formations, des cultures et des éducations. C’est avant tout un groupe où les apprenantes se soutiennent. Pour certaines, c’est le seul endroit où elles ont l’occasion de parler le français.
Karina entend sa professeure de français expliquer que la seule manière de progresser est de pratiquer partout où elle le peut. Cela implique de faire l’effort de rencontrer des Français et de leur parler. Elle applique à fond la recette. Elle adhère à une association de parents d’élèves et s’efforce de faire connaissance avec les parents des élèves de la classe de ses enfants. Elle va à la fête des voisins de sa résidence, s’inscrit à un cours de sport avec une de ses voisines. Elle n’hésite pas à parler à des personnes qu’elle ne connaît pas. Tout est bon pour créer la relation, y compris proposer à des mamans de les prendre en photos avec leurs enfants. Elle profite de sa disponibilité pour suivre aussi des cours de français au CAEL de Bourg-la-Reine.
Son but est clair : progresser dans la langue, s’intégrer à la société française. Et reprendre le travail le plus tôt possible.
Le premier résultat est qu’elle réussit son examen A2 en fin d’année scolaire.
Formation professionnelle.
A la rentrée 2022/2023 elle s’inscrit donc de nouveau à l’EFF, en B1 cette fois. Mais son objectif est le travail. Son conseiller emploi lui envoie une proposition de présentation d’un institut de formation au marketing digital, Oreegami. Elle postule et passe les tests avec succès. Mais à l’entretien, on lui fait remarquer que son français est encore insuffisant.
Elle ne désespère pas. La formation comprend 3 mois à l’académie puis 12 mois en alternance chez des gérants de plateformes. Elle regarde de ce côté sur Linkedin. 3 jours avant le début de la formation, elle apprend qu’Havas cherche des candidats. Elle postule. L’entretien se passe en anglais (le travail aussi) et elle est recrutée. Depuis, elle a suivi les trois premiers mois de formation et travaille maintenant en alternance. Une première étape pour son intégration.
Apprendre la langue, le premier outil d’intégration
Il y a en permanence des dizaines de milliers d’étrangers qui s’investissent pour s’intégrer dans la société française en perfectionnant leur connaissance de la langue. En 2021, près de 400.000 candidats ont passé un examen du DELF, dont 76.000 en France. Des sessions ont été organisées dans 163 pays.
Les femmes qui se préparent à l’EFF n’entrent pas toutes aussi vite que Karina dans le monde du travail. Celle-ci avait deux avantages : une origine intracommunautaire (pas de problème de permis de séjour) et un métier où la langue de recrutement est l’anglais. Mais comme chaque cas est particulier, l’école voit aussi chaque année des personnes trouver un travail quelques mois après leur arrivée. Souvent, parce qu’elles connaissent déjà assez bien le français.
Les lecteurs pourront lire une étude très récente de l’Insee sur l’insertion professionnelle des immigrants primo-arrivants en France, avec notamment une comparaison hommes/femmes.